Intervention de Jean-Marc Gabouty

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 20 juillet 2017 à 10h00
Compte rendu par m. jean-marc gabouty du déplacement au port du havre le 29 juin 2017

Photo de Jean-Marc GaboutyJean-Marc Gabouty :

Madame la Présidente, mes chers collègues, c'est grâce à l'initiative conjointe de notre collègue Agnès Canayer, sénatrice de Seine-Maritime, et de notre présidente Élisabeth Lamure, qui a effectué en 2016 une mission parlementaire sur le port de Marseille et l'axe Rhône-Saône, que la délégation aux entreprises s'est rendue au port du Havre le 29 juin dernier. Une dizaine d'entre nous ont participé à ce déplacement. L'objectif de cette journée était de mieux appréhender l'enjeu économique que représente ce port pour notre pays.

Le Directeur général du port du Havre, M. Hervé Martel, nous a d'abord présenté la situation générale de ce port : la zone Normandie-Ile-de-France est l'une des plus actives de notre pays, notamment en aéronautique, pétrochimie et automobile. Mais Le Havre se trouve excentré par rapport aux zones les plus actives d'Europe : il n'appartient ni à la banane bleue, qui s'étend de Londres à Milan et se trouve centrée autour du Rhin, ni au « pamplemousse rose », plus à l'Est. L'enjeu pour Le Havre est donc de se raccrocher au corridor ferroviaire Est/Ouest vers Paris et Mannheim. Avec Rouen, Gennevilliers et Paris, Le Havre compose un axe Seine qui compte 1 100 entreprises utilisatrices et emploie 60 000 salariés. Cet ensemble portuaire, dénommé HAROPA pour Le Havre/Rouen/Paris, constitue le premier ensemble portuaire français et le cinquième nord-européen, derrière Rotterdam, Anvers, Hambourg et Amsterdam. L'Ile-de-France reçoit 1,3 million de conteneurs par an, dont la moitié arrive d'Anvers et Rotterdam. On juge que 1 000 conteneurs représentent un emploi de manutention, voire trois ou quatre de plus si on ajoute les activités logistiques : le défi pour Le Havre est donc de prendre toute sa place en termes de création et de pérennisation d'emplois de logistique et de capter une part croissante de ces emplois que l'activité économique française génère à Anvers ou Rotterdam. Le Havre fait aujourd'hui vivre 32 000 emplois, 14 000 sur la partie manutention portuaire, 18 000 sur la partie industrielle : M. Hervé Martel a insisté sur le potentiel que les ports représentent comme sites de réindustrialisation.

Le trafic maritime transitant par HAROPA pèse 90 millions de tonnes. La moitié concerne des vracs liquides (pétrole essentiellement - Le Havre alimente trois raffineries-, mais aussi des engrais liquides et des produits chimiques). Les containeurs représentent un peu plus du quart du trafic en tonnage ; le reste concerne le transit de véhicules automobiles ou de vracs solides comme les céréales, dans l'exportation desquelles s'est spécialisé le port de Rouen. Il reste d'ailleurs quelques silos désaffectés sur le site du port du Havre.

Premier port de croisière français en Manche-Atlantique, Le Havre comptabilise aussi un nombre croissant d'escales de croisières maritimes grâce à la rénovation du terminal « Croisière ». Il attire désormais de nombreuses compagnies prestigieuses : MSC Croisière qui compte dans sa flotte le Meraviglia, dernier fleuron des chantiers de l'Atlantique inauguré récemment, Costa Croisière et la compagnie américaine Princess Cruises, dont l'arrivée est annoncée pour 2018. Le nombre de croisiéristes a sextuplé en dix ans ; il devrait atteindre en 2017 près de 380 000, auxquels s'ajoutent 100 000 membres d'équipages. L'Office de Tourisme a mis en place un dispositif adapté à leur accueil au terminal « Croisière » : personnels multilingue et service de navettes vers le centre-ville. Avec ces outils l'agglomération havraise figure désormais sur les itinéraires réguliers des compagnies avec son offre touristique autour de la thématique impressionniste ou du tourisme dit de mémoire.

