Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 juillet 2017 à 8h35
Justice et affaires intérieures — « paquet « asile » : communication de mm. jean-yves leconte et andré reichardt

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Dans le contexte de la crise des réfugiés qui a été particulièrement aiguë à partir de 2015, la Commission européenne a présenté, le 4 mai 2016, un « paquet » relatif à l'asile qui a trois finalités : réviser les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale ; modifier le règlement Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales ; instituer une agence de l'Union européenne pour l'asile qui remplacerait le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), institué en 2010.

Ce « paquet » a été complété, au mois de juillet suivant, par un second « paquet asile » qui porte sur les normes et procédures. C'est une démarche ambitieuse. La dernière fois que nous avions engagé une révision des directives européennes en matière d'accueil des demandeurs d'asile, il nous avait fallu des années pour aboutir à un nouveau texte en 2013, transposé dans notre droit national par la loi « asile » de 2015. Or, ce travail de longue haleine ne correspond pas forcément à l'urgence du moment. Des négociations pour plus communautariser le système de surveillance des frontières et ses conséquences ont été lancées en 2015. En 2016, Frontex a rapidement reçu un nouveau mandat d'évaluation de la surveillance des frontières extérieures par les pays membres et, le cas échéant, d'intervention. Par contre, il n'y a pas d'avancée significative sur le paquet asile, qui aurait pour but d'adapter l'actuel système d'asile européen aux nouveaux principes et moyens de la surveillance de nos frontières. Ce décalage ne va pas sans risques.

Le règlement Dublin III considère que l'État qui a pris la responsabilité de faire entrer une personne étrangère sur le territoire est responsable de l'examen de sa demande d'asile. Cependant, une prescription s'applique aujourd'hui et la personne étrangère peut faire alors sa demande d'asile dans un autre pays de l'Union européenne. Dublin ne fonctionne pas bien : quand la France reçoit un accord de l'Italie pour un retour vers le pays de première entrée, ce sont seulement un quart des retours qui sont effectifs. De nombreuses personnes sont bloquées, car potentiellement elles pourraient être envoyées en Italie, et la France reste en attente d'un accord de l'Italie pour effectuer le transfèrement. On se retrouve avec des gens qui attendent dans des situations humanitaires inacceptables, dont on ne peut pas étudier la demande d'asile et qu'on ne peut pas renvoyer. Il faut attendre l'expiration du délai de prescription pour les enregistrer comme demandeurs d'asile...

En réformant Dublin III, la Commission souhaite durcir le système en supprimant la prescription, ce qui revient à donner une responsabilité éternelle à l'État qui a fait entrer la personne étrangère sur le territoire de l'Union européenne. Les garanties apportées aux mineurs non accompagnés seraient renforcées.

Dans un souci de solidarité, la Commission souhaite assurer un partage équitable des responsabilités par un mécanisme d'attribution correcteur visant à alléger la charge des États membres les plus exposés. Ce mécanisme fonctionnerait grâce à un système automatisé qui permettra d'appliquer un mécanisme de correction des inégalités lorsque des États membres seront confrontés à un nombre disproportionné de demandes d'asile, c'est-à-dire en cas de dépassement de 150 % de la part de référence de l'État concerné. Lorsque cette part est dépassée, les nouvelles demandes d'asile présentées seront transférées vers d'autres États membres dont le nombre de demandes est inférieur à leur part de référence. Il est précisé que l'application de ce mécanisme ne doit pas conduire à séparer les membres d'une même famille. Si un État membre refuse de l'appliquer, il devra s'acquitter d'une contribution de solidarité de 250 000 euros par demandeur en faveur de l'État désigné responsable de l'examen de la demande.

La France a une position un peu différente de celle de la Commission sur ce point. Les pays du groupe de Viegrad sont extrêmement critiques tant sur le principe de la mesure que sur la pénalité qui évalue à 250 000 euros le prix d'un réfugié. Ils rappellent aussi que la relocalisation mise en oeuvre il y a quelques années n'a pas fonctionné correctement.

Enfin, la Commission souhaite prévenir les abus et les mouvements secondaires en établissant les obligations des demandeurs d'asile et en sanctionnant leurs manquements. Cependant, il existe deux cas de mouvements secondaires. L'un s'effectue lorsqu'on est demandeur d'asile dans un pays et qu'on décide de se rendre dans un autre pays pour faire une autre demande - le système « Dublin » a pour vocation d'empêcher cela même s'il n'y parvient pas ; l'autre consiste à aller s'installer dans un autre pays de l'espace Schengen, une fois la protection accordée. La distinction entre les deux cas n'a pas été assez clairement établie. Quoi qu'il en soit, l'objectif de la Commission européenne est de fixer les personnes accueillies dans le pays où elles ont obtenu l'asile.

