Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné M. le rapporteur, le présent projet de loi retient un grand nombre de propositions qui ont déjà été défendues par le Sénat.

Depuis longtemps, en effet, nous dénonçons le décalage existant entre la réalité des relations de travail et le cadre légal dans lequel vivent les entreprises et les salariés français.

Nous avons plaidé pour la primauté de l’accord d’entreprise, que nous retrouvons dans le présent texte, en partant du principe que la prise de décision doit se faire au plus près des acteurs, là où la relation de travail s’établit et où les objectifs de l’entreprise sont réalisés.

Nous avons demandé la réduction de la durée des procédures judiciaires, qui est tout de même, en moyenne, de vingt et un mois en France !

Nous avons recommandé la fusion des instances représentatives du personnel, pour simplifier les prises de décision, et expliqué l’utilité des contrats de mission.

Nous avons à plusieurs reprises déploré l’incroyable complexité des formalités imposées aux employeurs par la création du compte de prévention de la pénibilité.

Par une ironie des destins politiques, le présent projet de loi prévoit des dispositions inscrites dans un premier temps dans le projet de loi « travail », puis abandonnées sous la pression des syndicats et des « frondeurs ».

Ce fut le cas, notamment, de la création d’un barème obligatoire harmonisant les dommages et intérêts versés au salarié en cas de licenciement abusif. La France est l’un des rares pays à ne pas prévoir de plafond pour ces indemnités, et leur montant peut varier du simple au triple ! Cela crée une grande insécurité juridique pour les employeurs, notamment les TPE-PME, qui voudraient embaucher. La loi « travail », qui devait résoudre ce problème, n’a finalement rien réglé, car on a renoncé à donner un caractère impératif au barème.

De la même manière, lors de l’examen du même texte, le gouvernement précédent abandonna, après de longues discussions, la défense d’un périmètre national permettant d’apprécier les difficultés d’une filiale d’un groupe licenciant en France. De nouveau, la sécurisation des règles du licenciement était oubliée, et l’on maintenait des règles plus restrictives que celles qui existent dans la majorité des autres pays européens. Dès lors, comment s’étonner que les investisseurs fuient notre pays et son cortège de rigidités ?

Le présent projet de loi tendrait à revenir sur ces tentatives avortées du précédent gouvernement. J’emploie le conditionnel car, malheureusement, si nous connaissons la plupart des intentions du Gouvernement, grâce aux déclarations qui ont accompagné sa communication, tout est loin d’être clair, du fait de la procédure employée.

Bien que le format des ordonnances permette d’agir rapidement – ce qui est important en matière d’emploi –, la manière dont cette procédure a été mise en œuvre soulève des inquiétudes.

Tout d’abord, le flou entoure la plupart des articles. Vous nous répondrez, madame la ministre, que les précisions figureront dans les ordonnances. Mais un projet de loi d’habilitation, s’il fixe des objectifs, doit également indiquer le positionnement qui leur est attaché. Or, ici, même sur des sujets très importants, nous ne pouvons avoir aucune certitude, en raison du parallélisme entre l’examen du texte par le Parlement et la tenue de négociations avec les partenaires sociaux. Le travail parlementaire s’en trouve faussé.

Par exemple, à l’article 1er, un sujet important est évoqué, celui de la qualification du licenciement d’un salarié ayant refusé une modification de son contrat de travail par un accord de flexisécurité. Le texte du projet de loi vise simplement « l’harmonisation du régime juridique de la rupture du contrat de travail ». Or, de la nature d’un tel licenciement dépendra concrètement l’instauration ou non d’un plan de sauvegarde de l’emploi par l’entreprise, procédure lourde et contraignante. Vos déclarations sur le sujet, madame la ministre, traduisent votre volonté d’éviter une telle procédure, mais que sortira-t-il du texte issu de la concertation ? Nous savons qu’il s’agit d’un point de friction majeur avec les syndicats.

L’alinéa prévoyant de « faciliter le recours à la consultation des salariés pour valider un accord » constitue un autre exemple. Avouez, madame la ministre, que la formule est sibylline ! Chacun se doute, en raison de l’engagement de campagne du candidat Emmanuel Macron, qu’il s’agit de permettre à un employeur de prendre l’initiative d’un référendum lorsqu’il n’a pas été possible d’obtenir un accord majoritaire. Toutefois, la neutralité du texte permet n’importe quelle interprétation. Si le projet de loi n’apporte pas plus de précisions, si l’étude d’impact ne remplit pas son rôle, le texte devient une coquille vide, et l’accord des parlementaires reposera sur du sable. Rien n’est tranché, tout est remis aux « aléas » de la concertation.

Vous me direz que nous aurons l’occasion de voter une seconde fois, sur le projet de loi de ratification des ordonnances, mais tout sera déjà joué en réalité, puisque les ordonnances entreront en vigueur dès leur publication au Journal officiel, notre vote leur permettant simplement d’acquérir force de loi.

Je me réjouis donc que notre président-rapporteur, Alain Milon, ait scrupuleusement comblé les espaces vides, en inscrivant clairement dans le texte plusieurs avancées qui n’y figuraient que sous la forme de principes généraux et en l’enrichissant de plusieurs propositions.

Notre groupe, partageant le même esprit constructif, a déposé des amendements de simplification, afin de régler certaines difficultés rencontrées au quotidien par les entreprises.

Ce projet de loi fait figure de test, car si les concessions devaient s’y développer, il pourrait finir par ne plus ressembler du tout à ce qui était annoncé. Nous ne pouvons que vous alerter, madame la ministre, sur la désillusion que constituerait, pour les entrepreneurs, une loi qui ne déverrouillerait rien et qui complexifierait au lieu de simplifier. Je forme donc le vœu que les précisions apportées par le Sénat soient validées par le Gouvernement.

Il s’agira ensuite d’aller plus loin. Le facteur déterminant d’une décision d’embauche reste l’activité, le carnet de commandes. Les emplois sont créés s’il existe une dynamique économique dans le pays et si les entreprises peuvent s’y développer.

La Banque de France vient de relever sa prévision de croissance pour la France à 1, 6 % en 2017, en raison d’une amélioration de l’environnement européen. C’est une reprise, mais elle reste modérée. Je rappelle que la France se situe en dessous des 2 % de croissance de la zone euro. Pour aller au-delà, il faudra davantage qu’un assouplissement de la réglementation sociale ; il faudra d’importantes réformes structurelles. Il s’agit là d’un autre débat, que nous devrons avoir le plus rapidement possible, dans le respect du pouvoir d’initiative et de contrôle des parlementaires.

Notre vote sur ce texte représentera une première étape et vous aurez compris qu’il marquera, plus encore qu’une approbation, une véritable attente.

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