Intervention de François Toujas

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 octobre 2017 à 9h30
Audition de M. François Toujas candidat à la présidence du conseil d'administration de l'établissement français du sang

François Toujas, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Établissement français du sang :

C'est un très grand honneur pour moi de présenter à cette commission ce qu'a fait l'EFS pendant ces cinq dernière années -qui n'ont pas été un long fleuve tranquille, avec des tensions et des réussites - et ce qui pourrait se faire dans les trois années qui viennent dans l'hypothèse où mon mandat serait renouvelé.

L'EFS est le produit d'un très grand scandale sanitaire, celui du sang contaminé. C'est l'unique opérateur civil chargé de la collecte, de la préparation, de la qualification, puis de la distribution des produits sanguins labiles. Il comprend 9 800 collaborateurs et son budget est de 900 millions d'euros. Des sénateurs y seront sans doute sensibles, il a une réalité locale très forte, avec des équipes de distribution dans tous les établissements de santé.

C'est un service public qui porte haut les valeurs éthique et s'appuie sur la générosité du public. Le 19 octobre, il y aura une collecte de sang au Sénat ; j'espère que comme à l'accoutumée, ce sera une très bonne collecte, avec 120 poches de sang. Je vous invite à venir y participer.

C'est un acteur majeur de la santé publique car les produits sanguins labiles collectés n'ont aucune alternative thérapeutique, et cela pour un long temps. Nous collectons 10 000 produits par jour. L'établissement est à la fois un établissement public administratif et un établissement public industriel et commercial.

Producteur d'une ressource très rare et très précieuse, c'est un acteur stratégique qui répond aux besoins essentiels d'un million de patients tous les ans, 500 000 pour les produits sanguins labiles, 500 000 pour les médicaments issus de ces produits. Il manie des produits à la durée de vie limitée : 5 jours pour les plaquettes, 45 jours pour les concentrés de globules rouges. C'est un établissement sensible, puisqu'on lui a confié comme mission l'autosuffisance pour l'ensemble des produits au jour le jour.

Quel bilan faire de ces cinq ans ? L'EFS a toujours été au rendez-vous : nous avons été autosuffisants avec, en permanence, un stock de 12 à 14 jours pour faire face aux évènements majeurs qui pourraient survenir. Les attentats ont été une période difficile. Mais le fait de disposer de ce stock a permis que les soignants ne se soient jamais posé la question de la rareté - ce qui n'a pas été le cas à Las Vegas il y a quelques jours.

L'établissement doit remplir sa mission sept jours sur sept, 24 heures sur 24. La sécurité sanitaire doit être assurée à très haut niveau. Tout président de l'EFS a toujours cela en tête. Nous luttons également contre les risques épidémiques émergents comme le chikungunya ou le virus Zika et avons réussi à y faire face grâce à des déploiements en urgence. Nous avons déployé des plans de continuité de l'activité et un dépistage systématique des dons collectés aux Antilles. Nous mettrons en place d'ici la fin de l'année une technique d'inactivation des risques bactériens. Pour renforcer la sécurité des donneurs, nous avons mis en oeuvre une vigilance renforcée, notamment par la généralisation de gestes simples pendant et après le don.

La prise en compte de la sécurité a été fondamentale pendant les attentats. Tant à Nice qu'à Paris, nous n'avons jamais manqué de sang grâce à la rapidité de notre réaction et à notre politique de stockage.

L'EFS doit faire attention à son modèle économique, aujourd'hui équilibré mais fragile, selon lequel il se finance par sa propre activité. Les cessions de produits sanguins labiles connaissent une croissance faible mais réelle d'1 à 2 % par an.

Notre politique nationale d'achat a permis d'économiser une dizaine de millions d'euros. Nous avons aussi réduit le nombre de plateaux de qualification de 14 à 4. Nous avons engagé une négociation avec les représentants des plus de 9 000 collaborateurs pour nous doter d'un accord unique de réduction du temps de travail et d'une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, de manière à savoir de qui on aura besoin demain. On aura forcément moins besoin de médecins de collecte, puisque les infirmiers peuvent désormais administrer l'entretien pré-don.