La base de données Eurodac contient les empreintes digitales des demandeurs d'asile et d'immigrants illégaux de plus de 14 ans se trouvant sur le territoire de l'Union européenne. En fournissant des preuves dactyloscopiques, elle permet d'appliquer le règlement Dublin.

Le champ d'application de ce règlement serait étendu à la lutte contre l'immigration irrégulière et au contrôle des mouvements secondaires. Davantage de données à caractère personnel à des fins de retour et de réadmission seraient stockées et la durée de leur conservation serait allongée. Le relevé d'empreintes digitales et la capture d'images faciales seraient obligatoires et les refus seraient sanctionnés. Compte tenu des problèmes de fiabilité auxquels le relevé des empreintes digitales a donné lieu ces dernières années, disposer d'une image faciale biométrisée sera un progrès.

L'agence européenne pour l'asile aurait une pleine compétence opérationnelle et technique dans la mise en oeuvre du régime d'asile européen commun, alors que l'EASO a pour objet de diffuser l'expertise reposant sur la coopération interétatique.

Elle surveillerait l'application du mécanisme de répartition. Elle disposerait de pouvoirs de contrôle de la mise en oeuvre par les États membres de leurs obligations en matière d'asile. À partir de rapports réalisés par ses équipes d'inspection, elle pourrait élaborer des recommandations qui, si elles n'étaient pas suivies, pourraient entraîner l'intervention de l'agence dans l'État membre concerné sans que ce dernier puisse s'y opposer.

En cas de pression disproportionnée sur le système d'asile d'un État membre, l'agence pourrait initier elle-même un plan de soutien opérationnel. Les États membres devraient obligatoirement abonder une réserve de 500 experts pouvant être déployés dans le cadre de ces plans. La nouvelle agence aurait aussi la responsabilité de fixer une liste des pays sûrs commune aux pays européens.

Pour autant, cette agence ne disposerait pas de pouvoirs contraignants à l'encontre des États. Une plus grande harmonisation européenne du droit d'asile, avec in fine un système de reconnaissance mutuelle entre États, mérite sans doute réflexion. Pour ce faire, elle requerrait des systèmes nationaux proches et comparables, ce qui est encore loin d'être le cas. La nouvelle agence n'aurait pas une indépendance vis-à-vis des États identique à celle, partielle mais réelle, de l'OFPRA en France.

Pour l'essentiel, la France soutient les propositions de la Commission sur le « paquet asile ». Elle est favorable à l'économie générale de la réforme du règlement Dublin et notamment à la suppression de la prescription. Elle estime que le principe de la responsabilité permanente rendrait inopérantes les stratégies d'évitement qui cherchent à tirer parti de l'expiration des délais de transfert. Cette proposition est toutefois sévèrement appréciée par les ONG qui s'inquiètent à la fois de sa conformité aux principes fondamentaux et de son caractère opérationnel. Les délais de prescription posent de gros problèmes. Cependant, c'est grâce à la souplesse qu'ils introduisent dans le système que nous avons pu absorber toutes les demandes d'asile, notamment en 2011 et 2012. À faire peser sur l'Italie et la Grèce une responsabilité ad vitam aeternam comme pays de première entrée, on risque de durcir le système, avec pour seul filet, le mécanisme de solidarité, dont on ne sait pas s'il fonctionne.

Notre pays est favorable à un mécanisme de solidarité, mais considère que le caractère automatique de son déclenchement serait de nature à déresponsabiliser les États de première entrée en matière de contrôle des frontières extérieures. La France voudrait faire peser encore plus de responsabilités sur les pays d'entrée alors qu'ils ont déjà beaucoup fait, en développant notamment les hotspots. Il conviendrait que ce mécanisme soit mis en oeuvre à la suite d'une décision concertée prenant en compte plusieurs facteurs tels que les mesures prises sur le contrôle des frontières, une analyse des flux, les accords de réadmission avec les pays de transit ou la politique de retour.

Notre pays soutient également la réforme du règlement Eurodac visant à étendre son champ d'application. Les principales revendications françaises en la matière ont été satisfaites, en particulier la possibilité de consulter Eurodac à des fins d'identification autres que l'asile. L'apport des données faciales dans le fichier permet d'améliorer le système.

