Intervention de Dominique Watrin

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Question préalable

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin :

Autre exemple, lorsque je téléphone dans mon département natal, la Manche, une ancienne voisine me dit tout ce qu’une société peut aujourd'hui imposer comme contraintes et obligations à un jeune pour gagner 230 euros à distribuer des annuaires téléphoniques !

Or le nombre des contrats « sauvages », ces CDD de moins d’un mois, est passé de 1, 5 million en 2010 à 4 millions en 2016.

Sans doute les patrons ont-ils compris que ce serait encore mieux si le CDI lui-même était précaire ! Et c’est ce que vous nous proposez, d’une certaine manière !

Si je vous ai bien entendue, madame la ministre, il faut redonner confiance aux chefs d’entreprise pour recréer de l’emploi. Mais que faites-vous de toutes les études qui montrent qu’il n’y a pas de lien entre la protection de l’emploi et la montée ou la baisse du chômage ? L’ensemble des contre-réformes précédentes, dont les dernières remontent à l’année passée et qui n’ont d’ailleurs jamais été évaluées, n’a pas résolu le problème du chômage de masse en France.

Toutes les études conduites par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Organisation internationale du travail, la Banque mondiale et l’INSEE le démontrent, il n’y a pas de lien entre l’abaissement des droits et des garanties collectives et le règlement des problèmes de l’emploi et du chômage.

C’est également vrai à l’échelle européenne, avec les mini-jobs à l’allemande, les contrats zéro heure à l’anglaise, le Jobs Act à l’italienne ou encore les reçus verts à la portugaise. Peut-être ces pays ont-ils dégonflé artificiellement les statistiques du chômage, mais ils ont sûrement précarisé les travailleurs en plongeant nombre d’entre eux dans la misère, sans aucun effet réel sur l’emploi.

Selon la dernière note de conjoncture de l’INSEE, même les employeurs de notre pays ne placent la complexité du code du travail qu’au quatrième rang de leurs préoccupations comme frein à l’emploi, bien loin derrière l’incertitude économique, c’est-à-dire le niveau de croissance ou les difficultés à recruter du personnel qualifié et compétent.

En réalité, c’est un projet de loi d’habilitation très politique, déconnecté des réalités, dangereux pour la performance de l’économie et notre équilibre social que le Président de la République vous demande d’autoriser, mes chers collègues, un texte qui va même au-delà des recommandations de la très libérale Commission européenne, laquelle saluait, dans les textes précédents – lois Macron, Rebsamen et El Khomri –, des « progrès substantiels ». Mais le Président de la République voudrait absolument « taper sur la table »…

Nous disons stop, et c’est pourquoi défendons cette motion tendant à opposer la question préalable !

Ce que nous voulons, c’est construire un nouveau code du travail plus simple et plus protecteur, qui réponde aux défis du XXIe siècle, qui donne de nouveaux droits aux salariés et aux comités d’entreprise pour faire primer l’outil de travail sur la rapacité des fonds de pension prédateurs d’emplois ou les licenciements boursiers, un code du travail qui anticipe les mutations économiques, les évolutions technologiques, qui prenne aussi en compte les nouvelles aspirations des jeunes.

La question des plateformes numériques, par exemple, n’est pas traitée dans ce texte. Pourtant, il est urgent de protéger les travailleurs concernés, et ce serait possible même en leur préservant une large indépendance, avec la définition d’un nouveau contrat de « salarié autonome ».

C’est ce que propose le GR-PACT, le groupe de recherche pour un autre code du travail, qui a rédigé une version quatre fois plus courte que l’actuel code et qui devrait être la vraie base de travail pour une remise à plat digne de ce nom. Ce remarquable travail, que vous ignorez malheureusement, madame la ministre, a été effectué par une vingtaine d’universitaires sous la direction d’Emmanuel Dockès, en concertation avec des syndicalistes de toutes les confédérations représentatives des salariés, sans exception.

Mes chers collègues, parce que ce travail ne peut être ignoré, parce que le postulat sur lequel vous fondez ce projet de loi d’habilitation est manifestement erroné, parce que nous avons à cœur de défendre et le dynamisme de l’économie et la protection des salariés, je vous invite à voter la question préalable !

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