Quid des principes éthiques et de la traçabilité après la décision classant le plasma en médicament ?
Nous n'avons pas été surpris par cette décision, qui avait été prise en Belgique précédemment. Nous nous sommes interrogés pour savoir si nous pouvions être concurrentiels du point de vue du prix et de la qualité. C'est le cas, puisque nous conservons une très grande part de marché. Les principes éthiques sont intangibles en France. Mais avons-nous assez de médicaments dérivés du sang aujourd'hui pour la totalité de patients ? La réponse est non. Nous avons donc besoin d'importer. Il ne vous a pas échapper cependant que je ne suis pas candidat pour diriger l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ni pour présider le laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB).
Dans notre pays, la traçabilité du produit, du donneur et du receveur est complète, harmonisée sur tout le territoire. Quand nous avons des informations post-dons, nous pouvons aller rechercher le don pour l'analyser. Cette traçabilité est imposée pour l'ensemble des plasmas importés. Le vrai sujet, c'est le respect de la traçabilité et le contrôle. Mais ce n'est pas au coeur de ma responsabilité.
Je le dis avec solennité : l'EFS est un produit du scandale du sang contaminé. Par les lois de 1993 et 1998, les pouvoirs de police sanitaire ont été séparés de l'opérateur et confiés à l'ANSM. L'EFS n'a aucun de pouvoir de santé propre. Le producteur pouvant être accusé de favoriser la production de médicaments issus du sang, la loi interdit que nous soyons à la fois collecteur et fractionneur : c'est donc l'EFS qui collecte, prépare, qualifie, mais le LFB est le seul qui peut fractionner.
L'ordonnance que vous avez citée a eu pour conséquence ce que nos voisins et amis nous envient : la construction d'un établissement intégré. Cela signifie qu'une collecte à Lille permet de distribuer des produits à Pointe-à-Pitre. La gestion nationale de ces produits permet d'atteindre un taux de péremption qui est le plus faible au monde : 0,05 %. Le donneur peut ainsi être presque sûr que son sang sera utilisé et correctement utilisé.
Relisez ce qui s'est passé après le 11 septembre : les hôpitaux américains ont connu une arrivée massive de donneurs et une partie du sang collecté n'a pu être utilisé dans le délai de péremption. Après les attentats de Paris et Nice, nous avons connu une augmentation de 55 % des dons, faisant monter nos stocks à 21 à 23 jours, augmentant d'autant le risque de péremption. Mais nous avons ventilé ce stock sur tout le territoire et évité le problème.
La transparence, nous la devons à vous, législateurs, au Gouvernement, au donneur et au malade. Le don du sang est-il un droit ? Les patients ont surtout le droit d'avoir la certitude que les produits qu'on leur administre sont les plus sûrs possible. Voici comment fonctionne la traçabilité : un donneur arrive, un numéro lui est affecté, qui suit le produit jusqu'au receveur. Ce numéro est généré par notre système informatique sécurisé.
La tribune des professeurs marseillais soulève une vraie question. Je maintiens une relation très proche avec les associations de donneurs, ces héros anonymes. Valoriser, cela peut être mieux les prendre en compte, leur donner plus de pouvoir dans la gestion de l'établissement. Mais l'accueil est aussi important. Le plus difficile reste pourtant l'accueil de ceux dont on refuse le don, parce que leur état de santé ou leurs voyages nous y obligent. Là-dessus, nous pouvons nous améliorer.
Concernant la recherche sur le sang artificiel, je ne vois pas de système ou l'on puisse se passer de donneurs de sang. En revanche, des pas importants sont faits y compris en France sur la création de cellules sanguines à partir de cellules souches.
En tant que président de l'EFS, ce qui est important pour moi, c'est que les dérives dont vous avez parlé sont aujourd'hui impossibles. L'ANSM, la haute autorité de santé me surveillent, et c'est heureux. Lorsque je suis arrivé à l'EFS, les collaborateurs à qui je demandais depuis combien de temps ils y travaillaient m'ont dit : « on est en transfusion depuis... » Cela dénotait un vrai engagement, et c'est bien. Mais il ne fallait pas que cela signifie être dans un bocal. Nous devons donc replacer l'EFS dans une chaine où l'on prenne en compte les besoins des médecins et où l'on est surveillé par d'autres acteurs.
La question des territoires ruraux est importante - les associations locales me le rappellent suffisamment ! Nous réalisons chaque année 40 000 collectes mobiles, qui, comme au Sénat, peuvent rapporter 120 à 130 poches, mais aussi, dans certains endroits, à peine deux... Les donneurs sont encore essentiellement des ruraux, dans une France de plus en plus urbaine. J'encouragerai volontiers des associations par canton, et non par village. L'établissement est également présent dans presque tous les hôpitaux pour la distribution des produits sanguins.
Aucun article scientifique ne signale de risque de transmission de la maladie de Lyme. Mais nous devons faire attention : le Gouvernement a mis en place un plan spécifique sur ce sujet.
Concernant les jeunes donneurs, qu'a-t-on vu en novembre 2015 ou en juillet 2016 ? Cela fait chaud au coeur : les jeunes se sont précipités pour donner, mais dans des conditions très inférieures à la normale. Lorsque j'ai été voir les donneurs pour leur dire de rentrer chez eux, la plupart refusaient. On leur a donc fait signer des promesses de dons pour une date ultérieure. Quand les jeunes vont donner leur sang, ce doit aussi être festif : ils se font un selfie avec l'infirmière et le partagent sur les réseaux. Nous ne devons pas être ringards par rapport à ces pratiques. Sur 100 donneurs qui donnent la première fois, seuls 30 % reviennent ; il faut donc les fidéliser.
L'avenir de la collecte dans les DOM est un sujet à construire. Nous ne pouvons pas nous satisfaire que la Martinique et la Guadeloupe ne soient pas autosuffisantes. La question de la relation au don mériterait peut-être d'être approfondie. De l'autre côté de la terre, La Réunion est autosuffisante ; il n'y a donc pas de raisons que ces régions unidépartementales ne le soient pas. Nous sommes très favorables à l'autosuffisance des régions. Celles qui ne le sont pas sont l'Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur et les deux régions antillaises. L'EFS fait aussi un effort quotidien notamment logistique pour que les équipes soignantes puissent avoir des produits sanguins nécessaires, y compris en affrétant des avions spéciaux.