Intervention de Mounir Mahjoubi

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 juillet 2017 à 17h00
Audition de M. Mounir Mahjoubi secrétaire d'état chargé du numérique

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État :

Je suis un soutien historique des mesures de cette loi auxquelles vous faites référence. Elles vont prendre forme et nous savons qui paiera ; je ne peux en revanche pas vous dire quand cela arrivera.

Le discours de politique générale du Premier ministre a fait référence à l'intelligence artificielle. Grâce au projet porté par Axelle Lemaire à la fin du quinquennat précédent et au rapport du Sénat sur le sujet, nous commençons à avoir une bonne vision des capacités de la France. Elles concernent aussi bien la recherche que les startups ou grands acteurs français de ce secteur que le potentiel économique de certains secteurs. Il manque aujourd'hui une réflexion plus poussée sur l'enjeu éthique et sur ce que pourrait être une véritable stratégie française pour l'intelligence artificielle. C'est dans ce but que m'a été confiée une mission au cours des trois prochains mois, à la suite du discours de politique générale du Premier ministre. J'annoncerai dans les jours ou les semaines à venir le nom du porteur de cette mission. Il devra réunir des experts de différentes disciplines économiques ou scientifiques, sciences humaines comprises, pour se poser toutes les questions soulevées à l'occasion des précédents plans et rapports, afin de construire la stratégie française pour les années à venir. Ce groupement devra apporter une conclusion au cycle connu ces trois dernières années. Je porterai cette conclusion avec le Premier ministre et elle sera présentée au Président de la République et au Parlement.

La souveraineté est un sujet important. Vous avez parlé de la dépendance technologique aux grands acteurs. Ce problème ne concerne pas que les grandes plateformes précédemment évoquées, mais également les constructeurs de matériel informatique hardware. Nous manquons aujourd'hui de références européennes sur des équipements stratégiques pour l'État et ses grands opérateurs. Pour certains éléments, il n'existe même aucune référence européenne. Il est donc nécessaire de relancer une industrie compétitive sur les socles technologiques avancés sur la transmission de données comme leur hébergement, ainsi que sur les équipements stratégiques mobiles ou en lien avec le réseau fixe.

La protection des données par les grandes plateformes est en lien avec le free flow of data et le Privacy shield. Ces deux sujets ont fait s'interroger sur la question de savoir si un État est plus souverain lorsqu'il stocke ses données sur son territoire national ou s'il l'est moins s'il ne les maîtrise plus. Lorsque des données sont conservées sur le sol d'un pays comme les États-Unis, il existe certes une relation de confiance mais que on n'a pas envie de leur confier des données relatives à certains services. Le problème se pose dans les deux sens puisque l'Europe et la France hébergent de nombreuses données américaines. Le Privacy shield permet que des services commerciaux opèrent de part et d'autre de l'Atlantique avec des conditions et des garanties de sécurité offertes par les deux parties et la possibilité de vérifier la protection de ces données, que les services de renseignement n'y ont pas aisément accès et qu'il existe bien une capacité de contrôle. La demande de la France à la Commission européenne dans le cadre des discussions portant sur le Privacy shield va dans le sens de la défense de notre souveraineté, puisque nous souhaitons pouvoir exiger de nos contreparties étrangères qu'elles mettent bien en place les systèmes de protection annoncés.

Cette position amène à s'interroger sur la capacité de la France et de l'Europe à héberger leurs propres données relatives aux sujets les plus stratégiques et à opérer depuis l'Europe des grands services dans le cloud, car des incapacités technologiques font parfois obstacle à ce que des entreprises ou des administrations françaises puissent délivrer certains services.

Comme vous le souligniez, madame la présidente, les acteurs jouent un rôle important en ce qui concerne la souveraineté. Il est donc nécessaire de compter sur une bonne filière industrielle vivante, c'est-à-dire d'acteurs capables de grands investissements pour proposer de vraies innovations, mais aussi d'acteurs plus modestes qui se créent, se développent, parfois meurent, mais avancent. L'existence de ces deux types d'acteurs est nécessaire, comme le fait qu'ils travaillent ensemble. Il existe actuellement des « trous » dans nos filières numériques, en matière de hardware, de cloud ou de cybersécurité. Nous avons dans ce dernier domaine la possibilité de devenir un champion mondial. C'est également le cas pour le numérique de l'environnement, comme pour certains autres sous marchés numériques. Il faut donc que nous nous y engagions. Les conditions sont particulièrement réunies pour la cybersécurité : il est possible de faire émerger une véritable maîtrise nationale et européenne dans ce domaine. Nous disposons en effet d'acteurs de toutes les tailles, d'un marché intérieur qui se développe ainsi que d'un État qui possède une expertise et qui est acheteur de solutions. Certains pays souhaitent aujourd'hui pouvoir bénéficier de l'offre française comme alternative aux offres fournies par les autres leaders de la cybersécurité. La défense de notre propre souveraineté peut donc se transformer en atout commercial pour l'exportation vers des pays qui ont une confiance absolue dans notre industrie.

