Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Madame la présidente, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, « régler le présent d’après l’avenir déduit du passé », telle est l’équation, formulée par Auguste Comte, que nous devrons résoudre collectivement pour rénover durablement notre modèle social.

« Régler le présent », c’est trouver des solutions opérationnelles pour lutter efficacement contre le chômage de masse, qui frappe durement et frappe en premier lieu nos jeunes, nos seniors et nos travailleurs peu qualifiés, en particulier dans certains territoires.

C’est aussi prévenir la précarisation et le mal-être au travail d’un nombre croissant d’actifs, en donnant plus de sens au travail lui-même. Pour ce faire, il convient de considérer l’entreprise comme une communauté humaine au service d’un objectif de croissance.

C’est enfin permettre à nos entrepreneurs d’innover, de créer de l’emploi et de défendre avec audace et confiance l’excellence de la créativité et du savoir-faire français partout dans le monde, pour que notre croissance soit durable, inclusive et surtout riche en emplois.

Régler le présent « d’après l’avenir », c’est faire en sorte que les solutions soient pérennes et robustes face aux mutations de grande ampleur que nous pressentons déjà, qu’il s’agisse des révolutions technologiques, du défi écologique ou de l’accélération de l’internationalisation des échanges.

Il s’agit de les anticiper pour en saisir les formidables opportunités et répondre aux nouvelles aspirations des entreprises et des salariés, mais il faut aussi en devancer les risques réels pour mieux protéger les entrepreneurs et les actifs.

« Déduit du passé », cela veut d’abord dire qu’il est indispensable de tirer les leçons de nos échecs collectifs de ces trente dernières années : échecs à changer le regard sur l’entreprise, à instaurer un climat de confiance dans le dialogue social, en somme à lever les obstacles à l’embauche et à libérer les énergies.

Par « déduit du passé », j’entends aussi la fidélité aux valeurs fondamentales qui sous-tendent notre modèle social, à savoir celles de la République : l’égalité et la liberté, socles de la fraternité. Par conséquent, faire table rase du passé ou transposer un modèle étranger tel quel constituerait une erreur majeure.

Rénover, c’est concilier ces trois temporalités : le présent, l’avenir et le passé. C’est donc adapter pour poursuivre, pour faire vivre en le rénovant un héritage auquel nous sommes attachés.

Rénover le modèle social français, c’est faire en sorte qu’il produise davantage d’égalité et davantage de liberté dans le monde à venir.

Cette ambition, empreinte de pragmatisme, a présidé à l’élaboration du premier texte de loi que j’ai l’honneur de porter, au nom du Gouvernement, devant la chambre haute cet après-midi.

Ce texte constitue la première pierre d’un projet plus vaste de rénovation de notre modèle social, annoncé par le Président de la République pendant la campagne présidentielle, engagé par le Gouvernement et très attendu par nos concitoyens, comme en atteste l’issue des dernières échéances électorales.

Le projet de loi d’habilitation pour le renforcement du dialogue social et les ordonnances qui en découleront n’ont pas la prétention de résoudre à eux seuls l’ensemble des défis que je viens de citer. Ils donneront leur pleine puissance en résonance avec les prochains chantiers que le Gouvernement engagera ces dix-huit prochains mois : réforme de l’assurance chômage et de la formation professionnelle, mais aussi réforme de l’apprentissage, que je défendrai conjointement avec le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et réforme des retraites, que portera la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.

Ils s’articulent aussi avec l’action du Gouvernement en faveur de la diminution du coût du travail, de la baisse de la fiscalité et du soutien au pouvoir d’achat.

Pourquoi, me demanderez-vous, commencer par cette réforme plutôt que par les autres et pourquoi recourir aux ordonnances ?

L’habilitation que nous vous demandons aujourd’hui pour cimenter cette première pierre est essentielle à l’équilibre global de la rénovation de notre édifice commun : le modèle social français.

Sur la méthode, tout d’abord, je souligne que ce véhicule législatif n’est en aucun cas un blanc-seing, puisque c’est un mandat sur un champ et avec des objectifs précis, et qu’il satisfait à un double impératif : répondre à l’urgence avec efficacité.

Il y a urgence à améliorer notre situation économique et sociale, que vous connaissez particulièrement bien sur vos territoires. Par conséquent, il y a urgence à sortir rapidement du statu quo grâce à l’applicabilité immédiate des mesures contenues dans les ordonnances.

S’agissant de l’efficacité, cette méthode nous offre l’opportunité d’expérimenter une démarche inédite de coconstruction simultanée, qui articule en permanence démocratie politique, d’où l’importance de nos débats cette semaine, et démocratie sociale avec les huit organisations représentatives des salariés et des employeurs. L’une ne peut aller sans l’autre si nous voulons aboutir à des solutions calibrées, opérationnelles, comprises par nos concitoyens, acceptées et dont la mise en œuvre sera ainsi facilitée. J’en ai été encore plus convaincue par nos échanges en commission mardi dernier et par la première lecture à l’Assemblée nationale, ainsi que par les trois cycles de concertation approfondie avec les partenaires sociaux que nous venons d’achever.

Nous faisons le diagnostic que notre droit du travail souffre de deux handicaps.

D’abord, il est devenu peu à peu inadapté à l’économie de notre temps, non pas dans ses principes, mais dans ses détails les plus précis. Il a été conçu implicitement, et c’est compréhensible, sur le modèle de l’emploi à vie dans la grande entreprise industrielle et il a été pensé pendant des décennies pour ce type d’entreprise, mais, aujourd’hui, le développement économique et la création d’emplois relèvent davantage des TPE, des PME, et des jeunes entreprises innovantes. Rappelons-le, 55 % des 18 millions de salariés du secteur privé travaillent dans des entreprises de moins de cinquante salariés. Tout texte législatif doit prendre en compte cette réalité.

Ensuite, le droit du travail est parfois inadapté à la réalité de ce que vivent et de ce qu’attendent les entreprises, mais aussi les salariés. Il néglige trop souvent la capacité d’un employeur et de ses salariés à trouver le meilleur compromis à leur niveau, au bénéfice de leurs intérêts respectifs, voire de l’intérêt général.

Permettez-moi de prendre un seul exemple parmi d’autres que nous aurons l’occasion d’aborder au cours de la discussion, celui du télétravail, qui me paraît particulièrement emblématique de la nécessité de réformer.

Les salariés sont très demandeurs de ce type d’organisation du travail afin de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie privée. Aujourd’hui, il concerne 18 % des salariés et 61 % y aspirent.

Le télétravail offre plus de souplesse, car il allège notamment le troisième temps, le temps de transport, toujours caché, mais très lourd au quotidien. Il favorise en outre le maintien de l’emploi dans les zones rurales. Ce besoin de souplesse est aussi partagé par les entreprises, en particulier celles qui utilisent des espaces de coworking, comme on dit en bon français… J’espère que l’on trouvera une traduction !

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