Intervention de Antoine Lefèvre

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 juillet 2017 à 9h30
Contrôle budgétaire — Dépenses de santé des personnes détenues - communication

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre, rapporteur spécial :

Je vais vous présenter les principales conclusions de mon rapport sur les dépenses pour la santé des personnes détenues.

Si, en moyenne, la population pénale est jeune, elle est aussi vieillissante et surtout précaire. Selon l'Agence régionale de santé d'Île-de-France par exemple, l'incidence de la tuberculose est dix fois supérieure à la moyenne nationale et le nombre de pathologies psychiatriques est vingt fois plus élevé que dans la population générale. Le VIH, l'hépatite C mais aussi la tuberculose sont également surreprésentés en prison. Plus généralement, l'état de santé des personnes détenues est particulièrement dégradé, par rapport à celui de la population générale.

Par ailleurs, selon le dernier état des lieux réalisé en 2015 par l'Institut national de veille sanitaire, les maladies infectieuses, les addictions et la santé mentale en prison sont davantage étudiées que les maladies chroniques. Le manque de connaissance des maladies chroniques en détention est particulièrement problématique dans un contexte de vieillissement de la population carcérale, car il ne permet pas d'anticiper les besoins et, le cas échéant, d'adapter l'offre de soins.

Les dépenses de santé des personnes détenues sont prises en charge par l'assurance maladie pour la part « obligatoire » et par l'administration pénitentiaire - c'est-à-dire l'État - pour la part « complémentaire ». Le circuit de financement des dépenses de santé des détenus a été récemment simplifié : jusqu'en 2016, les directions régionales de l'administration pénitentiaire remboursaient aux établissements de santé, sur facture, la part « complémentaire ». Depuis l'année dernière, l'intégralité des dépenses de santé est prise en charge par l'assurance maladie, qui adresse ensuite une facture globale à l'administration pénitentiaire. Cette gestion centralisée constitue une simplification indéniable mais elle pourrait s'accompagner d'une meilleure connaissance de la structure et de la dynamique des dépenses de santé des personnes écrouées prises en charge par l'État, notamment grâce à une transmission, à l'administration pénitentiaire, de données comptables et statistiques.

Surtout, la part des dépenses de santé prises en charge par l'administration pénitentiaire s'avère sous-budgétée. Ainsi, entre 2010 et 2016, la population pénale a augmenté de 2 % et les dépenses de santé déconcentrées de 28 %. La croissance des charges à payer est de 180 %, comme vous le voyez sur ce graphique. En 2016 par exemple, plus de 90 % de la dotation prévue par la loi de finances initiale, soit 30,5 millions d'euros, ont été consacrés au paiement des dettes de l'administration pénitentiaire aux établissements de santé et seuls 3,2 millions d'euros ont été versés à la caisse nationale d'assurance maladie, alors même que l'appel de fonds pour 2016 s'élevait à 30,7 millions d'euros.

Autrement dit, après s'être endettée auprès des établissements de santé, l'État s'endette désormais auprès de l'assurance maladie.

À ce jour, la dette globale du ministère de la justice s'élève à 88 millions d'euros, pour une dotation annuelle de 31 millions d'euros. Par exemple, le ministère de la justice doit 10 millions d'euros au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille au titre des dépenses engagées avant 2016.

Par ailleurs, l'administration pénitentiaire paye, pour les personnes détenues qui ne travaillent pas, une cotisation à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), en contrepartie de leur affiliation au régime général d'assurance maladie. Comme pour les dépenses de santé déconcentrées, la sous-budgétisation chronique de la cotisation Acoss a conduit à la création d'une dette envers l'Acoss qui s'élève, en 2016, à 17 millions d'euros.

Ainsi, comme pour l'aide médicale d'État (AME), l'État se défausse sur la sécurité sociale et régule sa dépense en la reportant sur l'assurance maladie. Si 10 millions d'euros de dette pour le CHRU de Lille est une somme conséquente (un tiers de son besoin de trésorerie), c'est une goutte d'eau dans les dépenses d'assurance maladie !