En réponse à la question de Madame Lepage, je vous indique que le vote électronique constitue un bon exemple pour aborder la vision et la stratégie de l'État-plateforme, car il en concentre les questions les plus complexes que sont la confiance, l'identité et la démocratie. L'État-plateforme correspond aux éléments numériques que l'État doit fournir pour pouvoir assurer toutes ses missions. Un de ses enjeux porte sur la possibilité identifier les citoyens de manière fiable. Face à un service et en fonction de son importance et de son caractère sensible, il est nécessaire d'authentifier l'usager de manière sécurisée. Aujourd'hui FranceConnect fournit une authentification donnant accès des services sans niveau haut de sécurité puisqu'en lien avec des informations qui ne sont pas particulièrement sensibles pour l'État comme pour l'usager. Le problème est différent pour le vote car il serait très déplaisant que quelqu'un puisse voter à la place d'un autre.

En outre, les pays qui ont mis en place un système de vote à distance font face à des doutes et des rumeurs sur une éventuelle capacité à modifier les informations stockées relatives aux suffrages exprimés. Le problème de la confiance se cristallise sur le vote électronique car le vote est depuis toujours un sujet de défiance. C'est la raison pour laquelle l'usage d'une urne transparente et de procédures ad hoc sont apparus nécessaires. Si elles paraissent désuètes aux plus jeunes, elles font néanmoins partie du charme de l'élection pour les élus locaux que nous sommes. L'absence de ce charme dans les villes où le vote est électronique crée un peu de déception à obtenir si rapidement le résultat du scrutin. C'est encore plus décevant lorsque l'on vote depuis son ordinateur puisque le résultat sera encore plus rapide. Sur des votes moins sensibles, par ailleurs bons lieux de test, comme les élections professionnelles, on passe par des tiers de confiance, en l'occurrence l'entreprise. Elle va être le garant du processus de vote électronique.

Pour parvenir à mettre en oeuvre le vote électronique, il sera donc nécessaire d'avoir assumé la confiance et l'authentification. Cela prendra encore un peu de temps. Je propose, en attendant, que l'on identifie, au travers du vote des Français de l'étranger, les solutions possibles pour y parvenir. Ces solutions peuvent être une alternative à faire la queue devant un consulat qui peut parfois se situer à plusieurs centaines de kilomètres de son domicile. Un groupe de travail va être constitué sur le sujet mais nous disposons déjà d'éléments en lien avec le vote à distance ou la procuration qui demeure un mécanisme encore très compliqué pour les Français de l'étranger. La conjonction de sa simplification avec les moyens du numérique permettrait d'arriver à des évolutions avant d'avoir à s'attaquer aux deux éléments complexes déjà cités que sont la confiance dans le stockage d'une information liée à la démocratie et l'authentification forte. Il est nécessaire de concilier solutions immédiate et construction sur le long terme.

Certes, des scrutins par Internet ont déjà eu lieu en 2012 pour les élections législatives. Mais, à l'époque, le système n'avait pas été audité par les services de sécurité français. Or la menace a évolué depuis et nous avons des ennemis qui sont organisés et bénéficient de plus de moyens humains, financiers et technologiques. Nous disposons de notre côté de compétences pour protéger nos systèmes mais ces mêmes compétences nous permettent de constater que ces dispositifs ne sont pour le moment pas encore à la hauteur des enjeux.

J'entends les différentes invitations qui m'ont été faites dans vos territoires respectifs. Comptez sur moi pour les honorer car je prévois plus de déplacements au sein des territoires qu'à l'étranger. Je serai dans la Creuse puis à Marseille au mois d'août avant de me déplacer en Ile-de-France au mois de septembre. La campagne présidentielle m'a donné la chance d'effectuer un tour de France des sujets du numérique au cours duquel j'ai pu animer des réunions publiques en milieu rural qui réunissaient moins d'une dizaine de personnes. Cela n'avait pas d'importance car elles étaient l'opportunité de parler avec plaisir de ces sujets.

Mon cabinet est toujours à votre disposition. Les nouveaux députés nous adressent d'ores et déjà directement leurs questions et nous répondrons toujours également aux vôtres.

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