Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 4 août 2017 à 15h00
Confiance dans la vie politique — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

La réserve parlementaire a bon dos. Nous sommes plusieurs sur l’ensemble de ces travées à n’avoir pas compris votre intransigeance et à ne toujours pas la comprendre. Sur ces textes – je pense en particulier à la loi ordinaire –, le Sénat s’est montré plus que disponible ; en réalité, nous avons même souvent été précurseurs, voire à l’avant-garde, en adoptant un certain nombre de dispositifs qui resteront gravés dans la loi ordinaire. Aussi personne ne peut nous faire un procès en blocage.

J’en viens à mes observations plus spécifiques sur la réserve parlementaire.

Madame le garde des sceaux, laisser accroire à l’opinion publique que la réserve parlementaire est à l’origine de cette défiance, de la fatigue démocratique, qu’elle serait finalement une anomalie démocratique, c’est lui faire un bien mauvais procès.

Mes chers collègues, le Sénat n’a attendu personne pour durcir les règles applicables à la réserve parlementaire, pour encadrer par exemple son champ d’intervention, les modalités d’attribution des fonds. Vous savez parfaitement que cette attribution fait l’objet d’un double contrôle : d’une part, du ministère de l’intérieur, qui bloquerait évidemment une subvention qui serait illégale, d’autre part, des services des préfectures. Par ailleurs, par souci de transparence, chaque année, les montants et les destinataires sont rendus publics en open data. Tout cela était donc parfaitement démocratique et transparent.

Vous vouliez aller plus loin, madame la ministre. Le président-rapporteur s’est montré là encore parfaitement coopératif et vous a proposé un dispositif évidemment intelligent, puisque venant de lui, pour sauver l’investissement auprès des collectivités locales et durcissant les conditions d’attribution. Six critères d’éligibilité ont été fixés et la création d’une nouvelle instance de contrôle a été proposée, réunissant le bureau de chacune des assemblées. Et vous avez dit non ! Cette obsession, cette fixation sur la réserve que vous avez d’ailleurs reconnue en parlant tout à l’heure, dans cette enceinte même, si je ne me trompe, d’une opposition principielle, nous ne l’avons absolument pas comprise.

Pour pouvoir la comprendre, pour pouvoir l’éclairer et pour trouver une explication aux obstacles que vous dressez face au nouveau dispositif que nous proposons pour les collectivités, nous en sommes réduits à des supputations.

En réalité, derrière cette intransigeance et derrière nos différences, il y a de vraies divergences : une divergence sur la conception que nous nous faisons du rôle des élus – y compris des parlementaires – et une divergence sur le rôle que nous nous faisons des collectivités.

S’agissant des élus et des parlementaires, je vous ai entendue. Vous dites que les parlementaires ne devraient représenter que l’intérêt général par le vote de la loi et en contrôlant l’action du Gouvernement. Aujourd’hui, madame le garde des sceaux, alors que la fracture territoriale ne cesse de se creuser, ce qui menace notre pays, ce qui pourrait défaire la France à l’heure de la fin du cumul des mandats, c’est cette dissociation entre le local et le national que vous allez accroître précisément en supprimant la réserve parlementaire.

S’agissant du rôle de l’élu, je rejoins ce qu’a dit Loïc Hervé, qui constatait qu’il y avait finalement deux poids deux mesures entre les préfets qui attribuent des fonds et les parlementaires, auxquels cette faculté serait refusée. D’ailleurs, j’ai été très surpris que vous refusiez, avec l’Assemblée nationale, que siègent des parlementaires au sein des commissions d’attribution de la DETR. En réalité, votre conception des élus est la suivante : pour vous, un haut fonctionnaire est plus éclairé pour l’attribution de fonds publics que les parlementaires, qui, eux, votent le budget de la Nation. C’est comme si cette position exprimait une vision de la politique, ou plutôt de la sortie de la politique, réduite à une forme de rêve technocratique selon laquelle, finalement, la fin du clivage serait simplement la réduction de la politique à ce qu’on pourrait appeler une fonction uniquement administrative des choses de la cité.

« L’administration des choses plutôt que le gouvernement des hommes » disait Saint-Simon. Ce n’est pas du tout notre option. Nous avons là une vraie différence.

Et j’ai entendu le Président de la République déclarer, au Sénat, que l’on compte trop d’élus locaux. Les attitudes parfois technocratiques de l’exécutif nous permettent d’y voir plus clair sur le rôle que vous voulez attribuer aux élus, qui sont des corps intermédiaires importants et que vous pourriez affaiblir.

J’en viens aux collectivités territoriales. Oh, je le sais bien, c’est devenu un sport national en France : l’État jacobin reprend toujours d’une main ce que les différentes lois de décentralisation ont accordé aux territoires. Déjà, sous le précédent quinquennat, ce sont les collectivités qui, grâce à leurs efforts, ont le plus contribué à la baisse de la dépense publique. Mais là, chapeau ! Le gouvernement auquel vous appartenez, madame le garde des sceaux, se surpasse : la réforme de la taxe d’habitation, les 13 milliards d’euros en moins dans les dépenses des collectivités, la suppression des 300 millions d’euros de crédits pour leurs investissements dans la politique de la ville, alors même que le Président de la République avait garanti, lors de la Conférence nationale des territoires, qu’il n’en serait rien, qu’il n’y aurait pas de coupes sombres. Rétablir la confiance, cela commence par respecter la parole donnée, par ne pas se déjuger.

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