Nous avons été très impressionnés par les dimensions du complexe portuaire. Il a été construit dans le souci de concilier le développement économique et l'environnement avec un aménagement durable de l'estuaire de la Seine, espace sensible : un quart du territoire est une réserve naturelle qui participe aux écosystèmes européens. Le port et la ville sont intimement liés, et il semble n'y avoir aucun souci d'acceptabilité du port par la ville. Le port gère un territoire avec 150 km de voieries et 200 km de voies ferrées, des écluses, des éclairages... ; il dispose même d'une police portuaire de 120 personnes. Il fonctionne un peu sous forme de cluster : ainsi, le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) est géré de manière collective. Ceci permet d'optimiser la gestion du risque associé à ce site industriel dans l'intérêt de tous et d'éviter que les exigences d'un tel plan ne bloquent toute construction.

L'offre du port du Havre est à quatre dimensions:

- c'est une offre douanière et digitale : le contrôle douanier est entièrement dématérialisé, ce qui vaut au port du Havre d'être premier au classement « Doing business ». 99 % des marchandises sont dédouanées sans contrôle physique : les contrôles sont concentrés sur quelques marchandises ciblées en amont et souvent illicites. Le fonctionnement du port repose sur un système d'information performant (qui d'ailleurs s'exporte) : il s'agit d'un guichet unique portuaire interconnectant douane et professionnels portuaires, ce qui rend plus fluide le passage des marchandises. La simplification administrative est importante car les délais des procédures font partie des critères de choix des investisseurs industriels internationaux ;

- c'est une offre maritime : Le Havre touche 600 ports dans le monde, il peut accueillir les plus grands navires du monde, comme le porte-conteneur japonais MOL Triumph - long de 400 mètres, large de 59 mètres et haut de 33 mètres, il transporte plus de 20 000 conteneurs -, ou le français Bougainville de la compagnie CMA-CGM, troisième armateur mondial. Les armements mondiaux se regroupent au plan technique, désormais autour de trois alliances : le néerlandais « 2M » qui réunit Maersk et MSC, « Ocean alliance » qui lie les armements chinois et CMA CGM, et enfin l'alliance nippo-allemande, « The Alliance ». Ces alliances ont toutes fait le choix d'HAROPA, notamment en raison de sa position favorable dans les rotations maritimes : Le Havre offre un accès maritime, à la pointe la plus avancée de l'Europe, constituant ainsi le premier arrêt en Europe, recevant des conteneurs en opération à pleine charge, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, sans contrainte de marée, ni de tirant d'eau. Le port peut s'appuyer sur une main d'oeuvre qualifiée et fidèle et, selon M. Hervé Martel, son image s'est améliorée grâce à la baisse de la conflictualité portuaire depuis une vingtaine d'années, même si les conflits sociaux nationaux ont tendance à rejaillir de manière négative sur l'image du port ;

- Le Havre, c'est aussi une offre foncière attractive : le port du Havre dispose de réserves foncières réelles à un prix trois fois moins cher qu'au Royaume-Uni. C'est pourquoi de nombreux entrepôts sortent de terre : nous avons vu de nouvelles implantations logistiques et industrielles, notamment au pied du pont de Normandie. Ainsi, le groupe Panhard a acquis un nouveau hub logistique de 174 000 m2 à Port-Jérôme. Ce sont en tout 500 000 m² d'entrepôts logistiques qui sont en cours de développement, sur ou à proximité des ports du Havre, de Rouen et Paris. Sur l'ensemble de ces trois ports, les entreprises installées ont investi de manière très significative, à hauteur de 350 millions d'euros en 2015 ; les ports eux-mêmes ont parallèlement investi 90 millions d'euros pour accompagner ces développements et proposer des infrastructures adaptées à la demande. Nous avons notamment visité Port 2000, la partie du port du Havre qui offre une des meilleures capacités d'accueil des géants des mers avec 4 km de quais pour l'accueil de ces navires ;

- enfin, Le Havre, c'est une offre multimodale : une plateforme multimodale permet aux conteneurs arrivant par la mer de poursuivre leur trajet par la route, le fer ou le fleuve. Un conteneur sur cinq à destination des marchés de consommation d'Ile-de-France passe par la Seine.

