Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 5 mars 2009 à 9h45
Loi pénitentiaire — Article 14, amendement 191

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur :

… afin que le temps passé en prison se rapproche le plus possible de la vie en dehors des établissements pénitentiaires. Ainsi, la transition entre la vie en prison et après la libération du détenu sera facilitée.

Par ailleurs, le travail doit offrir l’opportunité au détenu qui n’était peut-être pas particulièrement qualifié pour tel ou tel type d’activité, d’acquérir un savoir-faire et des qualités professionnelles qui lui permettront de trouver plus facilement un emploi à sa sortie de prison.

Enfin, une autre raison a trait à la rémunération, qui donne la possibilité au détenu non seulement de cantiner, mais aussi d’augmenter le pécule dont il bénéficiera à sa sortie de prison et de participer à l’indemnisation des victimes.

Pour la commission des lois, le travail en milieu carcéral est donc un objectif fondamental. De ce fait, elle souhaite le développer autant que faire se peut.

Lors des visites que j’ai effectuées dans des établissements pénitentiaires, j’ai constaté que des efforts étaient réalisés en ce domaine. D’ailleurs, la France n’a pas à rougir du taux d’occupation des détenus par rapport aux autres pays européens.

J’ai également observé que certains responsables de la détention pensent que le développement du travail relève de la responsabilité du gestionnaire privé ou de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires, la RIEP, alors que d’autres prennent leur bâton de pèlerin et se rendent dans les chambres de commerce et d’industrie, dans les cercles patronaux, pour présenter leur établissement, les possibilités de travail et les ateliers parfois performants qu’ils offrent. J’ai remarqué qu’ils obtenaient systématiquement des réponses, beaucoup plus encourageantes qu’on ne pourrait le croire.

Selon moi, la première des obligations consiste à ce que tous les acteurs jouent pleinement leur rôle, sans se rejeter la responsabilité les uns sur les autres. Un travail partagé devrait systématiquement être effectué entre le gestionnaire privé, le directeur de l’établissement et la Régie.

La commission des lois a d’ailleurs présenté des amendements pour que, lors de la procédure de passation des marchés, s’exerce un droit de préférence en faveur de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires ainsi que des différents partenaires privés qui offrent des emplois aux détenus.

Mes chers collègues, j’ai été très choqué de constater que des entreprises, qui se disent « citoyennes », passent des chartes éthiques dans lesquelles elles affirment que jamais elles ne travailleront avec des détenus. L’entreprise citoyenne est au contraire celle qui donne du travail aux détenus !

J’arrive au terme de ces considérations générales. Lors de mes visites dans différents établissements, j’ai acquis la conviction que le travail des détenus n’est pas, loin s’en faut, une excellente opération financière pour l’entreprise privée. Les difficultés en la matière sont très nombreuses. Elles tiennent au niveau de qualification d’un grand nombre de détenus qui n’ont jamais travaillé avant leur détention. Elles tiennent aussi aux contraintes inhérentes au système pénitentiaire. En effet, des contrôles et des fouilles en nombre doivent être effectués très fréquemment, car dans les ateliers se trouvent des outils dangereux qui peuvent servir à d’autres fins que le travail. En instituant la journée continue, certains établissements pénitentiaires ont cherché à limiter les inconvénients liés à ces fouilles à répétition.

Par ailleurs, si les prisons nouvelles sont équipées d’ateliers performants, les conditions de travail sont parfois particulièrement difficiles dans des anciens établissements. Les problèmes de gestion des flux de camions sont très complexes.

La première grande responsabilité consiste donc à développer effectivement le travail carcéral, à ne pas décourager les entreprises et à essayer de faire en sorte qu’elles soient de plus en plus nombreuses à proposer du travail aux détenus.

J’ai parfois été surpris par l’attitude des uns et des autres, y compris de certaines organisations syndicales. De deux choses l’une : soit on est d’accord pour donner du travail en prison, soit on y est opposé. Dans les établissements notamment de Bapaume ou de Rennes, des centres d’appel devaient être mis en place. Or des réticences parfois fortes ont été exprimées par des syndicats ou par la population contestant que l’on donne du travail aux détenus, alors qu’il n’est pas possible d’en offrir à tous les demandeurs d’emploi qui ne sont pas incarcérés.

Pourtant, en ce qui concerne les centres d’appel, la concurrence, car il y en a une, ne vient pas des détenus mais d’Afrique du Nord, de l’île Maurice, bref de l’étranger ! Sur ce point, tous les acteurs, c'est-à-dire les parlementaires, certes, mais aussi les organisations syndicales, doivent prendre leurs responsabilités.

Pardonnez-moi, mes chers collègues, cette trop longue introduction, qui me permettra néanmoins d’exprimer plus rapidement mon avis sur les différents amendements.