L'EFS évolue dans un environnement menaçant : à la suite d'une plainte d'une entreprise pharmaceutique, le Conseil d'État a jugé le 23 juillet 2014 que le plasma thérapeutique sécurisé par solvant-détergent n'était plus un produit sanguin labile, mais un médicament. L'établissement se retrouve donc en concurrence avec d'autres possibles opérateurs, et ce n'est pas une mince affaire.

La croissance mondiale de la demande en plasma, matière première pour fabriquer des médicaments dérivés du sang, est très forte. Le plasma sur le marché est aujourd'hui à 80 % d'origine américaine. Objectivement, les conditions de collecte de ce plasma sont quelquefois extrêmement éloignées de ce que nous pratiquons dans notre pays, comme divers reportages diffusés récemment l'ont montré. Nous devons donc préserver notre modèle éthique et trouver un prix de cession compatible avec les grands équilibres économiques. Nous devons continuer à faire en sorte qu'éthique et efficience soient compatibles.

Quels engagements prendrais-je pour un éventuel nouveau mandat ? Je veux d'abord continuer la transformation. Nous nous sommes engagés dans une réflexion prospective intitulée « EFS 2035 », pour laquelle nous avons mobilisé des experts y compris de l'extérieur de l'EFS. J'aurai cinq grandes priorités.

Il faudra imaginer et construire la collecte de demain avec les donneurs de sang. Sur les 1,7 million de donneurs réguliers, nous en perdons 170 000 par an : les donneurs vieillissent, dépassent l'âge de 70 ans à partir duquel ils ne peuvent plus donner, ou tombent malades. Le renouvellement des donneurs est donc un sujet fondamental. Il nous faut donc mieux connaître les donneurs, leur relation au don, mais aussi les non-donneurs et savoir pourquoi ils ne donnent pas. Il n'y a que 4 % de la population qui donne. Il faut donc mieux informer, mieux accueillir, mieux fidéliser. Il nous faut ainsi engager une transformation digitale, afin de disposer de nouveaux moyens de communication permettant de mieux communiquer avec les jeunes.

Il faudra améliorer la collecte dans les zones fragiles et éloignées, comme outre-mer, où nous devons gagner en autosuffisance, d'autant plus que les risques d'ouragans et de glissements de terrains par exemple y sont importants. Il faudra aussi mieux prendre en compte l'aspect qualitatif de l'autosuffisance : les donneurs doivent représenter la diversité phénotypique de la population, et nous devons veiller à collecter les sangs d'intérêt ou sangs rares.

Avec les risques protéiformes et la mutation des moustiques, nous aurons à gérer des risques émergents et devons donc améliorer la mise en place en urgence de plans de continuité, notamment concernant des maladies disparues mais qui pourraient revenir. Il est à noter que l'EFS a une activité de recherche importante ; nous avons ainsi mis en oeuvre en première mondiale une détection du Creutzfeld-Jacob même quand le patient est encore asymptomatique. Il faudra travailler sur d'autres risques. Mon mandat passé a été marqué par les attentats de Nice et de Paris, qui ont soulevé des questions de logistique. Il nous faudra aussi étudier ce que nous pouvons apprendre de la médecine de guerre.

L'EFS aura aussi à participer à une meilleure allocation des dépenses de santé. Peut-être en participant à l'élimination des actes médicaux inutiles et redondants. Il sera urgent et nécessaire de consolider la filière plasma matière première en lien avec l'opérateur de fractionnement.

Une révision des directives européennes sur le sang et les cellules est possible ; face à laquelle il faudra préserver le modèle français qui repose sur le refus absolu de la marchandisation du corps humain, dont le sang fait partie. Il ne faudra pas seulement défendre ce modèle, mais le promouvoir : il peut en effet constituer des solutions pour des pays aussi divers que le Liban, le Brésil ou la Chine.

Je souhaite donc m'inscrire dans le cercle vertueux de l'efficience. C'est pourquoi je sollicite ce nouveau mandat, afin de continuer à promouvoir la transfusion dans une société fracturée, où le don du sang produit du collectif, de la cohésion sociale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion