Intervention de Frédérique Vidal

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 11 juillet 2017 à 17h45
Audition de Mme Frédérique Vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation

Frédérique Vidal, ministre :

Je crains de n'avoir pas d'autre choix que de vous décevoir sur les questions budgétaires, car les arbitrages ne seront pas rendus avant la fin du mois. Qui plus est, vos questions touchent aux investissements structurants, à même de transformer en profondeur notre système d'enseignement supérieur et de la recherche.

Le principe du tirage au sort existe depuis de nombreuses années, son existence a été révélée par l'augmentation de la démographie étudiante et par le fait que, pour la première fois, il a été décidé que les étudiants en fin de L1 souhaitant se réorienter, seraient traités à égalité avec les néo-bacheliers - ce qui a ajouté quelque 150 000 à 200 000 étudiants supplémentaires au système APB. J'ai rencontré les organisations d'élèves, de parents d'élèves, des personnels et nous avons, ensemble, constaté qu'il nous fallait sortir de ce système « le plus stupide et le plus injuste », selon l'expression de mon prédécesseur. Ce tirage au sort n'a aucun sens, je lancerai dès lundi prochain une concertation pour faire des propositions de remplacement.

Sur le contrat de réussite étudiante, je regrette que les annonces soient interprétées négativement, puisque notre objectif n'est nullement de restreindre l'accès à l'université, mais de tenir compte des réalités. Regardez les chiffres : pour les titulaires d'un bac professionnel qui passent dans l'enseignement universitaire général, le taux de réussite est d'à peine 1,6 %, c'est bien pourquoi nous voulons leur proposer non pas une année « blanche », mais un vrai travail d'orientation, où la commission d'orientation aura toute sa place. La parole des étudiants aux élèves a beaucoup de poids, il faut la valoriser au plus tôt, bien avant la Terminale. Quant à l'information sur l'orientation, il faut faire un travail important d'accompagnement tout au long du secondaire, tant les inégalités sont fortes dans la capacité à analyser les informations existantes.

Pourquoi un tel taux d'échec à l'université, en particulier en L1 ? Il faut prendre en compte l'effet de sidération des étudiants face au décalage entre l'enseignement qu'ils trouvent et celui qu'ils pensaient trouver à l'université. Ensuite, des formations qui devaient accompagner des sorties professionnalisantes courtes sont détournées de leur vocation première par des bacheliers de l'enseignement général titulaires de mention qui s'en servent de classes préparatoires aux écoles d'ingénieurs ou de commerce, alors que leur vocation initiale était, avec un taux d'encadrement plus fort, d'aider les élèves plus en difficulté.

Afficher les prérequis et les taux d'insertion professionnelle ? Je l'ai demandé aux présidents d'université : il est normal que les étudiants, en s'inscrivant, sachent quelles sont les perspectives d'insertion professionnelle avec le diplôme visé.

Un mot encore sur le tirage au sort : des universités s'en passent, parce qu'elles ont su mettre en place une coopération suffisante avec l'enseignement secondaire et, par exemple à Rouen, elles ont créé une formation d'une année, pour des élèves qui ont eu tout juste le bac ou qui y ont échoué de peu, en lien avec le bassin d'emploi et visant une insertion économique la plus directe. Il faut sortir de cette idée qu'atteindre 22 ou 23 ans sans un bac +5, ce serait avoir échoué.

Enfin, tous les étudiants n'apprennent pas au même rythme et nous devons en tenir compte, par exemple en assouplissant les conditions d'obtention de la Licence, qui pourrait s'étendre entre deux et quatre ans, sur la base d'un contrat.

J'entends donc débattre de ces sujets dans la concertation large, que j'organise dès lundi prochain, sur le tirage au sort.

Le site que nous avons créé pour l'entrée en Master - trouvermonmaster.gouv.fr - est peu utilisé, mais cela ne préjuge pas qu'il ne le sera pas massivement lorsque les étudiants seront rentrés de vacances. Reste la question des dérogations à la sélection à l'entrée en M1, car le sujet se mêle à celui de l'accréditation des établissements et des spécialités de mention. Seules 500 formations ont demandé à ne pas sélectionner à l'entrée de M1. Pourquoi certaines formations demandent une sélection entre les niveaux M1 et M2 ? En droit, c'est pour un motif de concours, et en psychologie, c'est parce que l'échelon M2 est celui qui autorise à exercer la profession, réglementée, de psychologue.

