Intervention de Corinne Feret

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo de Corinne FeretCorinne Feret :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les Français, aujourd'hui trop nombreux à être écartés du marché du travail, demandent que nous œuvrions à l’émergence de solutions pour enrayer ce terrible fléau qu’est le chômage.

Si je partage le diagnostic établi par le Gouvernement d’un monde du travail entré dans une phase de profonds changements du fait de la mondialisation de l’économie, de la transition écologique ou de la révolution numérique, je suis en désaccord avec la méthode adoptée. Je note aussi des oublis, rien n’étant prévu, par exemple, en matière de médecine du travail.

J’avais espéré, madame la ministre, que votre ambition était d’ajuster notre modèle social et d’affronter les mutations qui sont déjà à l’œuvre. Or, dans ce texte, je ne vois pas la « flexisécurité à la française » tant promise !

Ce constat est encore aggravé par le démantèlement du code du travail opéré par la droite sénatoriale majoritaire, qui profite de ce projet de loi pour rogner sur les droits des salariés et rendre notre marché du travail toujours plus précaire, comme elle l’avait d’ailleurs fait au moment de l’examen de la dernière loi « travail ».

Cela est allé jusqu’à faire disparaître, en commission des affaires sociales, la seule disposition, issue d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale, qui précisait le champ du présent projet de loi d’habilitation et des futures ordonnances en y intégrant l’objectif d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans l’entreprise. Ce n’est pas acceptable !

Je souhaiterais revenir, tout d’abord, sur la méthode.

Très récemment, à Versailles, le Président de la République insistait sur sa volonté de revaloriser le rôle du Parlement pour légiférer mieux, dans la concertation. Je partage totalement ce point de vue.

Si je ne suis évidemment pas opposée au principe du recours aux ordonnances, tel que prévu par l’article 38 de notre Constitution, je regrette que le Gouvernement agisse aujourd’hui dans la précipitation.

La concertation sociale n’est pas encore terminée que nous sommes amenés à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances. En somme, vous nous demandez de vous autoriser à œuvrer à notre place et en notre nom pour refondre entièrement le code du travail et notre modèle social !

Au moment où nous examinons ce projet de loi d’habilitation, il nous est encore impossible d’apprécier avec justesse l’équilibre de la réforme, entre la sécurité que vous promettez et la flexibilité que vous nous proposez.

Si le recours aux ordonnances a pu se justifier par le passé, lorsqu’il s’est agi de mettre en œuvre un véritable progrès social avec la cinquième semaine de congés payés ou la retraite à 60 ans, rien ne justifie aujourd’hui un tel empressement pour rendre les règles de licenciement plus souples, développer les CDI dits « de chantier », plafonner les indemnités de licenciement prud’homales, fusionner les instances représentatives du personnel ou faire évoluer le compte pénibilité.

Ce sont là les grands axes de cette réforme, qui aurait mérité un dialogue social et citoyen approfondi, ainsi qu’un débat parlementaire respectueux du pluralisme.

Ne pouvait-on pas faire une évaluation des réformes passées, notamment la loi de Mme El Khomri ou la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, avant de s’orienter vers une refonte de notre droit du travail ? Un examen du détail des dispositions qui nous sont soumises montre que ni l’urgence, ni la portée, ni la technicité des sujets ne justifiaient, en fin de compte, ce recours aux ordonnances.

Au-delà de la méthode, je m’inquiète aussi du contenu de l’article 5, visant à reformer le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P. Avec ce texte, le C3P est transformé en simple compte personnel de prévention. Pourtant, madame la ministre, beaucoup de Français ont aujourd'hui un travail pénible et sont en souffrance. Leur nombre est même en forte progression : le volume des maladies professionnelles a augmenté, en moyenne, de 4 % par an entre 2005 et 2012. Selon une étude de décembre 2016 de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, la quasi-totalité des salariés relevant du régime général victimes de maladies professionnelles sont des ouvriers ou des employés. L’espérance de vie d’un ouvrier est toujours inférieure de plus de six ans à celle d’un cadre en France. En tant que représentants de la Nation, nous devrions nous accorder sur la nécessité de reconnaître la pénibilité au travail et ses conséquences.

Entré en vigueur par étapes depuis 2015, le compte personnel de prévention de la pénibilité permet aux salariés exposés à des travaux pénibles de cumuler des points afin de pouvoir partir plus tôt à la retraite, se former ou travailler à temps partiel sans perte de salaire. Si certains critères ne posent pas de problème, comme celui du travail répétitif ou de nuit, le Gouvernement souhaite écarter du dispositif quatre critères d’une importance majeure : la manutention manuelle des charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Pour ces quatre critères, on ne sera plus dans une logique de prévention : il s’agira uniquement de permettre à ceux qui sont atteints d’une invalidité de plus de 10 % de partir à la retraite plus tôt.

Le Gouvernement en revient ainsi à la loi Fillon du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, qui permettait de constater l’invalidité. On renonce à la logique de prévention, pour privilégier une logique de réparation. Pourtant, dans son discours de politique générale, le Premier ministre avait déclaré que la prévention serait le pivot de la stratégie nationale de santé devant être examinée à l’automne. Dans les faits, les entreprises ne seront plus véritablement incitées à réduire les situations de travail pénible.

À cet instant, mes pensées vont aux salariés de l’entreprise Tréfimétaux de Dives-sur-Mer, dans mon département du Calvados, ainsi qu’à ceux de la « vallée de la mort », près de Condé-sur-Noireau, malades de l’amiante, qui a déjà causé bien trop de décès.

Cet exemple de l’amiante illustre parfaitement l’impossibilité de réparer des maladies professionnelles qui se déclarent après le départ à la retraite. On nous dit que le dispositif serait trop complexe, qu’il engendrerait trop de bureaucratie pour les PME. Je veux bien l’entendre, mais je note tout de même que certaines branches professionnelles, les plus volontaires, sont parvenues à établir un référentiel applicable à toutes les entreprises de leur secteur. À mon sens, quand un dispositif est complexe, il vaut mieux chercher à l’améliorer plutôt que de revenir sur ses principes fondateurs.

En conclusion, madame la ministre, je suis très attachée à la progression des protections et des droits des salariés, notamment de ceux qui travaillent le plus durement. Notre code du travail n’a pas été conçu, comme vous l’avez affirmé, « pour embêter 95 % des entreprises ». Fruit d’une histoire jalonnée d’avancées sociales, notre législation compte nombre d’acquis et de protections qu’il serait dangereux de supprimer.

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