Intervention de Mounir Mahjoubi

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 juillet 2017 à 17h00
Audition de M. Mounir Mahjoubi secrétaire d'état chargé du numérique

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État :

Je commencerai par la couverture numérique du territoire et les annonces que nous avons faites sur le sujet avec messieurs les ministres Mézard, Denormandie et Griveaux. La situation est celle que vous avez rappelée. En matière de couverture très haut débit, il existe trois types de zones aux problématiques distinctes : les zones très denses, les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement dites zones « AMII » et les zones correspondant à des réseaux d'initiative publiques, dites zones « RIP ». En parallèle se pose la question de la couverture mobile du territoire qui se partage en zones blanches, en zones grises et en zones gris-foncé, ces dernières correspondent à des zones déployées, mais où la « connectivité data » est trop faible.

Notre première démarche a été d'établir une cartographie des acteurs. Ils comprennent nos grands opérateurs historiques et les opérateurs nouveaux qui interviennent sur les RIP et sont de différentes natures : financeurs, déployeurs, opérateurs. Ils comptent également les collectivités territoriales, qui se scindent en plusieurs catégories : celles qui ont déjà investi, celles qui ont des projets, celles qui n'en ont pas les moyens, et celles qui n'en ont pas envie. Ces dernières sont peu nombreuses car les projets sont suffisamment matures et peu n'ont pas déjà démarré. D'autres acteurs publics sont également présents : ils comptent le secrétariat d'État au numérique, le ministère de la cohésion des territoires et le Plan France Très Haut Débit auquel nous avons présenté les objectifs d'une couverture haut et très haut débit d'ici 2020 et d'une couverture très haut débit d'ici 2022. Nous leur avons demandé comment faire, qui paie et quelle est la faisabilité industrielle et technique de ces objectifs. Cette démarche est accompagnée de l'intention de ne pas bouleverser le marché. Il ne s'agit pas de percevoir en un acteur comme la solution définitive. Notre philosophie générale est comparable à de la broderie fine : nous cherchons des solutions particulières afin de résoudre l'équation sur chacun des trois types de zones, en fonction du contexte géographique et de l'état de déploiement du réseau, afin de pouvoir tenir nos objectifs annoncés pour 2020 et 2022.

Mon agenda officiel pour la journée d'hier a consisté en des réunions avec le président de la Fédération française des Télécoms, avec Xavier Niel, avec Stéphane Richard. Julien Denormandie va également tous les rencontrer individuellement car il s'agit des grands acteurs du secteur. Nous allons en outre rencontrer les petits et moyens acteurs du secteur que nous avions reçus collectivement il y quelques semaines. Nous avons demandé à chacun de nous remettre des propositions engagées et créatives, nouvelles mais équilibrées, afin d'obtenir leur point de vue sur leur place d'acteur du numérique et les éléments qu'ils avaient à apporter. Certains ont répondu rapidement et publiquement à cette demande, d'autres ont besoin de plus de temps et ont souhaité répondre avant la fin du mois de juillet. Enfin, certains autres se sont mobilisés et ont demandé de pouvoir rendre une réponse en deux temps en traitant d'abord les moyens à disposition puis les solutions à des échelles géographiques précises. Nous avons, avec le ministère de la cohésion des territoires, souhaité trouver un équilibre. N'ayez donc pas la peur d'un éventuel « grand soir », d'une volonté de mettre à terre les RIP, ou de transformer la philosophie des zones AMII, ni de casser ce qui fonctionne correctement dans les zones denses.

Il existe néanmoins des sujets. Vous abordiez celui des offres proposées à travers les réseaux. Rappelons que, dans les zones RIP, le réseau est loué contre un droit d'utilisation à des opérateurs over-the-top (OTT) qui y fournissent leurs propres services. Si le droit d'utilisation est répercuté sur le consommateur, il représente un coût d'entrée sur un nouveau réseau pour les opérateurs. Ces coûts d'interconnexion ne sont d'ailleurs pas forcément très élevés. Vous décriviez d'ailleurs le cas de certains opérateurs qui ont été des candidats au RIP et qui en ont été évincés.

