Je vous remercie de votre accueil. De tels contacts informels sont utiles pour faire évoluer la réflexion sur ces importants sujets. Je partage la plupart des observations de M. de Gregorio Merino. Il me semble clair que les traités n'ont pas été rédigés dans l'optique d'une intégration économique et monétaire. Les politiques économiques y sont décrites comme nationales, et le niveau européen n'est compétent que pour les coordonner, c'est-à-dire pour éviter les divergences susceptibles de générer des effets secondaires d'un État membre sur l'autre. Le principe d'une politique économique commune n'y figure aucunement. On peut contourner l'obstacle, bien sûr, mais ce constat constitue la pierre angulaire de toute réflexion sur le sujet.
Le cadre juridique actuel fait peser quatre contraintes sur le projet de renforcer la gouvernance de la zone euro. D'abord, le principe d'attribution fait que les États restent, a priori, dépositaires de toutes les compétences : l'Union européenne ne peut agir que si une compétence lui est attribuée par les traités. C'est d'ailleurs notre pain quotidien : chercher une base juridique dans les traités pour fonder notre action. Deuxièmement, le principe de l'équilibre institutionnel, d'abord formulé par la CJUE puis repris dans les traités, impose à chaque institution d'exercer ses compétences dans le respect de celles des autres organes. De ce fait, une institution ne peut pas, sauf exception, se décharger de certaines compétences sur un organe nouveau, et la possibilité de créer de nouvelles structures dotées de compétences discrétionnaires est très limitée. Troisièmement, il n'existe pas de gouvernance propre à la zone euro. Le seul organe qui lui soit spécifique, l'Eurogroupe, réunit les ministres des finances de la zone, en général la veille du conseil des ministres des finances de l'ensemble de l'Union, mais n'a aucune existence institutionnelle - même si c'est l'enceinte où de nombreux compromis politiques sont trouvés. Il n'a aucun pouvoir de décision : toutes les institutions sont prévues pour vingt-huit. Enfin, le cadre budgétaire est relativement rigide. Les ressources propres sont adoptées à l'unanimité, ratifiées par les Parlements nationaux, ce qui est peu propice à la constitution d'un budget de la zone euro.
Le budget de l'Union européenne est très différent des budgets nationaux ; il doit notamment être à l'équilibre, en recettes et en dépenses. Toute politique de relance ne peut donc être pratiquée que de façon limitée. Ses caractéristiques réduisent fortement les marges de manoeuvre pour une politique volontariste.
Schématiquement, je considère qu'il y a trois grandes voies pour la mise en place d'une vraie gouvernance de la zone euro. La première consiste à rester strictement dans le cadre de l'Union européenne, sur la base des traités existants. Nous avons déjà largement épuisé cette possibilité. Seul reste en réalité l'article 352 du TFUE, ce que l'on appelle la « clause passerelle », qui prévoit que le Conseil adopte toutes les dispositions appropriées si une action de l'Union paraît nécessaire pour atteindre l'un des objectifs prévus par les traités sans que ceux-ci n'aient prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet.
La Commission européenne n'a jamais exclu que le MES puisse être intégré au sein de l'Union européenne. Néanmoins, cela implique une décision prise à l'unanimité des États membres de l'Union et une ratification dans plusieurs pays, dont l'Allemagne. Le financement d'une telle intégration posera également problème, quand on connaît les contraintes pesant sur le budget de l'Union européenne. Une solution serait de « bricoler » des accords intergouvernementaux, des traités entre États de la zone euro pour organiser la mise à disposition des fonds, les montants en jeu étant considérables.
La deuxième voie consiste à sortir du cadre institutionnel de l'Union européenne, de revenir à la méthode intergouvernementale, comme cela a été fait pour le MES ou le TSCG. Ces deux dispositifs ont été mis en place dans l'urgence, mais ils se sont révélés relativement efficaces. Leur recours est tout de même assez lourd. Pour que cela fonctionne, il faut s'appuyer sur les institutions de l'Union européenne. Il s'agit donc, en réalité, d'un système mixte auquel la Commission participe. Cela pose quelques problèmes : le Parlement européen ne contrôle plus vraiment la Commission sur ces sujets, et les recours en justice sont difficiles. Le système est donc imparfait.
La troisième voie, enfin, revient à réviser les traités de l'Union européenne pour en accroître les compétences. C'est évidemment la procédure la plus lourde : elle implique l'unanimité des États membres de l'Union européenne, une ratification par pays et même, une Convention. Elle s'inscrit donc dans une perspective temporelle et politique très lourde.