Intervention de Alain Fouché

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 5 octobre 2017 à 10h30
Projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets plans et programmes et portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain FouchéAlain Fouché, rapporteur :

Je suis très honoré d'inaugurer ce matin les travaux de notre commission en vous présentant mon rapport sur le premier projet de loi dont notre commission renouvelée est saisie. Il s'agit du projet de loi de ratification de deux ordonnances, toutes deux publiées il y a un peu plus d'un an, le 3 août 2016.

La première, l'ordonnance n°2016-1058, modifie les règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes et la seconde, l'ordonnance n°2016-1060, réforme les procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement.

Certains d'entre vous s'en souviennent peut-être, c'est l'article 106 de la loi « Macron » de 2015 qui avait habilité le Gouvernement à prendre ces ordonnances.

Il s'agit là de deux ordonnances riches et techniques qui visent, d'une part, pour l'ordonnance sur l'évaluation environnementale, à achever de transposer dans notre droit celui de l'Union européenne, en particulier les directives de 2011 et de 2014, qu'il fallait transposer avant le 16 mai 2017, d'autre part, à simplifier et à clarifier le droit applicable dans ces deux domaines, tout en conservant un niveau élevé d'exigence environnementale.

Malgré leur longueur, ces deux textes techniques n'apportent pas de complexité supplémentaire, au contraire. Ils s'inscrivent dans le prolongement du chantier de modernisation du droit de l'environnement, engagé depuis plusieurs années déjà.

Ces deux textes ont fait l'objet de travaux préliminaires importants, associant l'ensemble des parties prenantes, que ce soit dans le cadre du groupe de travail présidé par Jacques Vernier pour l'évaluation environnementale, ou de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique, présidée par notre collègue Alain Richard, pour la participation du public.

C'est pourquoi l'ensemble des acteurs que j'ai pu entendre en audition nous ont bien précisé qu'ils attendaient désormais une ratification rapide de ces deux ordonnances, afin de stabiliser le régime juridique applicable. J'ajoute enfin que ces ordonnances ont fait l'objet de deux décrets d'application, publiés le 11 août 2016 et le 25 avril 2017.

J'en viens maintenant au contenu des ordonnances. La première réforme le droit de l'évaluation environnementale. À titre de rappel, l'évaluation environnementale implique de soumettre tout projet susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement à une évaluation de ces incidences, avant de l'autoriser. Les premiers jalons de ce régime ont été fixés en France par deux lois de 1976 sur la protection de la nature et sur les installations classées pour la protection de l'environnement, puis ont évolué avec le Grenelle de l'environnement en 2009-2010, afin de s'adapter aux exigences européennes. Le Grenelle a notamment fixé une liste de projets et de plans et programmes soumis à évaluation environnementale systématique, c'est-à-dire obligatoire, et une liste de projets soumis à ce qu'on appelle un examen « au cas par cas », impliquant que l'autorité environnementale examine, pour des projets remplissant certaines conditions de seuils et de critères, la nécessité ou non d'une évaluation environnementale.

Par souci de clarté, je vais vous énumérer les principaux apports de cette ordonnance sur le régime de l'évaluation environnementale.

En premier lieu, l'évaluation environnementale est définie. Il s'agit, sur le modèle de la directive européenne d'un processus comprenant la réalisation d'une étude d'impact par le maître d'ouvrage ; son examen par l'autorité compétente - bien souvent le préfet de région - pour prendre la décision après consultation de l'autorité environnementale, des collectivités territoriales et du public ; les mesures d'évitement, de réduction et de compensation proposées par le maître d'ouvrage ; enfin la décision d'autorisation.

Deuxième apport, il est prévu que l'analyse des incidences sur l'environnement intervienne le plus en amont possible, ce qui doit mettre fin aux pertes de temps considérables du passé.

En troisième lieu, la nomenclature des projets soumis à étude d'impact a été refondue pour privilégier, d'une part, une approche par « projet » et non plus par « procédure » ou « type d'autorisation », et réduire, d'autre part, le nombre de projets soumis systématiquement à évaluation environnementale. Ne devront plus désormais faire l'objet d'une étude d'impact que les projets considérés comme ayant le plus d'impact.

Quelques exemples : dans la catégorie des infrastructures de transport, la construction de gares ferroviaires, qui faisait systématiquement l'objet d'études d'impact, bascule désormais dans la catégorie du cas par cas ; les projets d'hydraulique agricole comme les projets d'irrigation ou par exemple de remblaiement de zones humides, basculent également dans la catégorie du cas par cas, et pour les projets de barrage et autres installations de stockage des eaux, désormais seuls les plus importants resteront soumis à étude d'impact systématique ; de la même manière, pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), seuls les projets les plus sensibles, comme les carrières, les projets éoliens, les élevages bovins ou porcins importants, le stockage de pétrole, etc, nécessiteront une étude d'impact obligatoire.