Sur les droits d'inscription, leur augmentation au rythme de l'inflation aurait représenté 4 millions d'euros : je suis favorable au dialogue avec les organisations d'étudiants et les universités, avec en ligne de mire la volonté exprimée par le Président de la République de ne pas augmenter massivement les droits d'inscription, car cela pénaliserait l'accès des catégories sociales les plus modestes à l'université. Reste, cependant, la question des droits pour les étudiants extra-communautaires, mais il faut étudier l'impact qu'aurait une hausse, en particulier sur le profil des étudiants. Soit dit en passant, l'expérience m'a montré que la faiblesse des droits peut faire douter de la qualité de l'enseignement - et il nous faut régulièrement expliquer que c'est en raison des subventions étatiques que les frais d'inscription sont si faibles. Je crois que nous devons afficher le coût réel des formations, qu'il faut l'inscrire dans le contrat de réussite étudiante et que nous devons sortir de l'idée que l'université est gratuite ; la réalité, c'est que l'État, parce qu'il a confiance dans la jeunesse de notre pays, subventionne l'année universitaire de chaque étudiant pour plus de 9 000 euros en moyenne.

L'évaluation de l'expérimentation concernant la première année commune des études de santé (PACES) est en cours. Je ne souhaite nullement imposer cette réforme : ce sera aux universités de s'en saisir et, si une majorité le fait, ce sera aux étudiants de dire qu'ils veulent une telle organisation des études.

Sur l'accès des personnes handicapées à l'université, nous avons lancé, avec mes collègues concernés, le quatrième plan autisme et fait à cette occasion le point sur les aspects à améliorer pour l'ensemble des personnes handicapées.

Pour développer les ponts entre la recherche académique et la recherche et développement des entreprises, il faut commencer par simplifier les relations en matière de droit de la propriété intellectuelle, en particulier avec le mandataire unique ; songez que si un laboratoire de recherche a quatre tutelles, la négociation sur les droits de propriété intellectuelle dépendra de quatre directions juridiques : cela fait fuir les entreprises ! Ensuite, le retour que les entreprises peuvent faire sur la recherche académique va bien au-delà de la propriété intellectuelle, il passe par de nombreux éléments, on le voit à Lausanne, à Zurich et ailleurs, en particulier dans le financement fléché de formations doctorales.

Le CIR est un outil important parce qu'il contribue à l'attractivité de la France, à notre recherche et développement. C'est particulièrement vrai pour les PME qui sont les principales bénéficiaires du CIR va en majorité. Nous devons mieux travailler le lien entre la recherche académique et les PME, mieux calibrer le CIR aux projets de ces entreprises, c'est un sujet essentiel pour moi - les grandes entreprises, elles, sont déjà en capacité et maîtrisent les outils de coopération avec la recherche académique. C'est donc l'usage pour les entreprises du CIR qu'il va falloir améliorer, sans remettre en cause ses principes.

Le commissariat général à l'investissement est rattaché au Premier ministre, mais, pour ce qui concerne l'enseignement supérieur et la recherche, la stratégie de la recherche et de l'innovation est définie au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation : c'est déterminant pour éviter la dispersion. Les outils de soutien à l'innovation sont nombreux : on en comptait une trentaine en 2010 et le double aujourd'hui, certains se recoupent - c'est pourquoi il faut simplifier l'ensemble, sans perte en ligne, nous aurons un débat sur le sujet.

Les crédits de l'ANR devront être augmentés de telle sorte qu'elle puisse financer tous les projets excellents, sans que le taux de succès semble résulter d'un tirage au sort. Les opérateurs de recherche déclineront de grands plans nationaux comme ceux sur le climat ou le plan à venir concernant l'intelligence artificielle. Les organismes de recherche doivent travailler sur les sites en collaboration avec les écoles et les universités. Les programmes nationaux devront être placés sous la responsabilité d'un organisme de recherche qui agira pour le compte de l'ensemble des opérateurs de recherche.

Le Livre blanc présente l'état des forces de la recherche et de l'enseignement supérieur en France et témoigne de l'excellence de la recherche française. Il nous reste à chiffrer certaines des solutions proposées.

Le Président de la République s'est engagé sur la construction de 60 000 logements étudiants. Pour l'instant, nous sommes en attente de l'arbitrage budgétaire.

J'ai été extrêmement étonnée de la demande de fonctionnarisation des personnels des Crous et du Cnous car, pour la majorité d'entre eux, les salaires vont baisser tandis que cette réforme coûtera 20 millions par an de CAS Pensions à l'État. Le protocole a été signé et le Cnous ne fait plus partie des établissements dérogatoires qui peuvent employer des personnels en contrat à durée indéterminée (CDI) de la fonction publique, statut aussi protecteur que celui de fonctionnaire. Je pense que la majorité des personnels va refuser la titularisation. Le protocole a été signé le 4 mai mais la moitié des organisations syndicales n'était pas présente si bien que certaines exigent l'application du protocole alors que d'autres le refusent. Les personnels vont devoir se positionner.

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