Intervention de Francesco Martucci

Commission des affaires européennes — Réunion du 20 juillet 2017 à 8h35
Économie finances et fiscalité — Gouvernance et approfondissement de la zone euro - Audition de M. Alberto de Gregorio merino directeur affaires économiques et financières budget et fonds structurels du service juridique du conseil de l'union européenne M. Jean-Paul Keppenne conseiller juridique au sein du service juridique de la commission européenne chargé de la zone euro et des questions économiques chargé de cours à l'institut d'études européennes de l'université saint louis de bruxelles et M. Francesco Martucci professeur de droit européen à l'université paris ii panthéon-assas

Francesco Martucci, professeur de droit européen à l'Université Paris II Panthéon-Assas :

Je commencerai par exprimer une conviction : la relance du projet européen implique de faire un choix, celui de la différenciation. Cela existe déjà, c'est la zone euro.

Depuis l'élargissement, l'Union européenne connaît un défaut structurel de convergence économique, fiscale et sociale.

Néanmoins, il faut dire qu'avec les crises, l'intégration européenne a remarquablement avancé. Elle l'a fait au moyen de solutions pragmatiques : via la révision des traités, l'adoption d'actes de droit dérivé, ou la conclusion d'accords internationaux pris dans le respect du droit de l'Union européenne. Le traité instituant le MES permet par exemple d'accorder une assistance financière assortie d'une surveillance renforcée, dans le cadre d'un acte de droit dérivé, à savoir le règlement « two-pack ». L'union bancaire, sans révision des traités, instaure également un mécanisme unique de surveillance, réservé à la zone euro.

Je vois trois contraintes principales dans la perspective d'une poursuite de l'intégration : le principe d'attribution des compétences, le dogme de l'unité et la question démocratique.

La question de l'attribution des compétences doit innerver toute réflexion sur l'approfondissement. L'Union économique et monétaire est en effet fondée sur une asymétrie fondamentale des compétences entre le monétaire et l'économique.

Le monétaire relève d'une compétence exclusive de la Banque centrale européenne (BCE), même si elle est en réalité limitée par les traités. L'économique et le budgétaire sont des compétences des États membres. L'Union européenne n'a de compétence qu'en matière de coordination et de discipline budgétaire.

L'article 136 du TFUE permet, certes, au législateur de l'Union européenne d'adopter des règles spécifiques pour la zone euro. Mais il ne constitue pas en soi une base juridique autonome. Il doit être combiné à l'article 121 pour la coordination, et à l'article 126 pour la discipline budgétaire.

Avec l'article 136, c'est la logique du renforcement de la discipline par la règle qui prévaut. Nous ne sommes donc pas vraiment dans une logique d'intervention macroéconomique. Il faudrait pour cela réviser les traités.

Un traité de droit international est toujours possible, mais dans le respect du droit de l'Union européenne. Si cette solution était retenue pour l'intégration, on continuerait le « bricolage institutionnel », avec tous les avantages et les inconvénients que cela comporte.

La mise en place de l'union bancaire s'est faite grâce à la maximisation du droit dérivé. Cela fonctionne pour le financier et le bancaire, éventuellement pour la convergence sociale et fiscale, mais cela peut-il fonctionner pour le budgétaire ? J'en doute.

Quelle que soit la solution retenue, elle se heurtera de toute façon à un dogme, celui de l'unité. Pour le dire de manière provocatrice, le « Brexit » est une chance qui devrait permettre à l'Union européenne d'aller vers plus de différenciation. La zone euro, à mes yeux, est déjà un sous-système de l'Union européenne. Il faudrait désormais lui reconnaître son autonomie : institutionnelle d'abord, en institutionnalisant l'Eurogroupe ; matérielle ensuite, en allant vers davantage de convergence sociale et fiscale.

Mais cette rupture radicale impliquerait de rompre avec le dogme de l'unité du marché intérieur, en autorisant la zone euro à aller beaucoup plus loin dans son intégration, quitte à limiter la liberté de circulation, des services par exemple. On le voit, cette voie semble difficilement praticable avec le Brexit, qui entraîne une forte mobilisation en faveur des quatre libertés. De plus, elle implique une révision des traités.

Surtout, aucun approfondissement ne pourra faire l'économie de la question démocratique. Les différentes réformes dont nous avons parlé ont permis de surmonter les crises, mais à un coût démocratique élevé. Le two-pack, le six-pack posent un problème démocratique et ont nourri le fantasme d'une déresponsabilisation des acteurs européens, dont l'Eurogroupe et la troïka rassemblant la BCE, la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) ont été les symboles.

Clairement, un problème d'imputabilité se pose : qui gouverne la zone euro ? Ces interrogations militent pour une institutionnalisation de l'Eurogroupe, pour la suppression des sommets de la zone euro, et pour la création d'un poste de ministre dédié.

Plus largement, une question de légitimité démocratique se pose. Nous savons que la Commission est responsable devant le Parlement européen, et que les gouvernements le sont devant leur parlement respectif. Faut-il alors un troisième parlement, un parlement de la zone euro ? Je le pense. Une assemblée démocratique de ce type aurait des pouvoirs limités à la décision budgétaire et au contrôle sur les nouvelles institutions.

Ce sont bien sûr des solutions radicales, qui impliquent de réviser les traités ou d'en sortir complètement, avec la création d'une nouvelle organisation internationale.

C'est une question d'opportunité politique, qui peut venir de la restructuration de la dette grecque. N'oublions pas que c'est d'une restructuration de dette qu'est né le projet fédéral aux États-Unis.

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