Parmi les installations classées pour la protection de l'environnement soumises à autorisation, 80 % ne feront plus l'objet d'une étude d'impact systématique.

Quatrième grand apport, en contrepartie de cette évolution vers moins de projets soumis de manière systématique à étude d'impact, l'ordonnance garantit des études d'impact au contenu de plus grande qualité, un renforcement de l'association des collectivités territoriales et de la participation du public ainsi que des procédures communes ou coordonnées afin d'éviter les redondances.

Enfin, pour les plans et programmes, une « clause de rattrapage » a été introduite, conformément à la directive, permettant au ministre de déterminer si un plan ou programme ne figurant pas dans la nomenclature doit néanmoins faire l'objet d'une évaluation environnementale.

Les principales conséquences attendues de cette réforme sont donc de deux ordres : quantitatives d'abord, avec une très nette réduction du nombre de projets soumis à étude d'impact (le gouvernement estime à 11,6 millions d'euros par an le gain financier net pour les entreprises et les collectivités territoriales) ; et qualitatives, avec une étude d'impact mieux justifiée.

Au cours de mes auditions, quelques difficultés ont été soulevées par plusieurs acteurs. Elles ne justifient pas une intervention au niveau législatif, mais j'interpellerai le ministre à leur sujet en séance publique.

La première inquiétude concerne le champ d'application de la nouvelle définition de la notion de « projet » qui doit désormais être perçue de manière globale afin d'éviter tout fractionnement, qu'il soit temporel ou géographique, qui pourrait empêcher d'évaluer l'ensemble de ses incidences sur l'environnement. J'ai notamment été alerté par le syndicat des énergies renouvelables, au sujet des ouvrages de production nécessitant des ouvrages de raccordement au réseau, pas forcément connus au moment de la première autorisation. Un certain nombre de réponses sont déjà apportées par le commissariat général au développement durable qui a publié un guide d'interprétation de la réforme en août dernier. Il m'a par ailleurs indiqué que des échanges techniques réguliers avaient lieu avec le syndicat afin de leur permettre d'appréhender au mieux cette nouvelle définition.

Ma deuxième remarque tend à souligner que cette ordonnance ne fait pas disparaître le problème du coût des études d'impact, ni celui des délais qu'elles impliquent. Sur ce point, il pourra être utile à l'avenir, je le crois, comme le suggère notre collègue Alain Richard, de réfléchir à une « normalisation » des études grâce à un travail de mise en données communes.

Enfin, nous ne disposons pas aujourd'hui de comparaison au niveau européen sur l'évaluation environnementale. Or, il serait utile de savoir comment les autres Etats membres s'acquittent des obligations imposées par les directives européennes.

J'en viens à la seconde ordonnance ratifiée par le présent projet de loi, qui porte sur la participation du public.

Pour rappel, la participation du public aux décisions environnementales est déjà bien ancrée dans notre droit. Outre les lois successives qui ont mis en oeuvre ce principe, comme la loi Barnier de 1995 et la loi Grenelle de 2010, la participation du public est prévue par la Convention internationale d'Aarhus de 1998 et elle est dotée d'un fondement constitutionnel depuis l'adoption de la Charte de l'environnement en 2005.

Schématiquement, la participation du public intervient, pour plus de transparence, à deux étapes du cycle de vie des projets : d'abord au stade de leur élaboration, afin de permettre au public de discuter de l'opportunité même du projet et de ses grandes caractéristiques, grâce aux procédures de débat public ou de concertation préalable (on parle alors de participation « en amont ») ; puis au stade de leur autorisation, afin d'éclairer la décision finale par l'avis du public, grâce aux procédures d'enquête publique ou de mise à disposition (on parle alors de participation « en aval »).

La participation en amont pour les projets les plus importants fait l'objet d'une saisine de la Commission nationale du débat public ou CNDP. Cette autorité administrative totalement indépendante est alors chargée de déterminer la procédure de participation la mieux adaptée.

Comme je l'ai évoqué en introduction, cette réforme de la participation du public s'appuie largement sur les travaux de la commission présidée par Alain Richard, mise en place à la suite des blocages, tensions et incidents, parfois même tragiques, observés lors de quelques projets emblématiques.

L'ordonnance comporte trois volets, que je vais vous présenter successivement.

Le premier volet définit les objectifs de la participation du public, principalement l'amélioration de la qualité de la décision publique, et la sensibilisation du public aux enjeux environnementaux. On vise là une parfaite transparence.

Il fixe également les droits associés pour assurer sa mise en oeuvre, comme l'accès aux informations pertinentes et la définition de délais raisonnables pour formuler des observations.