En tout état de cause, il convient d'apurer les dettes passées et d'assurer, pour l'avenir, une budgétisation sincère, tenant compte de l'évolution de la population pénale mais aussi, le cas échéant, de la création de nouvelles structures susceptibles d'être fortement sollicitées et donc d'augmenter les dépenses de santé des personnes détenues.

Au sens large, les dépenses de santé des personnes détenues comprennent également le coût des dispositifs dédiés. À ce titre, les établissements de santé perçoivent des dotations spécifiques de la part de l'assurance maladie pour compenser le surcoût relatif à cette mission d'intérêt général. On peut évaluer à 360 millions d'euros, en 2016, le coût global de la prise en charge sanitaire des personnes détenues.

La reconstitution de ce coût consolidé est complexe et n'est retracée dans aucun document budgétaire. Pourtant, afin de mesurer l'efficacité du dispositif, ce coût pourrait être mis en regard des enquêtes épidémiologiques, qui d'ailleurs sont trop peu fréquentes.

La dépense de santé d'une personne écrouée s'élève donc à environ 5 000 euros par an. À titre de comparaison, pour un bénéficiaire de la CMU-C, cette dépense annuelle s'élève à 4 000 euros - et à 2 475 euros pour les affiliés au régime général. Cet écart n'est pas dû à une surconsommation de soins par rapport à la population générale, mais s'explique par les surcoûts des dispositifs de prises en charge spécifiques : l'hôpital en prison (les unités sanitaires), les hospitalisations dans des unités spécifiques sécurisées par l'administration pénitentiaire (les unités hospitalières) et dans des chambres sécurisées des hôpitaux.

L'offre de soins à destination des personnes détenues comprend deux dispositifs, l'un pour les soins somatiques, l'autre pour les soins psychiatriques.

Initiée en 1994, cette offre de soins dédiée constitue un indéniable progrès dans l'accès aux soins des personnes détenues : par exemple, 175 unités sanitaires ont été construites dans les établissements pénitentiaires. À l'occasion de mes déplacements, j'ai pu constater l'implication des professionnels de santé qui exercent souvent dans des conditions particulièrement difficiles et assurent une prise en charge de qualité au quotidien. Toutefois, le succès de cette offre auprès des personnes détenues est inégal et il convient désormais d'assurer la cohérence territoriale de l'offre de soins à destination des détenus.

D'abord, l'offre de soins somatiques est mal utilisée. Les huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), situées dans des centres hospitaliers universitaires, sont utilisées pour des hospitalisations à temps complet de plus de 48 heures. Leur taux d'occupation, qui s'élève à 68 %, s'est amélioré, se rapprochant de l'objectif fixé - 70 % - mais un écart de plus de 30 % est constaté entre l'occupation de l'UHSI de Marseille et celle de Strasbourg, comme vous pouvez le constater sur le graphique. En effet, l'absence de cour de promenade et de possibilité de fumer constitue manifestement un frein pour le détenu, enclin à repousser voire à annuler son hospitalisation. Cette situation désorganise l'unité et ne résout pas les problèmes de santé du détenu.

En outre, l'utilisation des chambres sécurisées, implantées dans le centre hospitalier de rattachement de l'établissement pénitentiaire et destinées à accueillir les détenus pour les hospitalisations urgentes ou programmées, est mal connue. Toutefois, il semble qu'elles « font de l'ombre » aux UHSI. Elles sont en effet généralement plus proches de l'établissement pénitentiaire que l'UHSI. Or, ces hospitalisations courtes nécessitent une extraction vers l'hôpital, assurée par une escorte pénitentiaire, mais aussi, à l'hôpital, une garde statique, mobilisant ainsi les forces de l'ordre... Une meilleure connaissance de l'utilisation des chambres sécurisées paraît aujourd'hui nécessaire.

