Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Derrière le mot d’ordre « modernité », quel est le modèle que vous souhaitez mettre en place ?

Est-ce celui de la « flexisécurité » à la danoise, qui allierait une plus grande facilité de licenciement et une bonne indemnisation des demandeurs d’emploi ? Depuis les années quatre-vingt-dix, il a pourtant été démontré que la flexibilité des droits prend largement le pas sur la sécurité des salariés. Nous avons vu, lors de la crise de 2008, que ce modèle a moins bien résisté que le nôtre ; on a observé au Danemark une forte hausse du taux de pauvreté, notamment chez les jeunes.

En réalité, en France, la flexisécurité existe depuis longtemps. Comme le dénonce l’économiste Anne Eydoux, « dans les années 1980, lors de la réforme du temps partiel, le Gouvernement avait assuré que cette mesure allait enrichir la croissance, en amenant les femmes à l’emploi. Sauf que le taux d’emploi des femmes a à peine augmenté ; par contre le nombre de femmes en temps partiel a, lui, doublé en quinze ans. »

C’est bien la preuve que la flexibilité, loin de réduire les inégalités, les aggrave : 70 % des salariés se déclarant en situation de sous-emploi sont des femmes !

Madame la ministre, mes chers collègues, je suis au regret de vous dire qu’asservir les salariés en augmentant à votre guise leur temps de travail, en dégradant leurs conditions de travail ou encore en diminuant librement leur salaire, n’a rien d’un modèle et n’est en rien moderne.

Vous mettez en avant, comme contrepartie de la flexibilité, une sécurité renforcée pour les travailleuses et les travailleurs. La sécurité des salariés, à vos yeux, consiste donc à remplacer le compte de prévention de la pénibilité par un compte de réparation. La sécurité, c’est enfin, selon vous, la barémisation des dommages et intérêts, qui permettra aux employeurs de connaître à l’avance le prix d’un licenciement abusif, et donc de l’organiser.

Affaiblir le droit du travail pour promouvoir la négociation s’inspire aussi du modèle nordique, alors même que la construction du dialogue social est très différente dans notre pays. Contrairement au système de cogestion danois, la France a en effet inscrit les obligations de négocier dans le droit.

Le Gouvernement veut privilégier les accords d’entreprise au détriment des accords de branche. Mais aujourd’hui, dans les TPE, où il n’y a pas de représentants du personnel, ce sont les accords de branche qui servent de protection. Pourquoi l’ignorer ?

De bien mauvaise foi sont ceux qui nient aujourd’hui le lien de subordination existant entre un employeur et ses salariés. Vous pouvez le supprimer dans tous les textes que vous voudrez, il n’en cessera pas moins d’exister. Nous l’avons vu en commission : non seulement la majorité sénatoriale vous apporte son soutien le plus total, mais elle veut aller plus loin encore, en autorisant notamment les entreprises de moins de 50 salariés à s’affranchir tout bonnement de l’obligation de négocier avec les représentants du personnel. Gardons à l’esprit, mes chers collègues, que 95 % des entreprises ont moins de 50 salariés. Cela voudrait donc dire que, à l’avenir, 95 % des salariés ne bénéficieront plus d’aucune protection collective.

Non seulement cette liquidation en règle du code du travail ne réglera pas le problème du chômage, mais elle aggravera les conditions de travail dans les entreprises. Elle occasionnera burn-out, baisses de productivité, au rebours de ce que l’on est en droit d’exiger au XXIe siècle.

Libérer le travail, c’est au contraire, pour nous, lui redonner du sens, c’est soutenir la créativité des salariés, c’est mettre l’humain au cœur de l’entreprise en donnant des pouvoirs nouveaux aux salariés sur tout ce qui a trait à leurs conditions de travail mais aussi, plus largement, à la gestion même de l’entreprise. Libérer le travail, c’est assurer la sécurisation des parcours professionnels à travers l’emploi et la formation, comme nous le préconisons au moyen d’une proposition de loi.

Mes chers collègues, ne vous y trompez pas : le Gouvernement est parfaitement conscient d’opérer un hold-up législatif, sinon il n’agirait pas à ce point dans l’urgence. S’il y a urgence, c’est que le Gouvernement est conscient qu’un tel texte ne serait pas passé si facilement dans le cadre d’un processus législatif normal. Personne n’est dupe. Je me permettrai de pointer qu’il est tout de même assez cocasse de prétendre renforcer le dialogue social en passant par des ordonnances qui musèlent le Parlement.

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