Comme chaque année, je viens vous présenter les conclusions du rapport annuel du CSA et m'enquérir des interrogations que les résultats que nous présentons peuvent soulever de votre part. Je me présente cette année à une date plus tardive qu'à l'accoutumée, en raison du contexte mais aussi parce que la loi d'initiative sénatoriale du 20 janvier 2017 qui a entendu régler par des dispositions communes la situation des autorités administratives indépendantes (AAI), a globalement fixé au premier juin la remise des rapports annuels. Auparavant, s'agissant du CSA, la transmission devait être effectuée avant le 31 mars. Ce délai légal supplémentaire, que nous n'avions pas anticipé, a été mis à profit lors de la très importante mobilisation du CSA, au cours du printemps, dans le cadre des élections présidentielle et législatives. Pour l'année à venir, madame la présidente, comme vous me l'avez demandé lors d'un entretien en janvier, je ferai en sorte que la présentation du rapport annuel ait lieu plus tôt dans l'année, assurément avant l'été. Cette année, la date de présentation du rapport intervient à un moment charnière, aux premiers jours de la première législature de l'Assemblée nationale, après cinq années durant lesquelles le Parlement a apporté de nombreuses modifications à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sans en modifier profondément l'économie. Une réflexion sur l'adaptation de l'audiovisuel à l'heure numérique s'avère, de notre point de vue, nécessaire. Dans cette perspective, nous serons attentifs, madame la présidente, à la présentation devant votre commission des conclusions de votre mission d'information sur l'avenir des médias.
Pour autant, le rapport du CSA de l'année 2016, pour lequel nous nous sommes efforcés de rendre plus lisibles et mieux illustrées les différentes palettes de notre activité, est susceptible de vous montrer la variété des réalisations qui ont été les nôtres, dans le sillage des lois récentes ou plus traditionnellement. Les sujets sont extrêmement divers. Au fil des lois, de nouvelles fonctions nous incombent : de la promotion du sport féminin, en passant par des questions de santé, jusqu'aux adaptations rendues nécessaires pour les personnes présentant un handicap auditif ou oculaire sur lesquels nous avons fait un bilan précis...
S'agissant de la télévision, 2016 aura été marquée par une très importante modernisation technologique sans précédent dont la réussite procédait d'une équation technologique et financière difficile. Je tiens à le dire et à le répéter : le travail préalable effectué, en amont, de concert avec votre commission, aura été d'une importance toute particulière. C'est un exemple achevé de coopération étroite et confiante entre une autorité indépendante et l'émanation de la Haute assemblée que vous représentez. Le 5 avril dernier, la plateforme a basculé pour l'ensemble du territoire métropolitain. La mise à disposition de la bande hertzienne a été réalisée pour la région Ile-de-France. Elle a touché de nombreux émetteurs. Cela a permis de terminer l'installation, dans la région Rhône-Alpes, des chaînes de la TNT entreprise en 2012, soit 11 chaînes en haute définition (HD), 27 chaînes gratuites, sans compter les 5 chaînes payantes et la création de la chaîne Franceinfo, événement marquant de l'année, qui n'a été possible que par le retour à la simple définition pour France Ô.
Cette base hertzienne constitue un enjeu démocratique qui se trouve en quelque sorte parachevé par ce passage presque généralisé à la haute définition. Car l'ensemble de la plateforme offre une gamme de médias audiovisuels diverse, pluraliste, gratuite que s'attache à promouvoir notre système de régulation. C'est aussi un enjeu économique. Nous sommes persuadés qu'à partir d'un socle hertzien solide et modernisé, le régulateur pourra accompagner le secteur de l'audiovisuel sur la voie du numérique, avec des technologies marquées par l'interaction constante entre émetteur et récepteur. La plateforme TNT actuelle ne le permet pas. Elle pourrait être modernisée à des coûts raisonnables, avec un passage progressif d'une grande ligne de programmes généralisée à une offre de programmes personnalisée et délinéarisée. C'est l'objet de la consultation publique que nous allons lancer demain 19 juillet. Elle va montrer que les perspectives ne sont pas limitées à l'ultra haute définition qui exige des conditions préalables de fabrication et de programmation mais que TNT et interactivité ne sont pas contradictoires.
Dans le cadre de cette modernisation, il faut souligner qu'en 2016 la gamme des chaînes de la TNT locale s'est enrichie de quatre services supplémentaires, portant leur nombre à 43 et que 33 ont été sélectionnés pour une diffusion en haute définition. Ces chaînes de proximité sont pour nous une préoccupation constante car ce sont elles qui souvent irriguent notre communication et notre réalité territoriale. Elles font face à des difficultés de financement fréquentes avec une dépendance marquée à l'égard des subventions publiques et s'engagent de plus en plus dans des opérations de mutualisation de leurs programmes pour optimiser les coûts et pallier les difficultés d'approvisionnement de leurs grilles. Elles envisagent des partenariats avec des éditeurs nationaux, comportant, par exemple, la reprise de programmes. C'est un phénomène nouveau sur lequel une réflexion devra être menée car cela risque de modifier le paysage audiovisuel français.
Tous ces mouvements soulignent l'importance des télévisions hertziennes, même si se pose la question de l'identité propre de leurs services au regard de la dynamique territoriale que vous entendez imprimer au pays. Le CSA est conscient de cet enjeu et, conformément à la loi, y consacre un chapitre spécifique dans son rapport.
Les comités territoriaux de l'audiovisuel (CTA), auxquels je tiens à rendre une nouvelle fois hommage, ont, depuis le 1er janvier 2017, des compétences accrues en matière de suivi des télévisions locales. La plupart ont été conçus selon un dessin proche de la nouvelle carte régionale. Les régions pourront sans nul doute trouver dans ces comités des interlocuteurs particulièrement informés par une longue expérience du paysage audiovisuel local. Je me rends régulièrement dans ces comités et dès la mi-septembre au comité territorial de Toulouse pour visiter l'ensemble des médias locaux.
S'agissant de la radio, les novations sont moins marquées mais retiennent notre attention. Nous poursuivons notre recherche constante de ressources disponibles en modulation de fréquence FM, malgré les problèmes techniques que rencontre cette diversification. Nous avons lancé, en 2016, neuf FM dont deux outre-mer. Des difficultés économiques avaient provoqué des arrêts de fréquences. Nous avons pu en dégager, par des efforts techniques de recherche, 95 - ce qui est beaucoup et peu à la fois, Parmi celles-ci 30 nouvelles sont le fruit de nos recherches. Elles ont touché les ressorts des comités audiovisuels de Lyon, Nancy et Paris.
Je pense également à l'ouverture de cette fenêtre de diffusion alternative ou complémentaire qu'offre la radio numérique terrestre (RNT). Nous avons sélectionné 93 services sur Lyon, Lille et Strasbourg et enregistré avec satisfaction l'arrivée de services de Radio France en RNT - Mouv, FIP- ainsi que RFI. Nous sommes engagés dans une réflexion qui donnera priorité à un bassin d'audience plus large, par allotissement, avec l'objectif d'éviter pour l'auditeur des ruptures au cours des trajets.
Au-delà du travail accompli de modifications et d'innovations techniques, l'année 2016 du CSA me paraît placée sous le signe d'une confiance accrue du public. Les chiffres le prouvent. La fréquentation du site Internet du CSA a augmenté de 40 % depuis 2015, atteignant 1,3 million de visiteurs en 2016. Nous avons lancé un appel d'offres et engagé une rénovation complète de notre site Internet. Notre présence sur les réseaux sociaux est en augmentation ; nous enregistrons une hausse de 50 % du nombre de nos abonnés sur Facebook et deux fois plus de messages sur notre compte Twitter qu'en 2015.
Le nombre de questions et demandes de saisine adressées au CSA en 2016 a, en conséquence, bondi de plus de 300 % par rapport à 2015 et un volume équivalent s'annonce pour 2017. Cette confiance du public, même si elle s'exprime sous forme d'interrogations ou de critiques, est particulièrement importante. C'est une boussole qui nous permet de nous assurer de la promotion de programmes respectueux des droits dont nous sommes les garants et la surveillance qui nous est confiée.
Dans la perspective d'une action de communication dynamique, nous avons, dès 2014, créé au CSA une direction de l'information et de la communication institutionnelle. J'ouvre une parenthèse pour rendre hommage à l'ensemble de mes collaborateurs grâce auxquels le label « diversité », attribué fin 2012, a été sans difficulté renouvelé au conseil au terme d'une période de cinq années au regard de l'accroissement du nombre d'agents handicapés qu'il a recrutés. Nous venons également d'obtenir le label « égalité ». Nous sommes le seul organisme à avoir obtenu ces deux labels.
Cette confiance du public s'accompagne de la confiance que nous ont accordée les pouvoirs publics et la représentation nationale, avec l'examen de plusieurs lois ardemment discutées dans cette même enceinte, notamment sur la régulation du pluralisme et la généralisation, à l'occasion de la dernière élection présidentielle, du principe d'équité. Nous avons été attentifs aux limites et au cadre fixés sur les conditions de programmation, considérable et concurrentielle, qui a requis, de la part des rédactions, un effort supplémentaire substantiel. Aucune formation politique, aucun des candidats n'a d'ailleurs mis en cause l'impartialité et la réactivité du CSA.
La loi du 21 juillet 2016 sur la prolongation de l'état d'urgence a prévu l'élaboration d'un code de bonne conduite pour le traitement audiovisuel d'actes terroristes. Nous en avons débattu avec les rédactions et consulté le Procureur de la République de Paris, François Molins, ainsi qu'un large échantillon d'experts et d'acteurs. Les mesures de protection adoptées n'ont soulevé aucune critique des rédactions... le silence étant la marque la plus brillante de l'approbation.
La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, en partie grâce à David Assouline, a également été considérablement constructive, mais nous nous sommes engagés à ne pas prendre appui sur cette loi pour ne pas nous ingérer dans le fonctionnement interne des rédactions. Compte tenu de l'ampleur de la tâche, nous avons décidé d'accepter un allongement du délai pour la mise en oeuvre de certaines dispositions prévues par cette loi Nous avons voulu rester fidèles à la philosophie du régulateur qui s'adapte à la singularité de chaque acteur.
Depuis l'adoption de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, 83 modifications législatives ont été adoptées, dont 17 pendant la 14e législature : 14 modifiant la loi et trois portant sur les règles déontologiques applicables aux autorités indépendantes. Durant les quatorze mois écoulés, neuf lois ont modifié directement la loi de 1986, dont celle du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Une telle intensité législative révèle les insuffisances de notre législation en ce qui concerne l'environnement numérique global actuel. Les modifications apportées n'ont pas touché au coeur du problème, elles ont été plus périphériques, plus spécifiques à certains problèmes ou objectifs fixés au CSA.
La priorité nous semble être de préserver la diffusion hertzienne qui constitue le socle de l'audiovisuel français, libre, divers et pluraliste, en accroissant sa lisibilité, en réaffirmant ses objectifs, mais aussi en adaptant les droits et obligations incombant aux distributeurs. Il s'agit de définir les raisons de l'attribution de fréquences gratuites dont le champ et la portée vont diminuant progressivement. Il faut le reconnaître, même si on peut le regretter, que nous nous trouvons dans un contexte de concurrence exacerbée. Il paraît de la plus grande urgence de définir un modèle pour moderniser les modes de régulation traditionnels et en faire apparaître de nouveaux. Il faut dépasser la perspective d'un simple ajustement à partir du schéma hertzien d'origine pour inventer des modes de réflexion nouveaux, autorégulation, co-régulation, régulation participative.
Dans cette perspective, nous avons créé, en 2016, un CSA Lab, associant des experts extérieurs, dans les domaines des algorithmes, des moteurs de recherche et pour l'évaluation des modes nouveaux de distribution à l'échelle européenne et internationale. J'insiste sur la portée européenne et internationale de notre action et je voudrais à cette occasion rendre hommage à André Gattolin et Colette Mélot pour leur proposition de résolution européenne du 25 mai 2016 sur l'adaptation de la directive « Services de médias audiovisuels » à l'évolution des réalités du marché, qui a donné lieu, sur le rapport de Jean-Pierre Leleux, à la résolution du Sénat du 9 décembre 2016. Le CSA, en complet accord avec l'ensemble des propositions de cette résolution, se prononcera le 19 juillet sur l'avant-projet de directive européenne.
Cette action internationale n'est pas limitée au groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) dont nous avons assuré la présidence en 2015. Je pense notamment au réseau méditerranéen, extrêmement important, car il permet de confronter les expériences diverses des pays des rives droite et gauche de la Méditerranée. Vous avez, madame la présidente, publié un rapport riche d'intérêt à la suite de la mission d'information de votre commission au Maroc. Je connais les liens étroits et amicaux que vous entretenez avec la présidente de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA), le CSA marocain. Nous avons un rôle important à jouer dans ce réseau. J'ai été désigné lors de la conférence de Barcelone en 2016, comme vice-président de l'organisation avec pour mission d'en devenir le président en novembre prochain à l'occasion de l'assemblée générale qui se tiendra à Marseille. Je voudrais d'ailleurs souligner l'aide que m'a apporté Jean-Claude Gaudin, membre de votre commission. L'objectif est d'échanger avec Israël, le Liban, la Turquie, la Tunisie, le Portugal, l'Italie et l'Espagne sur nos pratiques, en particulier sur les questions de sauvegarde et de pluralisme culturels. C'est également pour moi un moyen de conserver un lien et une coordination avec les pays du sud de l'ERGA situés de chaque côté de la Méditerranée. Nous assurerons un secrétariat permanent du réseau francophone à Genève en septembre. La présidence ivoirienne passera le relais à la Suisse qui elle-même la transmettra à la Tunisie d'ici deux ans. C'est important en termes culturels et économiques. Les marchés sont potentiellement considérables, notamment celui de la télévision numérique en Afrique à laquelle nous nous devons de participer.
Soyez persuadé, mesdames et messieurs les sénateurs, que le CSA apportera à votre réflexion législative une contribution attentive et active.