En revanche, l'offre de soins psychiatriques est très sollicitée, mais n'est pas encore finalisée. Je rappelle que les conditions d'accès aux soins des personnes détenues atteintes de troubles mentaux ont considérablement évolué avec la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. Elle a en effet exclu la possibilité d'hospitalisation à temps complet au sein d'un établissement pénitentiaire. Les hospitalisations psychiatriques doivent désormais être réalisées en milieu hospitalier et sont principalement effectuées dans des unités hospitalières spécifiquement aménagées pour recevoir des personnes détenues (UHSA). Si l'administration pénitentiaire en assure la sécurité, elle n'est pas présente en son sein. La commission des affaires sociales du Sénat a d'ailleurs effectué un travail sur ce thème et publiera prochainement son rapport.

Le programme de construction prévoyait l'ouverture de 17 unités, comportant 705 places avec deux tranches de construction : une première tranche de neuf unités totalisant 440 places, et une seconde de 265 places réparties dans cinq unités en métropole et trois unités en outre-mer. Les neuf unités de la première tranche ont été livrées.

Les possibilités d'hospitalisation à temps complet offertes par les UHSA sont pleinement exploitées car elles répondent à un besoin réel. Leur taux d'occupation s'élève à 75 % au niveau national. Néanmoins, en l'absence d'UHSA ouverte dans le ressort territorial d'un établissement pénitentiaire, ou en l'absence de place disponible, l'hospitalisation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux continue d'être assurée au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie dans le cadre des hospitalisations d'office ou au sein des unités pour malades difficiles (UMD). Or, ces hospitalisations se déroulent sans gardes statiques ni surveillance de l'administration pénitentiaire ou des forces de l'ordre.

Cette situation ne saurait perdurer : problématique pour la sécurité du personnel et des autres patients, elle pose aussi la question de l'adéquation des soins, souvent trop courts eu égard au sentiment d'insécurité du personnel, mais aussi peu adaptés pour le patient. Au contraire, la durée moyenne de séjour en UHSA s'élève à 55 jours au niveau national. L'UHSA de Villejuif, que j'ai eu l'occasion de visiter, propose une prise en charge séquentielle articulée autour de trois étapes. En 2016, la durée moyenne de séjour y est de 90 jours.

J'estime que le contexte budgétaire contraint ainsi que le coût particulièrement élevé de la construction de la deuxième tranche d'UHSA nous incitent à envisager prudemment ce projet. Les UHSA répondent sans conteste à une demande et permettent d'offrir un accès à des soins effectifs et dignes pour les détenus confrontés à des problèmes psychiatriques.

La construction de la seconde tranche devrait a minima être conditionnée au remboursement des dettes de l'administration pénitentiaire et, le cas échéant, s'accompagner des crédits nécessaires.

Il me semble que cette décision devrait également être précédée d'une réflexion sérieuse sur le sens de la peine d'emprisonnement. Certains considèrent en effet que l'enfermement carcéral (en prison puis en UHSA) a remplacé une prise en charge sanitaire plus classique des malades mentaux en hôpital psychiatrique. Pire, les soins psychiatriques réservés aux détenus seraient plus satisfaisants que ceux dont bénéficie la population générale. Les UHSA répondent indéniablement à un besoin, mais ne constituent pas, à mon sens, une solution satisfaisante au regard de leur coût.

La prise en charge sanitaire des personnes détenues, en particulier au sein des UHSI et des UHSA, constitue un grand progrès. Mais l'offre de soins à destination des personnes détenues est confrontée aux mêmes difficultés que l'offre de soins destinée à la population générale.

D'une part, elle peine à répondre aux évolutions de la démographie carcérale. Avec le vieillissement de la population pénale, naissent de nouveaux besoins dans le domaine des pathologies chroniques et des troubles cognitifs. Comme pour la population générale, il est particulièrement difficile de trouver des structures adaptées à une prise en charge après une hospitalisation pour des détenus alors qu'on peut se demander si leur état est réellement compatible avec les conditions de détention.

Alors que certains détenus pourraient bénéficier d'une suspension de peine pour raison médicale, cette mesure n'est que faiblement prononcée, faute de pouvoir trouver une structure d'aval acceptant d'accueillir la personne une fois libérée : les associations et les EHPAD peuvent avoir des réticences à accueillir des personnes ayant été incarcérées.