Notre objectif est ici de recréer une ambition commune pour tous ces acteurs afin que tous obtiennent satisfaction : que les opérateurs aient des déploiements industriels qui leur permettent d'amortir leurs investissements, que chacun des acteurs puisse continuer à déployer son activité et, c'est là le principal, que les citoyens disposent in fine d'une connectivité Internet. Nous avons décidé de travailler sur ce sujet au mois d'août, sur la base des propositions rendues avant la fin du mois de juillet, afin d'établir des propositions et recommandations mi-septembre. Les administrations concernées, CNIL et ARCEP travaillent ensemble afin de trouver des solutions.

Le réseau mobile va jouer un rôle important dans l'atteinte des objectifs fixés, puisqu'il permettra en partie d'atteindre l'ambition de 2020 dans l'attente de la réalisation des projets de 2022. Les Français auront, au cours de ce quinquennat, à constater de véritables changements sur la couverture territoriale et celle des foyers car je souhaite réellement une couverture pour l'ensemble du territoire. La question qui demeure est de savoir quand y parvenir mais il n'existe aucun territoire qui ne mérite pas cet accès. Il faudra dès 2020 s'engager fermement sur ce critère-là. J'ai, à ce titre, été particulièrement exigeant avec les opérateurs qui m'ont offert une véritable écoute. Lorsque l'on invite à la créativité, la parole se libère et il est possible d'écouter les demandes de chacun. Nous avons cartographiés les acteurs en indiquant l'état de leurs relations, ainsi que leur historique. Nous souhaitons maintenant y apporter un nouveau chapitre, car la problématique de la couverture nationale du territoire était une des priorités de notre campagne et il s'agit naturellement aujourd'hui d'une priorité du Gouvernement.

J'aborde maintenant la problématique de la fiscalité et de la loyauté des plateformes et des grands acteurs internationaux du numérique qui opèrent en France et en Europe. Je précise que je ne me prononcerai pas sur la situation des Google en France qui concerne en premier lieu la justice et l'administration fiscale. Plusieurs annonces ont été faites à ce sujet et des éléments d'envergure européenne étaient contenus dans la loi pour une République numérique. Nous avons été particulièrement clairs sur le sujet de la fiscalité lors de la campagne présidentielle et le serons encore plus dans les semaines à venir. La France veut prendre les devants. Nous allons continuer de collaborer avec l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi qu'avec la Commission européenne sur les projets déjà lancés. En lien avec les autres acteurs européens, nous voulons proposer des expérimentations nouvelles, afin de de faire évoluer la fiscalité qui s'applique à ces acteurs. Cette nouvelle fiscalité devrait permettre d'aboutir à une compréhension commune de la valeur créée sur le territoire national et européen et sur une taxation compréhensible par le citoyen. Les choses ont changé depuis cinq ans car les citoyens, en France comme en Allemagne, ont compris qu'existe un problème et leur prise de conscience est un préalable à la mobilisation des parties prenantes. Les citoyens aiment les services proposés par ces grands groupes sinon ils ne les utiliseraient pas autant tous les jours. Ils ont néanmoins compris l'existence d'enjeux autour de leurs données personnelles et de la fiscalité applicable à ces acteurs. Ces derniers ont intérêt à trouver des solutions à ces problèmes car ils disposent d'un marché qui les aime et les soutient, mais qui arrêtera peut-être de le faire dans le cas inverse. Il est donc nécessaire de stimuler la loyauté des plateformes au niveau européen pour éviter que les citoyens-consommateurs se tournent vers d'autres services. Pour cela, il faut une transparence de l'information afin qu'ils soient capables d'évaluer lesquelles de ces plateformes sont les plus loyales et les plus vertueuses en matière fiscale comme de gestion des données personnelles.

