Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 30 septembre 2011 à 11h00

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Monsieur le président, mes chers collègues, comme cela a été rappelé abondamment, le 30 septembre 1981, le Sénat, après l’Assemblée nationale, votait, à la grande surprise de nombre de commentateurs, l’abolition de la peine de mort.

Nicolas Alfonsi le soulignait tout à l’heure, certains de ceux qui participaient au débat siègent encore aujourd’hui sur les travées de la Haute Assemblée.

Trente ans après, le garde des sceaux de l’époque, Robert Badinter, doit plus que d’autres avoir présent à l’esprit la vigueur, mais aussi la hauteur générale des débats.

J’ai relu l’intégralité des comptes rendus. Dans un climat politique tendu, sans doute en raison de l’alternance alors toute récente, mais aussi de la nature du sujet, qui déchaînait et déchaîne encore parfois les passions, le Sénat a souscrit à ce qu’en 1764 écrivait Beccaria : « Si je prouve que cette peine n’est ni utile, ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité ».

C’est cette phrase, monsieur le président Badinter, que vous placez en exergue à votre ouvrage L’Abolition.

Depuis cette date marquante dans l’histoire de notre justice, je rappellerai, à la suite de quasiment tous les orateurs, que, même si quelques tentatives ont été faites pour rouvrir le débat, la ratification par la France du sixième protocole annexe à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en 1985 interdisait pratiquement le rétablissement de la peine de mort.

Si François Mitterrand avait annoncé, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle de 1981, son intention de proposer l’abolition de la peine de mort, par la loi, c’est sous la présidence de Jacques Chirac, lequel avait lui-même voté l’abolition en 1981, que la loi constitutionnelle du 23 février 2007, votée à une écrasante majorité par le Congrès du Parlement, a introduit dans la Constitution un article 66-1 ainsi libellé : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

C’est d’ailleurs ce qu’avaient proposé en 1981 nos éminents collègues Jacques Larché et Étienne Dailly. Je ne suis pas sûr que leur intention était aussi simple.

D’autres avant moi ont rappelé les nombreuses initiatives prises au Parlement pour abolir la peine de mort, dont les plus marquantes furent celles de Lepeletier de Saint-Fargeau en 1791 ou encore celles qui sont intervenues sous la monarchie de Juillet ou au début de la IIe République.

En 1906, le gouvernement Clemenceau, dans lequel Aristide Briand était garde des sceaux, proposa de nouveau l’abolition. Je pense que ce fut également un beau débat au cours duquel Jean Jaurès s’illustra, à l’instar de Victor Hugo en 1848.

Plus proche de nous, des initiatives se sont fait jour. Je pense notamment à celle de Claudius Petit, qui a défendu pendant des années l’abolition de la peine de mort, sans être plus entendu que ses prédécesseurs.

Les présidents de la République successifs ayant, pour la plupart, exprimé en conscience leur horreur de la peine de mort ont plus ou moins utilisé leur droit de grâce pour que les exécutions deviennent exceptionnelles au cours du XXe siècle.

Outre la crainte de l’erreur judiciaire – notre droit ne connaissait pas encore l’appel des décisions des cours d’assises – illustrée par l’affaire Ranucci et l’exécution de Bontems après le carnage de Clairvaux, les abolitionnistes ont voulu démontrer avec persévérance que la peine de mort n’était ni utile ni nécessaire.

Bien entendu, et particulièrement pour beaucoup de ceux qui se réfèrent à l’humanisme chrétien, rencontrant ici l’humanisme des Lumières, pour qui le devenir des criminels n’est jamais tracé d’avance et la réhabilitation est toujours possible, l’abolition s’imposait, même si, devant des crimes atroces, répétés, on peut parfois douter de l’humanité de quelques-uns.

À l’appui de l’affirmation de l’inutilité de la peine de mort, les comparaisons internationales et les statistiques démontrent à l’évidence qu’elle n’est en aucun cas dissuasive. Il faut savoir qu’historiquement les crimes de sang n’ont jamais été si peu nombreux dans les années quatre-vingt dans notre pays, et encore aujourd’hui.

Alors, faut-il que la société exerce au nom des victimes la vengeance qu’appelle l’horreur du crime ?

La loi du talion ne saurait être la règle de droit d’une société humaniste, même si les droits et la souffrance des victimes et de leurs proches doivent être respectés et toujours mieux accompagnés par la justice, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé.

Mais la vraie question qui fut posée, et qui le demeure, si l’on se réfère aux débats de 1981, à l’ajout prévoyant une réforme du code pénal, et aux trop nombreuses modifications de notre droit pénal et de la procédure pénale depuis trente ans, est celle de la peine de substitution à la peine de mort. Plusieurs orateurs en ont parlé.

En fait, cette peine de substitution n’existe pas ! Et c’est bien ! C’est tout le problème, néanmoins, de notre justice pénale. Derrière cette question se pose celle de la récidive et de la protection de la société face à des crimes commis par des pervers ou des psychopathes, dont se repaissent certains médias.

Certes, comme cela avait été annoncé en 1981, et même si ce fut plus lent que prévu, le code pénal a été réformé.

Quoi qu’on en dise, les peines de sûreté, la surveillance de sûreté et la rétention de sûreté, appliquées avec discernement et à condition que tout condamné puisse réintégrer la société, peuvent éviter des drames nouveaux qui révoltent à juste titre l’opinion publique.

Comme le disait, à la tribune de l’Assemblée nationale, le député Pierre Bas, abolitionniste fervent dont il faut se souvenir : « La peine de mort abolie, il n’y aura plus d’alibi au dévoiement de la justice. »

L’abolition de la peine de mort, qui constitue un progrès de la civilisation, est devenue la règle dans toute l’Europe et dans la plus grande partie des États du monde, juridiquement ou en pratique, à l’exception de quelques régimes totalitaires et de la démocratie des États-Unis d’Amérique, ce qui est incompréhensible pour tous ceux qui aiment ce grand peuple. Il faut saluer tous ceux qui militent dans le monde entier pour l’abolition universelle de la peine de mort.

Mais elle n’est pas une fin en soi. Notre pays a fait des progrès. À cet égard, je me permets, comme cela a été fait tout à l’heure, d’évoquer la réforme pénitentiaire, que vous appeliez vous aussi de vos vœux

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