Au sein de l'Établissement public de santé national de Fresnes, que j'ai visité, un étage est dédié au Centre socio-médico-judiciaire de sûreté (CSMJS), censé accueillir les personnes placées sous le régime de la rétention-sûreté. Cet étage, qui n'a accueilli qu'une dizaine de retenus depuis 2008, est vivement critiqué par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté : situé à l'intérieur d'un établissement pénitentiaire, il n'y est proposé aucune activité, aucune prise en charge médico-psychologique. La direction de l'EPSNF souhaiterait pouvoir faire de ce centre, qui est tout neuf, un pré-EPHAD de six places, qui pourrait accueillir pendant six mois les détenus ayant fait une demande de suspension de peine pour raison médicale, afin d'avoir le temps de trouver une place en structure d'aval.

D'autre part, la désertification médicale, à laquelle certains territoires sont confrontés, n'épargne pas le milieu carcéral, où l'exercice médical peine à attirer les professionnels de santé. Autrement dit, les problèmes d'attractivité médicale pour soigner la population pénale sont décuplés dans les régions confrontées à la désertification médicale - notamment les Hauts-de-France.

Les difficultés de recrutement de professionnels de santé en milieu carcéral concernent surtout certaines spécialités, comme vous pouvez le voir, au premier rang desquelles figurent par exemple l'ophtalmologie, la chirurgie dentaire, la kinésithérapie. Alors que la plupart des unités sanitaires sont équipées d'un fauteuil dentaire, au regard du besoin de soins réel de la population carcérale en la matière, elles rencontrent de sérieuses difficultés pour dénicher un chirurgien-dentiste acceptant de réaliser des vacations. Ces difficultés découlent principalement des conditions de travail en milieu pénitentiaire, notamment la crainte des agressions ou l'exiguïté de certaines unités sanitaires. Afin d'améliorer l'attractivité de l'exercice professionnel en milieu carcéral, il conviendrait de mieux faire connaitre ce secteur, et de développer les stages en unités sanitaires pour les internes de médecine.

Surtout, la télémédecine mériterait d'être déployée à plus grande échelle dans les unités sanitaires, car elle est particulièrement adaptée au milieu carcéral : elle permet de limiter les extractions vers l'hôpital de rattachement, tout en garantissant un accès réel aux soins aux personnes détenues. Alors que la santé des personnes détenues figurait parmi les axes prioritaires pour le déploiement de la télémédecine fixés en 2011 par la direction générale de l'offre de soins, peu de projets ont finalement été déployés.

En définitive, les personnes détenues bénéficient d'une couverture sociale effective, grâce à une affiliation rapide au régime général de la sécurité sociale et d'un reste à charge limité par l'interdiction des dépassements d'honoraires, et l'absence d'avance de frais.

Il convient de souligner que l'accès effectif aux soins dépend largement des conditions de détention : dans des établissements surpeuplés, il arrive que les surveillants pénitentiaires ne puissent pas assurer la présence des patients à leur rendez-vous médical à l'unité sanitaire, sans que le personnel soignant ne connaisse le motif d'absence.

Or le suivi médical peut faire partie des obligations du détenu et conditionner un aménagement de peine.

En outre, il arrive que les surveillants pénitentiaires aient le sentiment que l'accès aux soins des personnes détenues est meilleur que le leur, en particulier dans les déserts médicaux.

Ainsi, les relations entre le personnel médical et le personnel pénitentiaire sont variables d'un établissement à l'autre : ces deux univers professionnels, largement étrangers l'un à l'autre, doivent continuer à travailler ensemble et accepter leurs contraintes respectives. C'est sur ce voeu pieux que je terminerai.

Dans le cadre de ce travail, j'ai découvert un univers particulier au sein de l'univers déjà très particulier des prisons, celui des unités sanitaires et hospitalières. J'ai en tête quelques images et témoignages des personnels soignants. J'ai observé le dévouement extrême de ces personnels, pour certains très jeunes, et qui soulignaient l'intérêt professionnel de la pratique médicale en milieu carcéral. C'est peut-être un message à faire passer à la jeune génération pour susciter les vocations.

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