Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Muriel Pénicaud, ministre :

Le code du travail n’ayant évidemment pu prévoir les nouvelles formes d’organisation du travail liées au développement d’internet, il se trouve dans l’incapacité d’apporter, avec la réactivité et la sécurité nécessaires, des réponses pertinentes à ce bouleversement.

Aujourd’hui, la demande est si forte que ni les salariés ni les entreprises ne sont sécurisés juridiquement dans un contexte de développement hors champ du télétravail, sans autre précaution que la condition du volontariat.

Si le télétravail est un enjeu d’amélioration de la qualité de vie individuelle, il constitue également une formidable opportunité d’amélioration de notre qualité de vie collective et de maintien de l’activité sur nos territoires. Il permet de répondre à certains problèmes liés au handicap ou à l’éloignement géographique. Je pense en particulier aux actifs éloignés des bassins d’emploi les plus dynamiques qui pâtissent au quotidien soit des méfaits de la congestion urbaine en matière de transport, soit de l’isolement rural.

Cet exemple, et le projet de loi en visera beaucoup d’autres, me donne l’occasion d’insister sur notre volonté de trouver des solutions pragmatiques pour tirer le meilleur parti des mutations que nous traversons, pour allier libération des énergies et justice sociale, et, en l’occurrence, pour répondre aux besoins de liberté et de sécurité à la fois des entreprises et des salariés.

Alors, que proposons-nous ?

Nous faisons un pari basé sur l’expérience : celui de la confiance.

Confiance dans la démocratie sociale et dans l’intelligence collective et individuelle, car nous croyons en la capacité des organisations syndicales et patronales comme en la capacité des employeurs et des salariés à apporter les solutions les plus pertinentes, au plus près du terrain, pour faire converger performance économique et justice sociale. Qui d’autre mieux qu’eux peut trouver le meilleur compromis en s’adaptant aux réalités quotidiennes ?

Confiance dans l’avenir, car nous sommes déterminés à lever les incertitudes juridiques qui pèsent lourdement sur les relations de travail et brident l’embauche. Il n’y a pas de modèle social durable qui repose sur des règles inconstantes ou anxiogènes.

À cet égard, l’efficacité de la réforme passe par trois maîtres mots complémentaires et interdépendants, qui charpentent le projet de loi : subsidiarité, lisibilité, prévisibilité.

Subsidiarité, car il faut impérativement mieux connecter la prise de décision à ceux qui devront la respecter. Dit autrement, nous voulons que les entreprises et les salariés puissent décider davantage des règles qui leur sont applicables et qu’ils soient coauteurs de la norme sociale.

La majorité des règles, jusqu’au moindre détail, relève de la loi. D’apparence égalitaire, ce cadre normatif crée en réalité trop de rigidité, de formalisme et de complexité. Cela entame par essence la possibilité de les adapter à la vaste diversité des situations du monde économique et social.

De fait, des droits justes inscrits dans le code du travail ne sont plus accessibles ; à cause de dispositifs d’application parfois kafkaïens, ils n’ont plus qu’une valeur incantatoire.

L’exemple de la prise en considération de la pénibilité est à cet égard symptomatique. Le compte personnel de prévention de la pénibilité, dit compte pénibilité, est une mesure de justice sociale dont nous approuvons pleinement l’intention. Que des salariés qui ont vu leur santé dégradée par l’activité physique puissent partir deux ans plus tôt à la retraite à taux plein nous paraît juste, mais l’exécution, telle qu’elle a été pensée, a soulevé des difficultés incontournables, notamment pour les TPE et les PME, privant du coup les salariés d’un accès effectif à cette juste compensation.

Face à ce décalage entre l’intention et la réalité, le Gouvernement, soucieux non seulement de maintenir l’ensemble des droits des salariés, mais aussi de libérer les petites et moyennes entreprises d’une complexité qui ne leur permettait pas d’avancer, a pris ses responsabilités. Le Premier ministre a donc annoncé la mise en place effective du compte pénibilité.

Je tiens à réaffirmer pour lever toute ambiguïté que les dix facteurs de risques professionnels prévus précédemment par le législateur sont maintenus. Seules changent les modalités déclaratives, lesquelles étaient absolument irréalistes, pour les quatre derniers facteurs, à savoir la manutention manuelle les charges, des postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Pour ces quatre critères, le Gouvernement propose de libérer les entreprises de la partie inapplicable de l’obligation de déclaration en externalisant le contrôle de la situation des salariés par des examens médicaux. En outre, la prévention des risques chimiques doit faire l’objet d’une réflexion spécifique.

Grâce à cette réforme pragmatique, qui ne remet pas en cause un principe, nous permettrons à une génération de salariés qui souffrent d’ores et déjà d’une incapacité de partir à la retraite dès les prochaines années sans attendre qu’ils aient cumulé suffisamment de points pour bénéficier de droits réels.

Des droits accessibles plus rapidement et plus simplement, voilà qui caractérise l’esprit de justice sociale. Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de l’exemple que je viens d’exposer, c’est toute la philosophie de notre projet de loi et de notre action.

Un droit s’il est formel et inapplicable n’est pas un progrès. Pour être réel, le droit doit être exerçable, quelle que soit la situation ou la taille des entreprises. La complexité est trop souvent un obstacle à l’exercice de droits réels, pour les salariés comme pour les entreprises.

Tenir davantage compte de la diversité des situations ne se traduit nullement par un affaiblissement du droit, mais par un saut qualitatif. C’est tout l’enjeu du dialogue social décentralisé.

Cela suppose cependant un changement des mentalités pour comprendre que, sans rien renier des droits fondamentaux fixés par la loi, nous devons desserrer l’étau de la norme trop détaillée et permettre aux entreprises et aux salariés de négocier les règles qui leur correspondent dans un cadre fixé par la loi.

Les branches professionnelles elles-mêmes prévoient souvent de façon extrêmement précise de nombreuses modalités sans faire confiance aux entreprises. Nous y reviendrons, mais c’est le cas, entre autres sujets, des primes d’ancienneté, de repas, d’assiduité, de vacances, qui sont la plupart du temps définies au niveau de la branche, sans aucune capacité de négocier dans l’entreprise, donc indépendamment des attentes des salariés ou des particularismes des secteurs et des entreprises.

Pourquoi ne pas laisser les entreprises et les représentants des salariés décider ensemble des priorités ? Ils sont les mieux placés pour savoir si la priorité est une mutuelle renforcée, une prime d’ancienneté ou une aide à la garde d’enfant. Encore une fois, faisons confiance aux acteurs du dialogue social, c’est-à-dire les employeurs, les syndicats de salariés et les élus du personnel, dans le cadre de la loi.

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