Intervention de Eric Jeansannetas

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo de Eric JeansannetasEric Jeansannetas :

Si la méthode ne nous réjouit pas, nous respectons la démarche, en émettant, bien sûr, des réserves.

Nous partageons en partie le diagnostic : la situation du marché du travail n’est pas satisfaisante et il faut y remédier. Le rôle social du travail est essentiel et la lutte contre le chômage doit demeurer le cœur de nos priorités.

Nous sommes nombreux à être favorables à une refonte du droit du travail, afin de mieux l’adapter aux bouleversements liés, notamment, aux nouvelles technologies et au numérique.

Nous sortons toutefois d’un quinquennat riche en réformes dans ce domaine. Citons la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Certains de leurs dispositifs ne sont pas encore mis en œuvre que nous recommençons à légiférer. Veillons à ne pas être contre-productifs, en créant une instabilité juridique pour les entreprises !

Je tiens par ailleurs à souligner que les réformes menées par la précédente majorité commencent à porter leurs fruits. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, a récemment annoncé que 2 millions d’embauches ont été déclarées au deuxième trimestre de 2017, dont près de la moitié en CDI. Le dispositif « embauche PME » n’y est sans doute pas pour rien !

Il convient de s’interroger sur l’opportunité d’accumuler les réformes avant de connaître les effets réels de celles qui ont déjà été engagées. Je demande donc au nouveau gouvernement et à vous-même, madame la ministre, d’être intransigeants sur l’évaluation des dispositifs mis en place.

Le texte que nous étudions aujourd’hui vise seulement à déterminer le champ d’intervention des ordonnances à venir. Il est donc bien compliqué d’avoir un débat sur le fond, alors même que les négociations avec les organisations syndicales viennent de s’achever. Nous reconnaissons d’ailleurs la réalité du dialogue mis en place, que nous saluons. Nous demandons simplement, madame la ministre, que vous soyez extrêmement attentive aux revendications des syndicats de salariés.

En effet, nous souhaitons que vous aboutissiez à des textes équilibrés. Il est indispensable de renforcer les garanties accordées aux salariés et aux travailleurs indépendants. Sécuriser les employeurs ? D’accord, si cela peut favoriser les embauches, mais il doit y avoir des contreparties en termes de bien-être des salariés.

Nous serons donc particulièrement vigilants au moment d’examiner le contenu des ordonnances, s’agissant notamment du travail de nuit, qui doit rester exceptionnel. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale nous rappelle régulièrement, dans ses rapports, que le travail de nuit comporte des risques pour la santé. Il doit donc être particulièrement encadré.

Nous serons également prudents en ce qui concerne le champ du CDI de chantier. Pourquoi ne pas l’étendre à des missions précises, dès lors qu’elles sont limitées dans le temps, si cela peut favoriser l’embauche ? Cependant, ce type de contrat ne doit en aucun cas devenir la norme. Son utilisation doit rester circonscrite à des domaines spécifiques et clairement identifiés.

Nous serons aussi attentifs à l’éventuelle mise en place d’un barème obligatoire pour le calcul des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les syndicats de magistrats s’en inquiètent : selon eux, elle empiéterait sur le pouvoir d’appréciation des juges et déséquilibrerait le rapport de force entre employeurs et salariés. Par ailleurs, la réforme votée en 2015 créant un barème indicatif commence juste à entrer en vigueur : pourquoi ne pas procéder à une évaluation de cette mesure avant de se précipiter pour mettre en place un barème impératif ?

Enfin, nous sommes très attachés au compte personnel de prévention de la pénibilité. Madame la ministre, les propos que vous avez tenus lors de votre intervention liminaire nous ont quelque peu rassurés. Vous en avez appelé au pragmatisme et avez indiqué vouloir faire en sorte que le dispositif entre dans la réalité, afin que l’on n’en reste pas au stade des intentions.

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’est toutefois pas exactement le même que celui qui est issu des travaux de l’Assemblée nationale. Nos collègues de la droite sénatoriale se sont chargés de le « personnaliser » en commission des affaires sociales… Par les modifications apportées, ils l’ont d’ores et déjà déséquilibré, en le durcissant. Ils ont explicitement ouvert la voie, à l’alinéa 13 de l’article 1er, au référendum d’entreprise sur l’initiative de l’employeur. Cela permettrait à ce dernier de court-circuiter les organisations représentatives du personnel et lui conférerait une marge de manœuvre bien trop importante, compte tenu de la relation de subordination existant entre lui et les salariés.

Les modifications apportées à l’article 3 ne nous conviennent guère plus. Nous ne souhaitons pas la réduction de moitié du délai de contestation d’un licenciement économique, qui est aujourd’hui d’un an. Nous n’approuvons pas davantage l’introduction de la possibilité, pour les entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical, de « conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel ». Accorder un droit à l’erreur à l’employeur en matière de rédaction des lettres de licenciement ne nous paraît pas non plus nécessaire.

Nous ne souscrivons pas davantage, à ce stade de la procédure législative, à la limitation à trois du nombre de mandats consécutifs pour les membres de la future « instance unique » de représentation des salariés.

Mes chers collègues, nous devrons patienter jusqu’à la discussion des textes de ratification des ordonnances pour débattre sur le fond. C’est à ce moment-là seulement que nous pourrons examiner des mesures concrètes.

En attendant, nous considérons que le texte adopté par la commission des affaires sociales du Sénat a été déséquilibré par la majorité sénatoriale : elle a donné au cadre que constitue cette loi d’habilitation la forme d’un trapèze penchant vers les intérêts du patronat et la flexibilité sans restriction. Nous nous y opposons.

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