Intervention de Guillaume Arnell

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo de Guillaume ArnellGuillaume Arnell :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays connaît depuis plus de trois décennies un chômage de masse et les politiques des différents gouvernements qui se sont succédé durant cette période n’ont eu qu’un impact marginal sur la courbe du chômage. Il est évident que nous devons entreprendre des réformes et adapter notre droit du travail aux nécessités de notre époque.

Pour reprendre vos propos, madame la ministre, lors de votre audition devant la commission des affaires sociales, il faut « libérer la dynamique de création d’emplois, tout en confortant les protections des salariés, réformées pour correspondre au monde d’aujourd’hui et de demain ».

Les différents gouvernements, de droite comme de gauche, étaient bien sûr tous convaincus qu’ils détenaient la solution. Il faut avouer qu’ils ont rivalisé d’imagination pour mettre fin à ce fléau. Pourtant, force est de constater qu’ils n’ont pas réussi. Je pense tout particulièrement à mon île et à l’ensemble des territoires ultramarins, où le taux de chômage avoisine 25 %.

Peut-être est-il temps d’observer chez nos voisins ce qui fonctionne.

Vous avez également déclaré, madame la ministre, que vous recourriez aux ordonnances parce qu’elles articulent la démocratie politique – grâce au débat au Parlement sur les projets de loi d’habilitation puis de ratification –, et la démocratie sociale, ce qui est bien le moins pour un projet de loi dont l’objet est de renforcer la démocratie sociale.

Je me félicite bien évidemment que vous ayez respecté l’article L. 1 du code du travail, cher au président Larcher, concernant les modalités de concertation des partenaires sociaux sur toute réforme, contrairement à votre prédécesseur !

Je ne peux cependant pas en dire de même concernant votre choix de recourir aux ordonnances, a fortiori sur un texte de cette importance, d’abord par principe. Les ordonnances constituent une forme de « législation déléguée » qui affaiblit le rôle du Parlement, au même titre qu’une interprétation trop restrictive du droit d’amendement ou le recours systématique à la procédure accélérée. Ce faisant, elles renforcent les postures manichéennes au lieu d’exploiter la force de proposition des parlementaires. Ce n’est pas notre vision du travail législatif.

Chacun devrait se rappeler que les ordonnances étaient à l’origine une procédure exceptionnelle destinée à faire face à une situation urgente et pour un délai limité seulement, comme le soulignait l’avant-projet constitutionnel en date du 29 juillet 1958.

En 2005, dans un retentissant article, dont chacun se souvient, intitulé L’été des ordonnances, le professeur Delvolvé avait à juste titre critiqué un « dérèglement juridique et politique » s’étant progressivement étendu à des pans entiers du droit, en premier lieu au droit de l’outre-mer. Année après année, nous constatons que ces mauvaises habitudes estivales ont la vie dure ! Nous voyons ainsi d’un mauvais œil le fait que le Gouvernement y ait recours dès ses premières semaines au pouvoir, sans que l’urgence soit véritablement caractérisée.

Dans le cas particulier de dispositions sur les conditions de travail, nous pensons que cela conduit à remplacer la démocratie parlementaire par la démocratie sociale, plutôt que de les articuler entre elles.

Certes, ce projet de loi d’habilitation est conforme à l’engagement pris pendant la campagne du Président de la République qui souhaitait légiférer par ordonnances « pour des raisons d’efficacité et de rapidité ». Pour autant, et le rapporteur l’a très justement rappelé, le champ de ce projet de loi d’habilitation est extrêmement vaste et certains aspects auraient pu être traités ultérieurement, et non dans des délais particulièrement courts alors même que la concertation avec les partenaires sociaux doit se poursuivre au moins jusqu’à la fin du mois de septembre.

Les membres du RDSE, comme sinon l’ensemble du moins la majorité des sénateurs, sont réticents au fait de signer un chèque en blanc au pouvoir exécutif, quel qu’il soit, s’agissant surtout d’une réforme d’une telle ampleur. Pour obtenir le feu vert du Parlement, le Gouvernement se doit d’être plus précis. Aussi, j’espère, madame la ministre, que vous comprendrez la nécessité d’apporter des précisions au cours de nos débats.

J’aborderai maintenant quelques points en particulier.

J’évoquerai d’abord le compte pénibilité.

Il est certes important de simplifier un dispositif dont l’application risque d’entraîner, il faut bien le reconnaître, quelques difficultés, mais qui représente un progrès social majeur pour les salariés exposés à des travaux pénibles. Pour autant, nous déplorons la démarche qui est la vôtre et qui consiste à associer la pénibilité à une réparation. En effet, le projet de loi d’habilitation n’autorise que le départ en préretraite des salariés déjà malades, dont le taux d’invalidité est au moins de 10 %. Ce n’est pas acceptable. Madame la ministre, nous devons absolument nous fixer pour un objectif de permettre aux salariés exposés à des travaux pénibles de partir en retraite en bonne ou assez bonne santé !

Par ailleurs, comme l’a rappelé Gilbert Barbier en commission, « la lettre du Premier ministre aux partenaires sociaux atteste de ce manque de prise en compte de la prévention des risques. Se contenter d’une visite médicale en fin de carrière pour évaluer les droits du salarié est un peu rapide ».

J’évoquerai maintenant les autres dispositions du texte.

Si un certain nombre de sénateurs du groupe du RDSE sont favorables au texte adopté par l’Assemblée nationale, la majorité de notre groupe ne pourra apporter son entier soutien à la version présentée par notre commission des affaires sociales, qui marque, il nous semble, un recul pour les droits des salariés.

Je pense en premier lieu aux modifications apportées à l’article 1er, et principalement à la représentation des salariés dans les petites entreprises, notamment celles de moins de cinquante salariés. Vous l’avez rappelé devant la commission, « sous ce seuil, où travaillent 55 % des salariés, seulement 4 % des entreprises disposent de délégués syndicaux ou de représentants du personnel mandatés par une organisation syndicale, ce qui revient à dire que le dialogue social ne peut aboutir à des accords d’entreprise, alors qu’on a particulièrement besoin de souplesse dans ces entreprises ».

Je regrette également la version adoptée en commission, qui prévoit notamment de contourner les organisations syndicales en permettant aux employeurs dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel et, en leur absence, directement avec le personnel.

Le texte dont nous allons débattre est un projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Or, monsieur le rapporteur, selon nous, la version que vous nous proposez porte atteinte au dialogue social et à la présence des syndicats dans les petites entreprises.

Nous savons, madame la ministre, que vous recherchez des solutions pour permettre à ces salariés d’avoir accès au dialogue social. Je pense qu’il faut vous laisser le temps de trouver un dispositif qui réponde aux spécificités des petites entreprises.

Concernant l’article 3, relatif à la sécurisation des relations de travail, la commission des affaires sociales a adopté plusieurs modifications qui ne nous semblent pas aller dans le bon sens, telles l’instauration du droit à l’erreur au bénéfice de l’employeur pour lui permettre de rectifier des irrégularités en matière de motivation dans la lettre de licenciement ou la réduction à six mois du délai de recours sur la régularité ou la validité d’un licenciement pour motif économique.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, les sénateurs du RDSE seront particulièrement attentifs aux débats et détermineront leur vote final au regard des modifications qu’aura apportées la Haute Assemblée.

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