En ce qui concerne l’amendement n° 191, M. About a cherché à rapprocher le travail en prison du droit commun, comme je l’ai fait moi-même.

La solution la plus radicale serait bien sûr d’introduire un contrat de travail traditionnel. Toutefois, la solution proposée par Nicolas About est de mettre en place un contrat de travail de droit public, qui constituerait d'ailleurs une innovation juridique : ce serait un « contrat administratif », une notion qui, ne le cachons pas, soulève bien des difficultés sur le plan juridique.

Nous nous demandons également si la rédaction proposée n’aurait pas pour effet d’écraser la référence aux interventions des entreprises d’insertion en milieu pénitentiaire, alors qu’il nous semble particulièrement utile de laisser ouverte cette possibilité. Nous en avons d'ailleurs longuement discuté en commission avec le haut-commissaire Martin Hirsch, et nous sommes tout à fait convaincus de l’importance de cette disposition proposée par le Gouvernement.

Nous nous sommes donc arrêtés un cran plus bas que M. About, en prévoyant que l’acte d’engagement pourrait être signé entre le chef d’établissement et la personne détenue. La commission des lois estime, pour le moment, que le curseur est placé au bon endroit. C'est pourquoi nous demanderons à M. About de bien vouloir retirer son amendement.

L’amendement n° 229 vise, quant à lui, à donner aux détenus le droit de signer un contrat de travail avec l’employeur et l’administration pénitentiaire, ce qui constitue le summum de l’ambition !

Je le répète, la commission a amélioré la rédaction du projet de loi. Or cet amendement, qui tend à assimiler presque totalement l’activité des détenus au droit commun, risquerait de décourager l’offre de travail, qui me paraît déjà largement insuffisante en prison et que nous souhaitons précisément encourager. Mes chers collègues, développons d'abord de façon importante l’offre de travail, puis nous tâcherons de sécuriser la relation juridique ! J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 229.

Madame Boumediene-Thiery, je vous demande de retirer l’amendement n° 22 rectifié, dans la mesure où le droit à l’information sur les droits sociaux est déjà compris dans les dispositions de l’article 10 bis du projet de loi. Si cet amendement est utile, il est, me semble-t-il, satisfait !

L’amendement n° 114 de nos collègues socialistes appelle deux remarques.

Tout d'abord, sur la forme, la précision proposée relève plutôt du règlement. Ensuite et surtout, sur le fond, si nous insérions cette disposition à cet endroit du projet de loi, nous laisserions entendre que l’acte d’engagement concerne seulement les activités organisées dans le cadre d’une structure d’insertion par l’activité économique, alors que, bien entendu, il vise tous les emplois proposés en milieu pénitentiaire, ce qui, selon moi, est tout à fait positif. J’émets donc un avis défavorable.

L’amendement n° 21 rectifié vise à mettre en place une voie de recours devant le juge administratif concernant l’interprétation ou l’application de l’acte d’engagement unilatéral. Or, suis-je tenté de dire, il conviendrait plutôt de laisser le juge administratif développer sa jurisprudence, qui aujourd'hui est particulièrement protectrice des détenus.

Vous le savez, mes chers collègues, une série de décisions qui, jusqu’alors, étaient considérées comme des mesures d’ordre intérieur, par conséquent insuffisamment importantes pour que le juge les connaisse, sont devenues des actes faisant grief, c'est-à-dire des décisions susceptibles de recours pour excès de pouvoir, et donc d’annulation.

Aujourd'hui, dans la jurisprudence du Conseil d'État, seul le déclassement, donc la perte de travail, est susceptible de faire grief et de donner lieu à un recours. En revanche, tel n’est pas le cas d’un refus ou d’un changement d’emploi.

Il nous semble souhaitable de conserver cet équilibre, qui est également nécessaire pour ne pas décourager l’emploi en milieu pénitentiaire ; vous savez, mes chers collègues, que c’est là une de nos obsessions ! Mon avis est donc défavorable.

S'agissant de l’amendement n° 23 rectifié, les garanties que Mme Alima Boumediene-Thiery souhaite introduire sont déjà prévues par la partie réglementaire du code de procédure pénale, plus précisément par son article D-110. La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.

J’apporterai une réponse de même nature en ce qui concerne l’amendement n° 24 rectifié. Une disposition similaire figure déjà à l’article D-101 du code de procédure pénale. La commission demande donc le retrait de cet amendement, qui est satisfait.

Il en va presque de même pour l’amendement n° 63 rectifié. Cette disposition vise un objectif louable, mais elle est déjà comprise dans la garantie des détenus prévue par les articles 1er et 10 du présent projet de loi. La commission demande donc également le retrait de cet amendement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion