Madame la présidente, monsieur le président-rapporteur, cher Alain Milon, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aime beaucoup René Char, mais je vais, pour ma part, citer Hannah Arendt : « La pensée naît d’événements de l’expérience vécue et elle doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres à l’orienter ».
C’est ce qui a orienté notre réflexion et nos débats sur le projet de loi d’habilitation que je soumets à votre vote aujourd’hui. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont, et je m’en félicite, nos expériences individuelles et collectives qui fondent les décisions prises sur ce texte.
Vous avez enrichi nos discussions de votre expérience accomplie d’élu, car vous êtes en permanence au contact de nos concitoyens, mais aussi de leurs représentants locaux, à l’écoute de leurs inquiétudes et de leurs attentes face à un monde en profonde mutation.
Votre expérience de parlementaire, en particulier sous la précédente législature, où vous avez examiné plusieurs réformes du code du travail, a, en outre, permis d’apporter des éclairages techniques indispensables à la qualité de nos échanges. Je tiens à vous en remercier tout particulièrement.
Nos discussions se sont aussi nourries de la diversité de nos expériences professionnelles, pour certains en tant que salariés, membres d’instances de représentation du personnel, employeurs, dans des entreprises de tailles différentes et dans des secteurs d’activité divers, en France ou à l’étranger. C’est tout l’apport de l’alliage de la démocratie politique et de la démocratie sociale.
Enfin, nos discussions étaient chargées, au bon sens du terme, de notre expérience collective dans le temps. C’est-à-dire de notre histoire et des valeurs de la République qui fondent notre modèle social. C’est dire aussi la conviction d’une majorité d’entre nous, vous l’avez rappelé, monsieur le président-rapporteur, de la nécessité de rénover profondément notre modèle social pour l’adapter aux défis d’aujourd’hui et de demain, tant pour les entreprises que pour les salariés.
Nous étions également tous conscients, lors de nos débats, de l’urgence d’agir, car il est nécessaire de changer le regard sur l’entreprise et d’instaurer un climat de confiance indispensable à la création d’emplois et au dialogue social.
C’est le souci du pragmatisme qui nous guide, c’est-à-dire la volonté d’apporter des solutions opérationnelles aptes à répondre aux défis de notre temps, des réponses adaptées à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, et aux différentes situations de salariés.
Le pragmatisme est indissociable du dialogue. Prendre une mesure à vocation opérationnelle exige de consulter ceux qui devront l’appliquer au quotidien, la vivre.
Aussi, l’accord obtenu en commission mixte paritaire sur le projet de loi d’habilitation, qui consacre des orientations pragmatiques, est le fruit d’un dialogue, à la fois au Parlement, mais aussi avec les partenaires sociaux, dans le cadre des concertations.
Ce processus, qui allie étroitement et de façon interactive démocratie sociale et démocratie politique, n’est pas terminé, puisque viendront à la fin du mois de septembre les ordonnances et, ensuite, le projet de loi de ratification.
La méthode que nous avons choisie, cette concertation, est le reflet de la philosophie du projet de loi lui-même, et des ordonnances qui en découleront. Elle repose sur la confiance dans la capacité des partenaires sociaux, des employeurs, des salariés et de leurs représentants à trouver, par le dialogue, comment répondre aux besoins de liberté et de protection à la fois des entreprises et des salariés.
Cela suppose un dialogue social renforcé, avec des acteurs responsabilisés et mieux formés, dans un cadre structuré, lisible et décentralisé. C’est ce qui permettra de trouver au plus près du terrain des solutions conciliant l’impératif de compétitivité et l’exigence de justice sociale, c’est-à-dire de faire converger l’économique et le social.
Le dialogue, au Parlement comme avec les partenaires sociaux, ne signifie pas forcément qu’il y a un accord sur tout, et encore moins qu’il y a unanimité, même si certains sujets l’ont pourtant recueillie sur ces travées. Je pense en particulier à la meilleure prise en compte de l’égalité femme-homme, mais aussi des personnes en situation de handicap. Je souhaite à ce propos remercier Mme la sénatrice Dominique Gillot d’avoir porté ces dispositions, qui ont ensuite été adoptées à l’unanimité.
À ce stade, nous pouvons être collectivement satisfaits du résultat de cet alliage entre démocratie sociale et démocratie politique, sans préjuger les étapes ultérieures.
Cet alliage a permis d’affiner utilement les orientations envisagées initialement par le Gouvernement. Je retiendrai plusieurs exemples où les débats ont fait évoluer notre conception du projet.
Sur le premier volet, dédié à la nouvelle articulation de l’accord d’entreprise et de l’accord de branche, ainsi qu’à l’élargissement sécurisé du champ de la négociation collective, les débats ont fait évoluer notre volonté de décentraliser la négociation pour renforcer non seulement l’accord d’entreprise, mais aussi l’accord de branche, afin de tenir compte, notamment, du grand nombre de très petites et moyennes entreprises dans notre pays. D’où notre souci partagé de renforcer le processus de restructuration afin que toutes les branches soient actives et performantes.
Par ailleurs, une attention particulière, véritable fil rouge de nos discussions, a été portée à la situation spécifique des TPE-PME. Elle transparaîtra dans la rédaction des ordonnances afin de garantir l’effectivité des droits pour tous les salariés et les employeurs, sans alourdir la charge administrative des entreprises. C’est tout l’esprit de la réforme du compte professionnel de prévention, qui allie justice sociale et simplicité pour les petites entreprises.
Sur le deuxième volet, relatif à la clarification des instances de représentation du personnel, vous avez été particulièrement sensibles à la nécessité de régénérer le dialogue social en introduisant une limitation du nombre de mandats syndicaux, que la CMP a d’ailleurs fixé à 3, tout en permettant une dérogation, notamment pour les petites entreprises, où il est parfois difficile de trouver des salariés désireux de participer aux instances représentatives.
Aussi devons-nous renforcer davantage la formation mais aussi les parcours professionnels des représentants du personnel pour avoir un dialogue social de qualité et pour susciter des vocations afin de le faire perdurer. C’est l’objet de la mission que j’ai confiée à M. Simonpoli, président de l’association Dialogues, dont les recommandations auront vocation à trouver leur traduction dans les ordonnances.
Vous avez également insisté sur la prise en compte de la spécificité de la taille ou du secteur d’activité des entreprises, qui devrait conduire dans certains cas à l’instauration, au sein du comité social et économique, d’une commission spécialisée dédiée à la santé et la sécurité au travail. Ce caractère stratégique et opérationnel du comité, qui fusionnera comité d’entreprise, délégués du personnel et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, se trouvera renforcé, là où c’est nécessaire, par l’existence de cette commission, qui pourra en amont préparer de façon beaucoup plus approfondie les travaux du comité, et donc veiller à la protection des salariés avec la même exigence qu’aujourd’hui.
Enfin, sur le dernier volet, consacré à la sécurisation des relations de travail, outre l’accès simplifié au droit avec le code du travail digital, vous avez aussi approuvé les dispositions permettant de lever les incertitudes juridiques qui, de par leur caractère anxiogène, brident l’embauche.
C’est l’enjeu de la sécurisation de la procédure de licenciement pour éviter le recours systématique au contentieux, néfaste tant pour l’employeur que pour le salarié, tous deux suspendus à des décisions de justice, parfois aléatoires, on l’a vu, ce qui les prive de se projeter dans l’avenir. C’est pourquoi nous souhaitons encourager la conciliation en amont, mais aussi augmenter les indemnités légales de licenciement, et clarifier le barème de dommages et intérêts.
L’accord trouvé en commission mixte paritaire n’est pas, je le répète, un blanc-seing. C’est un mandat que vous nous donnez, et qu’il appartient au Gouvernement de respecter et de mettre en œuvre, sous l’œil vigilant du législateur et des partenaires sociaux, mais aussi, à travers vous, mesdames, messieurs les sénateurs, de tous nos concitoyens.
La mise en œuvre de cette réforme et l’appropriation dont elle fera l’objet par les acteurs de terrain se fera en parallèle avec les prochains chantiers que le Gouvernement engagera ces dix-huit prochains mois pour rénover durablement notre modèle social.
Je les ai déjà annoncés. Il s’agit de la réforme de l’assurance chômage, de la réforme la formation professionnelle, ainsi que de la réforme de l’apprentissage que je défendrai avec le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer.
Il s’agit également de la réforme des retraites, que portera la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.
Cet ensemble de réformes, allié à l’action du Gouvernement en faveur de la compétitivité des entreprises et du pouvoir d’achat, doit permettre à la croissance, de retour dans l’Hexagone, d’être pleinement porteuse d’emplois, alors que, souvent par le passé, la France a eu une croissance moins riche en emplois que certains des autres pays de l’OCDE.
Ces réformes interdépendantes constitueront le terreau sur lequel nos entrepreneurs pourront pleinement exprimer leur potentiel d’innovation, de création d’emplois et de promotion de l’excellence du savoir-faire et de la créativité de la France partout dans le monde.
Plus de liberté et plus de protections grâce à un dialogue social renforcé au plus près du terrain, tel est le sens de la loi que j’ai l’honneur de soumettre à votre vote aujourd’hui. C’est l’esprit dans lequel nous engagerons les réformes à venir.
Au terme de cette première phase du long chantier de rénovation que nous venons d’entreprendre, je souhaite remercier celles et ceux qui ont participé au débat.
Je tiens tout particulièrement à saluer la rapidité et l’efficacité avec lesquelles le président-rapporteur, Alain Milon, a parfaitement maîtrisé la technicité de ce dossier – vos collègues ont eu raison de vous applaudir sur ce point. Je rends aussi hommage à la qualité de son écoute et à sa disponibilité.
Je tiens aussi à remercier, au nom de mon collègue Gérald Darmanin, le rapporteur pour avis sur l’article 9, Albéric de Montgolfier.
Je souhaite par ailleurs saluer les présidentes et présidents de séance, qui ont permis que la discussion de ce texte se déroule dans de bonnes conditions et dans un très bon climat.
Je félicite les services de la séance et les huissiers, qui m’ont enseigné les subtilités du vote solennel, que je ne connaissais pas. Je tiens enfin à saluer le travail remarquable et la disponibilité des administrateurs des commissions concernées, sans lesquels nous ne serions pas là aujourd’hui.
Enfin, je sais que le mandat de certains d’entre vous, qui ne se représentent pas, touche à sa fin, ce qui vous privera de poursuivre nos échanges, en ce haut lieu de la République, sur la rénovation de notre maison commune que constitue le modèle social français. Pour autant, si vous n’avez pas la possibilité de revenir sur ces travées, je sais que votre engagement politique se poursuivra sous d’autres formes.
Car nous sommes convaincus, même si nos points de vue diffèrent parfois, ce qui est le signe d’une démocratie vivante, que le modèle social français doit enfin être une réalité au quotidien pour l’ensemble des entreprises et de nos concitoyens. Car nous devons faire vivre la promesse républicaine de l’émancipation individuelle et collective, afin que chacun puisse se réaliser.
C’est pourquoi nous rénoverons notre modèle social afin que la liberté d’entreprendre aille de pair avec le renforcement de l’égalité des chances, toutes deux fondements de la fraternité.
Notre ambition commune, et je sais que vous la portez pleinement, c’est de faire en sorte que la France, forte de son héritage et de ses valeurs, puisse trouver et inventer en permanence sa propre voie vers un modèle social ambitieux et rénové, en phase avec les enjeux de notre temps, aujourd’hui comme demain.