Intervention de Françoise Nyssen

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 juillet 2017 à 16h30
Audition de Mme Françoise Nyssen ministre de la culture

Françoise Nyssen, ministre de la culture :

Je suis très heureuse d'être parmi vous, très honorée. Le calendrier m'impose d'être à Arles ce soir. Ce n'était pas prévu. J'étais hier devant vos collègues de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Je suis une ministre issue de la société civile. Je dirigeais une maison d'édition à Arles, où j'étais plus largement impliquée dans l'animation de la vie culturelle locale. J'ai accepté la mission que me proposaient le Président de la République et le Premier ministre pour plusieurs raisons. Tout d'abord, par sens républicain et par souci de cohérence. Je n'avais pas le droit de refuser l'opportunité qui m'était offerte de servir ainsi la culture et notre pays. J'ai toujours été portée par l'engagement citoyen. Après des études de biologie moléculaire, j'ai travaillé dans les quartiers populaires de Bruxelles, pour accompagner des citoyens qui voyaient leurs quartiers remaniés. Cela m'a amenée à étudier l'urbanisme avant de rejoindre la direction de l'architecture du ministère. Je me suis ensuite rendu à Arles où j'ai acquis la citoyenneté française. Avec mes équipes, nous avons développé tout un écosystème autour de la maison d'édition : librairie, cinéma, lieux d'exposition et de musique. Il y a trois ans nous avons créé une école pour les enfants de trois ans jusqu'au baccalauréat, l'école du Domaine du possible, installée dans un domaine agricole, où nous expérimentons l'éducation à la joie, à travers la pratique des arts, le contact avec la nature. Aujourd'hui, j'ai l'honneur de prolonger cet engagement citoyen en exerçant des fonctions ministérielles. Le projet culturel d'Emmanuel Macron rencontrait mes propres convictions : la culture doit être une priorité ; il faut travailler en lien avec l'Éducation nationale ; il faut la rendre accessible au plus grand nombre. Enfin, le Président de la République m'a dit son souhait de voir la politique culturelle « inspirer » le pays, recréer du lien et redonner confiance à une société qui souffre de ses fractures. Je suis donc ici, devant vous, par conviction par détermination ; par désir de servir et surtout, par souci de faire.

Pour cette première audition, je vous présenterai ma méthode, le modèle culturel que je souhaite défendre et les axes prioritaires de mon action.

La méthode est un déterminant de la réussite. J'ai lu les discours de mes prédécesseurs. Certains des axes que je souhaite défendre ont été déjà présentés ici. Mon objectif n'est pas de faire table rase du passé. Je m'appuierai évidemment sur l'action qu'ils ont menée et sur vos travaux. Mais ma responsabilité est de comprendre pourquoi tout ce qui a été dit, à juste titre, a parfois eu du mal à se traduire dans la réalité, à se concrétiser sur le terrain. J'entends faire différemment, identifier les blocages pour essayer autre chose. Ces deux premiers mois au sein du ministère m'ont déjà permis de dresser quelques constats. Il y a incontestablement des tabous, des cloisons qui peuvent freiner, ou même empêcher l'action du ministère.

Je souhaite mettre en oeuvre une méthode de travail plus collective, ouverte et partagée. Je ne tiens pas à attacher mon nom à une grande loi. Néanmoins, je compte travailler en étroite collaboration avec le Parlement - et avec votre commission en particulier. Je suis déterminée à vous associer étroitement à toutes les actions du ministère, de leur conception à leur promotion partout sur le territoire, jusqu'à leur évaluation. Ce dernier volet, parfois moins visible, m'est très cher et j'y serai particulièrement attentive.

Je sais le travail que vous avez fourni sous la précédente mandature, notamment sur la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, pour l'enrichir et l'adapter aux réalités territoriales. La notion de liberté de création qu'elle consacre est fondamentale. Je suis attachée à assurer la mise en application de cette loi : 26 des 28 décrets d'application ont déjà été publiés et j'ai signé les deux derniers. Je souhaite aussi que cette loi fasse l'objet d'un suivi, d'une évaluation.

L'ambition culturelle sera partagée avec mes homologues du Gouvernement. J'estime que le rôle du ministère de la culture n'est pas de conduire des politiques sectorielles, mais de fixer le cap d'un projet de société, un projet civilisationnel. Le ministère de la culture n'est pas seulement un ministère des arts et des artistes, c'est aussi un ministère du sens, des langues, de l'Histoire, de la mémoire. C'est un ministère de la cohésion sociale, de la conscience collective. Son domaine embrasse ainsi toute l'action gouvernementale. Ce n'est donc pas un ministère qui agit seul. J'ai amorcé les collaborations, dès ma prise de fonction. J'ai rencontré très vite Jean-Michel Blanquer, pour établir rapidement un lien avec l'Éducation nationale. Votre commission comme celle de l'Assemblée nationale ne traitent-elles pas l'une et l'autre des affaires culturelles et de l'éducation ? Je souhaite aussi avancer en lien étroit avec Frédérique Vidal, Sophie Cluzel sur le handicap, Nicolas Hulot sur la transition énergétique, Marlène Schiappa, sur l'égalité entre les femmes et les hommes, Mounir Mahjoubi sur la transition numérique, Jacques Mézard et Julien Denormandie sur la cohésion territoriale, Laura Flessel sur le sport, ou encore Jean-Yves Le Drian, Jean-Baptiste Lemoyne et Nathalie Loiseau, pour l'international. L'interministériel sera une dimension essentielle de mon projet.

L'ambition culturelle doit être partagée par tous les territoires. J'ai entamé dès mon arrivée un tour de France des régions, au rythme d'un déplacement par semaine pour rencontrer les acteurs de la politique culturelle en région. Je le conclurai en fin d'année par l'Outre-Mer. Je souhaite conforter le rôle sur le terrain et au sein du ministère des services déconcentrés du ministère, les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Je les ai déjà associés à la nouvelle instance de gouvernance que j'ai installée. Au fil de mes déplacements, je rencontre, bien sûr, les élus, les parlementaires comme les représentants des collectivités territoriales. C'est aussi avec eux que je souhaite renforcer la coopération. Nous devons rebâtir les termes d'une relation de confiance entre l'État et les collectivités. Le Président de la République en a posé les bases lundi, lors de la Conférence des territoires qui se tenait au Sénat. Je sais que l'effort demandé aux collectivités territoriales est lourd. C'est un effort qui est partagé entre toutes les collectivités publiques. L'État prend sa part. La culture est un volontarisme, un choix de société. Je sais combien d'élus, sur notre territoire, partagent et font vivre cette conviction. Ils me trouveront toujours à leurs côtés.

Enfin, l'ambition culturelle doit être partagée avec la société civile. Les pouvoirs publics ne peuvent rien sans les associations, les entrepreneurs, les mécènes, les professionnels sur le terrain. Je le sais d'expérience. Je souhaite que le ministère soutienne, accompagne, agrège les bonnes volontés, pour que des écosystèmes de vie culturelle voient le jour, un peu partout : à partir des acteurs et des besoins du terrain.

La co-réflexion et la co-construction constitueront la colonne vertébrale de ma méthode. Vous en serez des acteurs clés, au service d'un certain modèle culturel.

L'État français intervient depuis des siècles en matière culturelle, mais il l'a fait, au fil du temps, avec des objectifs et sur des fondements différents. II ne suffit pas de dire que nous nous mobilisons pour la culture. II faut donner un sens à ce que nous faisons. Le modèle que je défends est un modèle de diversité culturelle : diversité des formes artistiques, diversité des voix et des visages qui les portent ; diversité des époques représentées, des territoires, des influences, des courants. La force de la culture française réside dans sa complexité. Sa singularité et sa cohérence tiennent à sa pluralité.

Ce combat pour la diversité culturelle me semble prioritaire pour lutter contre les tentations de repli sur soi, contre les discours simplificateurs sur l'Histoire, sur les racines, etc. Je mènerai d'abord ce combat pour les publics. Vous avez été à l'initiative d'une affirmation des droits culturels dans les derniers textes législatifs. J'y suis fondamentalement attachée. Faisons-les vivre ensemble. La politique du ministère doit se concentrer davantage sur le développement des accès à la culture. Et quand je parle de l'accès de tous à la culture, je parle de l'accès de tous à la diversité culturelle. Il ne s'agit pas d'imposer des choix culturels d'en-haut, par les institutions. L'enjeu est de donner à chacun les moyens de tracer son propre chemin, d'explorer la culture qu'il ne porte pas déjà en lui, en se libérant d'éventuels carcans familiaux, sociaux, financiers, géographiques, physiques.

Votre commission s'est saisie de la question de l'accès à la culture pour les personnes en situation de handicap : je le salue et m'appuierai sur ces travaux.

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