Les relations commerciales des plateformes avec les petits acteurs est un autre sujet d'actualité à la Commission européenne et au Conseil européen, qui travaillent à une régulation ad hoc. Aujourd'hui, une PME qui souhaite contester une clause du contrat qui la lie avec un de ces grands acteurs ne dispose d'aucun recours. La France, lors du dernier Conseil européen sur les télécoms, a proposé d'ouvrir plus largement la réglementation de ce marché inadapté. J'avais ainsi avancé l'idée d'une « soft incitation », au travers de la transparence de leurs modes d'action afin que les citoyens et les entreprises en prennent connaissance.

Le sujet du piratage et de l'Hadopi relève en premier lieu de la compétence du ministère de la culture. J'ai néanmoins des convictions et ai beaucoup échangé sur le sujet avec Françoise Nyssen. Ce sujet a également été largement débattu lors de la campagne au cours de laquelle j'étais responsable du numérique.

Le système en place est aujourd'hui arrivé à une phase de maturité qui doit nous inviter à se poser la question de son efficacité. Françoise Nyssen a, à ce titre, prévu d'établir un bilan de l'effectivité de la Hadopi. Un comparatif avec d'autres pays montre que d'autres solutions existent, permettant un meilleur équilibre entre l'incitation faite aux internautes et l'efficacité réelle sur les pratiques de streaming et de téléchargement. Ces solutions sont efficaces aujourd'hui contre le téléchargement de pair à pair, mais les pratiques ont tendance à muter en de nouvelles formes de streaming et de téléchargement direct, mettant en jeu d'autres types de plateformes illégales. Il faut donc mobiliser des moyens publics français et européens face à ces grandes plateformes, qui cachent souvent la même galaxie composée du téléchargement illégal, de la pornographie illégale et d'activités criminelles plus larges. Les enquêtes qui les visent doivent être mises en oeuvre de manière plus engagée au niveau européen, avec des équipes à la mesure de ces géants, disposant de compétences très avancées. La menace djihadiste pèse également sur le numérique et les moyens qu'elle mobilise explique le manque relatif de ressources consacrées à ces sujets. Le piratage doit maintenant s'entendre sous l'angle de ces nouveaux acteurs : l'adolescent qui télécharge n'est pas la principale menace. Il conviendra de trouver de nouveaux moyens intelligents, avec sa famille, pour le sanctionner et l'éduquer afin de modifier son comportement mais surtout de supprimer cette offre illégale massive et industrialisée.

Le pendant de ce problème est la promotion de l'offre légale. Contrairement à il y a dix ans, il existe aujourd'hui une offre légale de bonne qualité. Si l'État peut les y inciter, il faudra que ces acteurs fassent oeuvre de pédagogie et travaillent à l'accessibilité de leur offre.

Les sujets relatifs à la CNIL et à la CADA relèvent plus de la compétence de la ministre de la justice. Nous sommes d'ailleurs en train d'y travailler avec Mme Belloubet. Je vous demande de nous laisser encore un peu de temps pour avancer sur ce sujet commun et revenir vers vous durant l'été.

En ce qui concerne la loi pour une République numérique, les sujets de l'accessibilité téléphonique et du CRT sont maintenant en « phase 2 » et nécessitent une mise en oeuvre opérationnelle que l'État doit animer. Le premier décret d'application a été pris. Il décrit les compétences nécessaires aux personnes souhaitant assurer le service. Comme pour la couverture nationale du territoire, se pose maintenant la nécessité d'un engagement positivo-coercitif à avoir vis-à-vis des acteurs chargés de porter le sujet et qui vont devoir faire face à des dépenses. Mais ne doutez pas de la motivation du Gouvernement. La question qui se pose encore n'est pas celle de savoir si cela va aboutir mais quand et comment cela va aboutir, avec quels moyens et quelle organisation. Je pourrai être plus précis lorsque les acteurs auront pris des engagements, comme je les ai invités à le faire. On conçoit aisément que ceux à qui on demande de payer un service nouveau expliquent que ce n'est industriellement pas faisable.

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