Si cette plateforme multimodale marche techniquement, les acteurs du port réunis au sein de l'UMEP, l'Union Maritime et Portuaire, nous ont indiqué que le multimodal ne fonctionne pas bien économiquement : en exigeant de décharger et de recharger les conteneurs, il impose des ruptures de charge qui pénalisent le fluvial. Alors que les terminaux à conteneurs étaient accessibles aux barges en 2011-2012, ce n'est plus le cas des terminaux de Port 2000, si bien que la part de la barge est passée de 25 à 8 %. C'est pourquoi il apparaît nécessaire de donner aux barges un accès direct à Port 2000 où sont déchargés les conteneurs. Ceci passe par la construction d'une « chatière » dont le coût est estimé à 100 millions d'euros. Seule cette « chatière » qui connectera Le Havre à la Seine donnerait au canal Seine-Nord toute sa pertinence. Sans elle, le risque avec un canal reliant Paris aux Pays-Bas est que les ports du Nord de l'Europe siphonnent encore plus le volume de conteneurs qui sont destinés à Paris et qui arrivent aujourd'hui au Havre.

En outre, la capacité de fret ferroviaire est insuffisante : le fret roule la nuit, mais c'est aussi le moment où sont programmées les opérations de régénération du réseau ferroviaire et certains travaux. Il est donc crucial de moderniser la ligne Serqueux-Gisors, pour augmenter la capacité ferroviaire au départ du Havre. Le ferroviaire est d'ailleurs l'un des points forts du port de Hambourg que nous avions visité, même si Hambourg souffre par ailleurs de son accès par l'Elbe (qui nécessite des opérations de dragage) et des nombreux ponts à passer.

Si Le Havre apparaît donc comme un outil parfait au plan maritime, son avenir passe par l'amélioration de sa desserte arrière terrestre et fluviale pour en faire un véritable hub logistique. Le trafic transitant par Le Havre a baissé de 4,8 % en 2016. Comme l'a indiqué M. Hervé Martel, HAROPA est un établissement public mais il a des clients et il doit les garder et en acquérir de nouveaux, selon une logique d'entreprise. L'enjeu majeur pour le port du Havre est donc de grossir le volume qui transite par lui à chaque escale.

Or la croissance du port du Havre ne pourra se faire par la route, qui est saturée -actuellement, 87 % des entrées et sorties du port du Havre se font par la route- : il est donc essentiel de soutenir les aménagements permettant de désengorger le trafic via le fer et le fleuve. Comme le fait remarquer l'UMEP, une barge, c'est 180 à 240 camions, et si elle va plus lentement, elle permet de faire quasiment du porte à porte, en livrant Paris sous la Tour Eiffel, à moins de 5 km du lieu de consommation.

L'ensemble des acteurs que nous avons rencontrés plaident donc pour une politique maritime et portuaire d'ensemble, selon un plan stratégique à décliner localement. Son financement pourrait s'appuyer sur le plan Juncker 2 qui offre des prêts bonifiés à des investissements européens stratégiques. Sa mise en oeuvre passe par une simplification des procédures : par exemple, proposer des terrains pré-aménagés favorisant l'implantation des investisseurs et accompagner leur développement industriel ; réaliser la convergence des plateformes informatisées de type Cargo Community System (CCS) vers un système universel, notamment pour Le Havre, Marseille, Dunkerque, Port-Vendres ; veiller à l'engagement pris par l'État de permettre à la place portuaire de gagner en compétitivité avec un soutien financier des dépenses de dragage ; ou encore, supprimer les formalités douanières exigées pour des transferts sur le seul axe Seine en proposant un seul et même espace douanier.

Alors que la France a la plus grande façade maritime du continent européen, la moitié des conteneurs à destination de nos bassins de consommation ne passent pas par les ports français. L'élaboration de cette politique portuaire doit aussi prendre en compte la dimension fiscale, l'Union européenne menaçant de condamner la France pour ne pas imposer ses ports à l'impôt sur les sociétés, et la dimension sociale, les opérateurs privés du port se plaignant d'avoir parfois dû aligner par le haut les conventions collectives applicables à leurs employés sur celles des dockers employés par les opérateurs publics. Si cette situation devait se dégrader encore, cela serait catastrophique pour le développement du Port du Havre et d'HAROPA. Nous sommes donc visiblement à la croisée des chemins.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion