Merci de m'accueillir. Je ne retirerai pas un mot de mon intervention devant vous en février. Les négociations avec Siemens n'avaient alors pas encore commencé. Revenons sur la genèse de cette opération. À cette date-là, le groupe Alstom, recentré sur le secteur ferroviaire, a de nombreux atouts. Il va bien. Il est centré sur ses quatre activités - le matériel roulant, la signalisation, les services et le « clé en main », c'est-à-dire la livraison d'une ligne complète - sur l'ensemble des continents. Il innove dans le domaine digital, mais aussi dans le matériel, avec le train à hydrogène, le bus électrique, les centres de contrôle multimodaux.
Pourquoi cette opération avec Siemens ? Ce n'est pas une surprise totale. Nous avions déclaré que le marché devait se consolider. Des rumeurs de rapprochement circulaient à l'époque, sur nous mais aussi d'autres acteurs du secteur.
L'ensemble du marché, à l'échelle mondiale, subit deux tendances principales, dont la première est la globalisation. Il y a une dizaine d'années, beaucoup de villes importantes ne disposaient pas de système ferroviaire urbain, notamment en Amérique latine, en Inde, au Vietnam. Depuis, en raison de la pollution et de l'engorgement des villes, c'est devenu la priorité de toutes les autorités administratives dans le monde. C'est aussi le cas en Europe, par souci de l'environnement et de la qualité de vie. La globalisation du marché nous a conduits à investir dans différents pays, pour répondre à des demandes locales, plus proches des clients, mais aussi légales - dans de nombreux États, il est obligatoire de fabriquer sur place pour y vendre ; en Inde, 75 % de la valeur ajoutée d'un métro commercialisé dans le pays doit y avoir été construite. Parallèlement, de nombreux acteurs sont nés : en Chine, c'est CRRC ; au Japon, Hitachi s'est globalisé ; en Corée du Sud, c'est Rotem. L'Inde aura bientôt le sien, j'en fais le pari. Nous avons pour ambition d'être l'un de ces grands acteurs globaux. Pour y parvenir, ce mariage est bénéfique.
La deuxième tendance principale du marché est la digitalisation. Nous devons absolument optimiser l'utilisation des infrastructures que nous construisons, tout comme l'intermodalité. Depuis quelques années, nous investissons de plus en plus dans les technologies digitales, à l'échelle du train, du système du train et de la mobilité - nous développons des outils de communication entre les bus, les trains, bientôt les voitures autonomes. Le digital nécessite des investissements très importants en compétences, dans les domaines de la mécanique, de l'électrique, de l'électronique, et désormais de l'informatique. Là, aussi, le mariage présente un grand intérêt.
Depuis un ou deux ans, nous cherchions le bon partenaire. Siemens est le plus approprié car il coche la case de la globalisation, il est très avancé dans le domaine digital et il est complémentaire d'Alstom. Si je puis me permettre de reprendre ce point de votre propos introductif, les deux groupes ne s'opposent frontalement que dans 13 % des appels d'offres. Siemens est plus présent en Europe centrale, Alstom en Europe de l'ouest. La complémentarité est également importante en matière de produits. Nous avons développé un nouveau tramway, quand Siemens s'est plutôt consacré à des marchés existants avec un tramway à plancher haut ; le TGV français, capacitaire, est très différent du TGV allemand, qui fournit une offre premium. On pourrait multiplier les exemples.
Malgré cette très grande complémentarité, des obstacles se sont dressés. L'équipe digitale chez Siemens, au coeur de l'entreprise, n'était pas favorable à une discussion portant sur l'ensemble des activités de transport. Lors d'épisodes précédents, seul le matériel roulant était évoqué, jamais la signalisation. Nous avons insisté pour inclure le digital, ce que Siemens a finalement accepté. Nous avons donc décidé d'un mariage simple et total. Concrètement, Alstom achète Siemens Mobility. Alstom SA reste la société faîtière, cotée à Paris ; son siège reste à Saint-Ouen. Les équipes de Siemens Mobility seront détachées du reste du groupe Siemens. En contrepartie de cet achat, Alstom émet des actions et le groupe Siemens en devient l'actionnaire principal, à 50 %. C'est une bonne nouvelle. Le renforcement de l'actif est extrêmement important - c'est le coeur de l'opération. Que Siemens, ce grand groupe technologique européen à l'assise financière importante, responsable, réputé sur les marchés, soit actionnaire d'Alstom est une bonne chose. Il n'y a qu'à gagner dans cette opération.
Nous nous sommes engagés sur l'emploi et les sites. Il ne s'agit pas du tout d'une posture défensive. Nous n'avons pas de plan secret pour dans quatre ans - ou plutôt dans cinq ans, le temps que l'opération se fasse. Ce genre de situation est naturellement anxiogène, c'est normal, même si l'ensemble du management d'Alstom l'accueille très positivement. Nous avons souhaité stabiliser la situation, tempérer les inquiétudes et réaliser l'intégration sereinement en quatre ans. En réalité, les sites d'Alstom bénéficieront du renouvellement, du dynamisme et du renforcement du groupe. Il est toutefois évident que le cadre global dynamique n'immunise pas contre le quotidien. Il y a des commandes à gagner, chaque jour. Je suis extrêmement favorable à cette opération ; néanmoins, elle ne supprime pas les enjeux auxquels nos sites sont confrontés.
Précisons le calendrier de la transaction : nous sommes actuellement en phase de consultation des organisations représentatives du personnel, pendant quatre mois. Ensuite, nous pourrons signer l'accord. Puis des discussions seront ouvertes avec la Commission européenne ; elles seront longues - au moins six mois - puisque nous créons un nouveau champion européen, qui occupe de l'espace. Le mariage ne pourra avoir lieu avant au moins un an.