Le deuxième volet renforce la participation en amont, au stade de l'élaboration des projets, plans et programmes. Il s'agit du volet le plus important en termes de nouvelles mesures.

Tout d'abord, il étend la participation du public aux plans et programmes. Ceux d'importance nationale seront systématiquement soumis à la CNDP, tandis que les plans et programmes territoriaux pourront faire l'objet d'une concertation à l'initiative de l'autorité chargée de les élaborer ou par l'exercice d'un droit d'initiative sur lequel je reviendrai dans un instant.

La réforme renforce également les modalités d'engagement d'une concertation pour les projets non soumis à la CNDP, en permettant une concertation à l'initiative du maître d'ouvrage, à la demande de l'autorité compétente pour l'autoriser, ou par le nouveau droit d'initiative.

Les exigences minimales des concertations sont précisées par l'ordonnance, en privilégiant les concertations animées par un garant - notion nouvelle -, chargé de veiller à leur bon déroulement.

Pour les projets, plans et programmes non soumis à la CNDP, la réforme crée un droit d'initiative permettant de demander au préfet l'organisation d'une concertation avec garant. Je précise que pour les projets, il s'agit de ceux qui représentent un montant de dépenses publiques ou de subventions publiques supérieur à un seuil fixé par décret. Ce seuil a été fixé à 10 millions d'euros par le décret de 2017.

Précédé par la publication d'une déclaration d'intention, ce droit d'initiative peut être exercé par une partie de la population locale, par une collectivité territoriale ou un EPCI, ou par des associations environnementales agréées. Le préfet doit alors valider cette initiative en appréciant l'opportunité d'une telle concertation préalable.

Toujours en matière de participation du public, la réforme démocratise deux outils. Elle permet à 500 000 citoyens ou à 60 députés ou 60 sénateurs de saisir la CNDP pour organiser un débat public national sur un projet de réforme ; elle permet également à 10 000 citoyens de saisir la CNDP sur un projet qui lui est soumis de manière facultative par le maître d'ouvrage.

Enfin, l'ordonnance renforce le rôle de la CNDP, en lui confiant plusieurs missions nouvelles. La Commission nationale est ainsi chargée d'établir une liste nationale de garants, mobilisables pour toute concertation préalable avec garant ; elle peut financer la réalisation d'études complémentaires lors d'une concertation ; elle peut être saisie d'une demande de conciliation sur un projet faisant l'objet de désaccords précoces.

Le troisième et dernier volet de l'ordonnance permet de moderniser et de simplifier la participation en aval, au stade des décisions d'autorisation des projets, ou d'approbation des plans et programmes.

Le premier apport est la dématérialisation accrue de la procédure d'enquête publique, en particulier pour la consultation du dossier d'enquête et la transmission d'observations et de propositions. Des modalités présentielles sont toutefois maintenues par la mise à disposition d'un dossier papier et de postes informatiques.

Afin de simplifier les procédures, la durée minimale de l'enquête est abaissée de 30 à 15 jours pour les projets, plans et programmes non soumis à évaluation environnementale.

Le recours à une enquête publique est également facilité, pour un même projet soumis à plusieurs enquêtes distinctes, ou pour plusieurs projets pour lesquels le regroupement des enquêtes est pertinent.

Enfin, l'ordonnance réforme les procédures de mise à disposition, en particulier en créant une procédure de participation par voie électronique pour les projets, plans et programmes non soumis à enquête publique.

Dans l'ensemble, compte tenu des discussions menées et des débats à l'Assemblée nationale, le contenu de l'ordonnance convient aux différents acteurs que j'ai consultés. Outre des précisions techniques, je vous proposerai dans un instant d'apporter, par mes amendements, quelques ajustements au texte adopté par l'Assemblée nationale.

Je vous proposerai, tout d'abord, de revenir sur l'allongement de 4 à 6 mois du délai dans lequel les vices de forme ou de procédure peuvent être invoqués lors d'un contentieux, afin de ne pas multiplier les risques de contentieux ; de supprimer, ensuite, le plafonnement dans la loi du seuil de dépenses publiques au-delà duquel les projets sont soumis au droit d'initiative - 10 millions dans le projet du gouvernement, ramenés à 5 millions par l'Assemblée nationale - car cela empiète sur le domaine réglementaire et compromet une adaptation ultérieure de ce nouvel outil ; d'aligner, enfin, dans un souci d'harmonisation, le délai d'exercice du droit d'initiative pour les collectivités et pour les associations sur celui bénéficiant aux citoyens, que l'Assemblée nationale a opportunément porté à 4 mois.

Ces modifications visent à préserver les équilibres de la réforme, pour faciliter sa mise en oeuvre par toutes les parties prenantes. Plus de souplesse, donc, mais assortie d'une évaluation beaucoup plus protectrice et plus de transparence dans le débat public.

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