Enfin, la France soutient certes l'évolution de l'EASO en une agence européenne pour l'asile, mais à plusieurs conditions, portant notamment sur l'attribution de la décision d'une intervention de l'agence dans un État membre en crise au Conseil et non à la Commission et sur le réalisme des modalités de déploiement de la réserve de 500 experts nationaux (dont 75 à 80 au titre de notre pays, en provenance de l'OFPRA et du ministère de l'intérieur notamment). La convergence des agences de première instance des demandes d'asile ne peut pas être réalisée juste avec des procédures et ceci n'a de sens que si l'on envisage aussi - peut-être même en priorité - la convergence des instances de recours. Pour l'instant, la situation est bloquée.

Sur Eurodac, l'accès des services répressifs pourrait se heurter aux réticences du Parlement européen, traditionnellement sensible au respect des droits fondamentaux. Quant aux positions des États membres sur la future agence européenne pour l'asile, elles dépendent largement de leur situation géographique.

C'est sur la réforme du règlement Dublin qu'achoppent les négociations, plus particulièrement sur le mécanisme de solidarité, qui consiste à pérenniser le mécanisme de relocalisation d'urgence mis en place par deux décisions du Conseil de septembre 2015, même s'il n'a pas fonctionné de manière parfaite jusqu'à présent.

Ce nouveau mécanisme rencontre une forte opposition à la fois des États de première entrée, qui considèrent insuffisantes les mesures proposées, et des pays du groupe de Viegrad, qui est cependant moins uni qu'en apparence.

Force est de constater que les négociations sont bloquées. Face à cette situation, les présidences slovaque puis maltaise ont présenté diverses mesures pour tenter d'avancer.

La Présidence estonienne est mobilisée sur ce dossier. Elle a pour objectif de réunir les éléments d'un compromis d'ici la fin de l'année. Néanmoins, les discussions restent difficiles au Conseil et le seront aussi vraisemblablement au cours des trilogues. Aboutir à un accord sur le règlement Dublin est la condition de l'adoption de l'ensemble du « paquet asile », de nombreux États membres, dont la France, étant attachés à une approche globale.

Certains aspects de ce compromis - qui ne sont cependant que des propositions - pourraient poser problème à notre pays. J'en vois deux principaux : d'une part, la possibilité pour les États membres de choisir la nationalité des personnes à relocaliser, qui est clairement discriminatoire ; d'autre part, le concept de pays tiers sûrs défendu par l'Allemagne, qui fait référence à des pays qui seraient disposés à accueillir à la place d'un pays de l'Union européenne des migrants dont ils examineraient la demande d'asile. Il s'agirait en quelque sorte de généraliser ce qui a été fait pour l'accord avec la Turquie, qui est controversé. Même si elle ne l'a jamais explicitement indiqué, l'Allemagne penserait à la Tunisie.

Toutefois, la notion de pays tiers sûrs serait plus politique que juridique. Elle est dangereuse dans la mesure où elle pourrait remettre en cause le principe même du droit d'asile. Cela reviendrait pour ainsi dire à sous-traiter une part de notre responsabilité à un autre pays sans nous assurer de la cohésion du système. En ce qui concerne les mouvements secondaires, il faudrait distinguer le cas d'une personne dont la demande d'asile a été rejetée dans un pays de l'Union européenne et qui ne doit pas pouvoir réitérer sa demande dans un autre pays et le cas d'une personne dont la protection est reconnue et qui doit pouvoir bénéficier des mêmes droits que les citoyens européens pour circuler et s'installer là où elle trouve un emploi. Il en va de l'intégration des migrants.

Les allocations pour les demandeurs d'asile et l'hébergement d'urgence sont actuellement financées par les budgets nationaux. Ce qui, dans certains pays, entretient les blocages au sujet du mécanisme de solidarité.

En supprimant la prescription, on risque de durcir le système. Le mécanisme de solidarité n'a jusqu'à présent pas bien fonctionné. Les propositions de la Commission ne sont pas assez abouties sur ce point. On entend dire qu'il faudrait lier la délivrance des visas à la manière dont les pays coopèrent en matière d'immigration et de retour, ce qui est très dangereux. Nous devons veiller à ce que les décisions de la Commission européenne ne remettent pas en cause nos engagements nationaux et institutionnels en matière d'asile. Un système qui nierait le droit d'asile serait anticonstitutionnel. D'autant que la France est signataire de la Convention de Genève en tant qu'État. L'Allemagne, généreuse en 2015, s'interroge aujourd'hui sur l'avenir et envisage des réponses qui pourraient remettre en cause le droit d'asile. Restons vigilants.

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