Il n'y avait alors pas de projet de rapprochement dans le transport, puisque les partenaires potentiels n'étaient intéressés que par le matériel roulant et non le digital, qui nous paraissait indispensable.
J'entends vos interrogations. Siemens sera l'actionnaire de contrôle, c'est vrai. Chaque structure a ses propres équilibres. Moi, je considère que la présence de Siemens comme actionnaire principal est une bonne chose ; ne nous trompons pas. Pour compléter cet équilibre, il a été choisi d'installer le siège du futur groupe en France, en intégrant Siemens Mobility à Alstom. Le seul territoire qui, le premier jour de la transaction, ressentira un impact direct, positif, c'est Saint-Ouen, qui accueillera le siège mondial du leader du transport ferroviaire. Le centre de décision, la société, la cotation seront en France.
Il est vrai que quatre ans, ce n'est pas long. Mais c'est l'horizon de la définition de l'intégration du groupe. Dans cinq ans à partir d'aujourd'hui, les décisions importantes sur la structuration du nouveau groupe seront prises. Les centres d'excellence tels que Tarbes, Belfort, La Rochelle, Valenciennes, Reichshoffen, seront confortés.
Pour que, par pur nationalisme, l'actionnaire principal décide de fermer le siège de Saint-Ouen pour le déplacer à Heidelberg, il faudrait qu'il soit tombé sur la tête. Quelque 2 500 personnes travaillent à Saint-Ouen, dont nombre d'experts, qui sont la ressource rare de ce marché. On risquerait de les perdre en partant. Les décisions sont prises rationnellement en fonction de l'expertise, des compétences, de la compétitivité des différents sites, et non par nationalisme.
J'ai commencé ma carrière il y a vingt ans chez Alstom, qui n'était pas français mais franco-anglais, sous le nom de GEC Alsthom. Quand GEC et Alcatel ont vendu leurs participations, Alstom est resté français dans l'esprit de tous, car le siège est demeuré en France. S'il avait été installé à Londres, l'entreprise serait perçue comme anglaise. Ne négligez pas la localisation des centres de décisions. L'actionnaire est important, mais ce n'est pas lui qui prend les décisions quotidiennes sur les sites.
Sans revenir sur la présence de l'État, ni juger Airbus, j'estime qu'une bonne gestion d'entreprise doit être unifiée, plutôt que de reposer sur le décompte du nombre d'Allemands, d'Italiens ou d'Espagnols à chaque étage. En outre, chez l'Allemand Siemens, la direction du matériel roulant, soit plus de la moitié de Siemens Mobility, est assurée par une Française. Alstom a 8 500 employés en France, sur 32 800. Siemens en a 10 000 en Allemagne, chez Siemens Mobility, sur plus de 30 000 également. Ce n'est pas si simple.
J'ajoute pour finir sur le sujet de la présence de l'État que nous sommes dans le cadre de la commande publique. On reproche parfois à Alstom de ne vivre que de la commande publique : quel particulier achèterait des trains ? L'État est notre premier acheteur et il impose des règles de fabrication. Bien sûr, je suis favorable à un comité de suivi. Cependant, je fréquente très régulièrement les couloirs du Gouvernement, du fait que les commandes sont publiques. La présence de l'État auprès d'Alstom est quotidienne. L'État n'a pas besoin d'avoir des actions au capital de la société pour l'influencer via les grands programmes, la commande publique, etc.
En quoi grossir notre activité dans le transport ferroviaire sera-t-il bénéfique et d'où tirerons-nous les 470 millions d'euros que vous avez mentionnés ? Par exemple, une partie des gains vient de l'allègement de la structure globale. D'un point de vue structurel, nous gagnerons à n'avoir qu'un seul directeur des ressources humaines plutôt que deux. La fusion sera facilitée par le fait que les équipes de Siemens Mobility que nous accueillons ne constituent qu'une infime partie des effectifs de Siemens.
La seconde chose c'est la stratégie de plateforme. Nos sites ne sont pas à haute intensité de capital, comme le sont ceux de l'industrie automobile, de l'aluminium, du papier etc. Ce sont essentiellement des sites de montage et d'intégration, comme à Reichshoffen ou Valenciennes. Notre activité est complémentaire de celle de Siemens, de sorte que nous ne diminuerons pas notre gamme de produits mais nous la mettrons en continuité avec celle de Siemens. Nous continuerons à produire des TGV à double niveau sur notre site de la Rochelle, car ils répondent à une demande sur le marché français en étant beaucoup plus capacitaires que des Velaro à un seul niveau plus adaptés au réseau allemand. Nous conserverons les deux modèles, mais nous les produirons sur la même plateforme, en utilisant les mêmes gammes de moteurs, les mêmes gammes de freins ou d'air conditionné, les mêmes dessins en engineering.
Nous avons beaucoup investi dans la digitalisation des usines, notamment dans un logiciel pour tirer les câbles. Cet instrument développé dans les usines d'Alstom pourra tout aussi bien être utilisé dans celles de Siemens. L'objectif sera donc de fabriquer les trains de la même manière et avec les mêmes composants de base dans les usines d'Alstom et de Siemens. Nous le faisons déjà sur nos sites en Italie où nous développons le Pendolino, adapté au marché italien, en uniformisant les méthodes de développement avec celles de nos sites français.
Cette uniformisation des méthodes de production a l'immense avantage de moyenniser nos charges d'activité. Toutefois, en France, nos sites intégrateurs sont de petite taille et sujets à des fluctuations de charges importantes, car ils développent une gamme de produits restreinte. En Allemagne, les sites de Siemens sont moins nombreux et plus gros. La moindre baisse de charge est donc dramatique pour les sites français. Belfort en est l'illustration parfaite, même si Alstom continue à tenir ses engagements. Une de vos questions était : comment traiter ce genre de situation de manière socialement responsable ? Prenons le cas de Valenciennes que vous connaissez tous : le site souffre d'un trou de production entre le RER A et le RER E et entre le MP05 et le MP14. Les ateliers sont vides pour l'instant, mais deviendront bientôt extrêmement pleins. Il s'agit d'une situation assez commune, car si on parvient à mutualiser sur l'engineering, au bénéfice de l'ensemble des sites d'Alstom, en revanche, on ne peut rien contre les trous de production. Nous tentons donc de les traiter de manière responsable, en envoyant certains opérateurs sur d'autres sites alors que d'autres connaîtront des périodes de chômage technique, ce qui est toujours difficile. Bref, nous tentons de gérer le mieux possible ces phases de baisse de production.
Petite parenthèse sur Bombardier. Je ne pleure pas sur Bombardier, qui bénéficie du contrat sur la nouvelle automotrice du Transilien et de celui sur le Regio 2N. On mesure aujourd'hui les conséquences très fortes de ces commandes perdues par Alstom, il y a une dizaine d'années. À l'avenir, nous continuerons de collaborer avec Bombardier, notamment sur un éventuel RER F, car nous avons une histoire et des pratiques de travail communes. D'autant qu'il y a aussi dans le Valenciennois l'Agence ferroviaire et le centre d'essais dans lequel nous investissons beaucoup.
La vocation de chacun des sites est clairement définie. Certains comme Ornans ou Tarbes sont des centres de compétences mondiaux en matière d'engineering et bénéficient naturellement du dynamisme du groupe. La situation est différente pour les sites de production où il faut prendre en considération le risque d'un trou de production à chaque fois qu'on change de génération de trains, qu'il s'agisse du TGV à la Rochelle ou du TET à Reichshoffen. Dans la mesure où nos sites intégrateurs sont spécialisés sur un ou deux produits, ce risque est inévitable.
Les technologies numériques sont réparties sur le territoire. On trouve à Saint Ouen un centre de compétences important dans la signalisation, avec plus de 1 000 employés, et à Villeurbanne un centre de compétences en électronique embarquée. Cependant, nous travaillons aussi sur la digitalisation du matériel ferroviaire dans nos autres sites : Trainlab à Reichshoffen, cockpit à Belfort, TGV autonome à la Rochelle. Les projets digitaux sont répartis entre nos différents sites.
Que signifie un mariage entre égaux sinon que Siemens Mobility et Alstom Transport ont la même taille ? Il faudra du temps pour évaluer l'évolution des résultats. La différence des cultures, voilà ce qui différencie véritablement Alstom et Siemens. Pour avoir beaucoup travaillé avec General Electric et avec Siemens, je sais que certaines caractéristiques sont liées à la taille du groupe autant qu'à la nationalité de la direction. Siemens est un grand groupe, très centralisé ; Alstom est plus petit, plus globalisé. Un des enjeux de l'intégration sera dans cette adaptation conjointe et ce mariage des cultures. Nous commencerons à y travailler avant même la finalisation de l'opération pour comprendre comment les décisions sont prises dans chacun des groupes.
Quant à Power et Hydro, la situation d'ajustement est comme toujours très difficile. Ce matin à l'Assemblée nationale, je me suis assuré que les délégations seraient reçues par le ministère et par General Electric. Un plan est en cours de discussion.