Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 24 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Muriel Pénicaud, ministre :

La possibilité de légiférer par ordonnances est inscrite dans la Constitution, même si ce n’est pas la pratique la plus fréquente. Un certain nombre de textes fondamentaux ont d’ailleurs été adoptés par voie d’ordonnances : deux des cinq lois Auroux et, dans un tout autre domaine, les textes accordant le droit de vote aux femmes et portant création de la sécurité sociale. Le recours aux ordonnances ne doit pas devenir un mode de fonctionnement normal et permanent, mais il est urgent de montrer à nos concitoyens, qui attendent un tel signal, qu’autre chose est possible dans ce pays, qu’un dialogue social et économique construit, positif permet de faire bouger les lignes, de libérer les entreprises, de leur donner confiance tout en protégeant les salariés.

Comment articuler les différentes formes de démocratie ?

En matière de démocratie sociale, les huit organisations représentatives des employeurs et des salariés ont été reçues par le Président de la République, avant de l’être par le Premier ministre et moi-même. Depuis le 9 juin, nous travaillons continûment et de façon approfondie avec les partenaires sociaux sur la teneur des ordonnances à venir. Nous avons organisé quarante-huit réunions, la dernière ayant eu lieu vendredi. Pour autant, la concertation n’est pas terminée. Dans le cadre du mandat que vous nous confierez, nous rédigerons des projets d’ordonnance avant de revenir vers les partenaires sociaux à la fin du mois d’août pour les leur présenter. Ensuite, nous consulterons les cinq organisations représentatives de salariés, ainsi que les syndicats patronaux. En parallèle, les projets d’ordonnance seront soumis au Conseil d’État. La concertation se poursuivra donc tout l’été.

Le président Larcher, quand il était ministre chargé de l’emploi et du travail, avait fait inscrire cette phase de concertation préalable avec les partenaires sociaux à l’article 1er du code du travail. Nous respectons complètement l’articulation entre démocratie sociale et démocratie parlementaire : les partenaires sociaux le reconnaissent, y compris ceux qui ne sont pas forcément d’accord sur le fond avec ce que nous envisageons.

En matière de démocratie parlementaire, sur 335 amendements examinés en première lecture par l’Assemblée nationale, 35 d’origine parlementaire, dont 5 émanant du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ont été adoptés. Nous avons donc accueilli favorablement, sans esprit partisan, des amendements issus de tous les bancs, selon une approche pragmatique. En revanche, nous nous opposons à l’inscription dans la loi d’habilitation ou dans les ordonnances de dispositions destinées à faire plaisir à tel ou untel, mais dont nous savons par expérience qu’elles ne fonctionneraient pas sur le terrain.

Notre fil rouge, c’est donc le pragmatisme, notamment pour ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, car si nous avons construit notre modèle social à une époque où l’emploi industriel dans les très grandes entreprises prédominait, tel n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Si l’on veut répondre aux attentes des entreprises comme des salariés, il faut s’inscrire dans le monde d’aujourd’hui et de demain, en prenant en compte, en particulier, la situation des entreprises de petite ou moyenne taille.

Le Sénat, plus que l’Assemblée nationale, dont beaucoup de membres sont nouvellement élus, connaît très bien ces sujets, sur lesquels il a beaucoup travaillé au cours des dernières années. Je compte donc sur vos avis et sur vos conseils. Nous pourrons aller loin dans la discussion et parvenir, je le pense, à une véritable coconstruction.

Le recours aux ordonnances est une forme un peu inédite d’articulation entre démocratie sociale et démocratie parlementaire, dans la mesure où l’une et l’autre interviennent non pas successivement, mais simultanément, ce qui peut, je le comprends, soulever des interrogations. Toujours est-il que le premier tour de concertation est achevé, ce qui me permettra d’exposer en séance plénière au Sénat plus précisément que je ne pouvais le faire voilà trois semaines quelles sont nos intentions et quels problèmes subsistent. Cela pourra alimenter vos débats et déterminer votre vote, que j’espère évidemment encourageant pour notre projet !

J’en viens à mon second point d’ordre général : l’articulation entre la loi, la branche et l’entreprise.

La loi fixe les dispositions d’ordre public. Il est important de le rappeler, car certains, en d’autres lieux, ont parlé d’inversion de la hiérarchie des normes. Or la loi s’impose à tous. Pour autant, a-t-elle vocation à régir dans le détail le quotidien de chaque entreprise ? Là est l’enjeu, et c’est pourquoi ce projet de loi est aussi un texte de décentralisation et de renforcement du dialogue social à l’échelon des entreprises.

Comme l’ont dit certains d’entre vous, cela signifie qu’il faut faire confiance aux acteurs. Si l’on croit que ni les employeurs, ni les organisations syndicales, ni les représentants élus du personnel ne sont aptes à discuter de ce qui les concerne, alors il ne faut pas voter ce projet de loi d’habilitation. Si l’on considère au contraire que faire confiance aux acteurs favorisera le progrès économique et social – sachant que, selon les sujets, le niveau le plus pertinent peut être soit la branche, soit l’entreprise –, on s’inscrit dans une démarche de changement culturel.

Notre rôle est à mon sens d’encourager le dialogue au sein de l’entreprise, de lui conférer davantage de matière. Cela permettra à la fois de saisir les opportunités de développement économique et de renforcer le dialogue social, et donc le progrès social.

Nous avons veillé à ne pas présenter un catalogue de mesures, car nous pensons que la question de fond est de savoir si l’on fait confiance aux acteurs économiques et sociaux pour saisir les opportunités de croissance et faire progresser la convergence économique et sociale. J’espère que le Sénat soutiendra cette démarche.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez abordé bien d’autres sujets : fusion des instances représentatives du personnel, petites entreprises, pénibilité, place du dialogue social dans la définition des orientations stratégiques, formation, parcours syndicaux, sécurisation des parcours professionnels, sécurisation juridique de différents éléments, relations entre l’administration et l’employeur, etc. Je reviendrai sur tous ces points au fil des débats.

Pour conclure, je m’adresserai en particulier à M. Dassault. L’intéressement-participation est effectivement l’une des réussites de ces dernières décennies, qui prouve que performance économique et justice sociale peuvent aller de pair. L’esprit de l’intéressement-participation rejoint tout à fait celui du dialogue social et économique, que nous souhaitons renforcer, avec votre contribution et votre soutien, au bénéfice des entreprises, des salariés et de la France.

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