Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, cher Hervé Maurey, monsieur le rapporteur, cher Alain Fouché, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, tout d’abord, adresser à chacune et à chacun d’entre vous mes plus sincères félicitations pour votre élection ou votre réélection dans cette chambre haute du Parlement qu’est le Sénat.
Je souhaite aussi vous exprimer tout l’honneur que j’éprouve en présentant aujourd’hui, au nom du Gouvernement, le premier texte de cette nouvelle session parlementaire soumis à votre approbation.
Je sais que ce projet de loi, essentiel mais particulièrement technique, a été examiné dans des délais relativement contraints, qui sont notamment justifiés par l’urgence de ratifier ces deux ordonnances, j’y reviendrai dans un instant. Néanmoins, et malgré ce calendrier resserré, j’ai pu constater que les échanges en commission, jeudi dernier, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ont été particulièrement riches.
Je tiens à saluer le travail du rapporteur, Alain Fouché, qui a su s’emparer de sujets complexes que les élus locaux, dont je fais partie, connaissent bien.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a examiné, la semaine dernière, quinze amendements, dont onze ont été adoptés. Certains visent à modifier des dispositions adoptées à l’Assemblée nationale. Je pense néanmoins que nous pourrons facilement trouver un point d’équilibre. L’examen des amendements, tout à l’heure, me permettra de clarifier certains points.
Pourquoi ce projet de loi est-il important ?
Il permet de ratifier deux ordonnances fondamentales, prises le 3 août 2016, dans le cadre de la loi dite « Macron » : l’une relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, pour reprendre la terminologie du droit communautaire, avec un objectif clair de simplification et de clarification des procédures ; l’autre permettant de réformer les procédures destinées à assurer l’information et la participation du public – c’est d'ailleurs sur celle-ci que les parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, se sont plus particulièrement penchés –, avec une volonté d’associer davantage, en amont, les citoyens à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement.
Je souhaite, avant d’entrer dans le cœur de ces dispositions, dire un mot sur la méthode qui a permis leur élaboration. Ces ordonnances sont, avant tout, le fruit d’une riche concertation au sein de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique menée par le sénateur et ancien ministre de la défense Alain Richard, dont je tiens à saluer le travail précis, de dialogue et de consensus, ainsi que l’engagement souligné par toutes les parties.
Nous avons eu l’occasion d’échanger sur ce texte, et je crois – en tout cas, je l’espère – que ces ordonnances sont restées fidèles aux réflexions menées.
Cette concertation a permis d’obtenir un large consensus, que nous avons su conserver à l’Assemblée nationale et que nous allons conserver, j’en suis certain, au Sénat.
Permettez-moi maintenant de revenir sur le contenu de ces ordonnances, en commençant, tout d’abord, par l’ordonnance n° 2016-1058 sur l’évaluation environnementale.
Pourquoi cette ordonnance ?
Il s’agit, tout d’abord, de nous conformer au droit européen. La ratification de l’ordonnance permet, en effet, de conformer notre droit au droit européen, en transposant la nouvelle directive 2014/52/EU relative à l’évaluation environnementale des projets.
Cette directive permet notamment de définir des critères d’évaluation pour mieux prendre en compte la santé, la biodiversité, le changement climatique, ou encore les incidences visuelles des projets sur le patrimoine culturel et le paysage.
Elle permet également de séparer les phases d’instruction et d’évaluation de certaines procédures environnementales à l’échelon local.
Cette ordonnance procède surtout à une simplification pour les porteurs de projets, tout en renforçant la protection de notre environnement. Je prendrai deux exemples concrets qui illustrent cet équilibre entre simplification et protection.
D’abord, la simplification de l’étude d’impact que les élus locaux et les différents porteurs de projets connaissent particulièrement bien : les projets seront désormais appréhendés dans leur ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité des maîtres d’ouvrage.
Cela signifie une étude d’impact en une seule fois sur chaque projet et non plus une étude d’impact par procédure. On casse la logique de silo qui ajoutait jusqu’alors du délai à du délai, au détriment de la vision globale de l’autorité environnementale, bien souvent les DREAL, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, les DEAL, les directions de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ou la DRIEE, la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie, sans oublier le corps préfectoral et, en dernier recours, le ministre.
Le développement de procédures dites au « cas par cas », ensuite, dans lesquelles on élève le degré d’exigence environnementale, mais en permettant à l’autorité environnementale de traiter ces demandes dans des délais plus courts, fait également partie de ces ordonnances.
Monsieur le sénateur Ronan Dantec, en commission, vous avez parlé du rapport, que vous avez remis au nom de la commission d’enquête sur la compensation des atteintes à la biodiversité. Je tiens à vous préciser que le travail effectué à l’Assemblée nationale a permis de traduire, dans l’ordonnance, le triptyque, cher à votre collègue Barbara Pompili, éviter-réduire-compenser, consacré par la loi Biodiversité et sur lequel vous vous étiez beaucoup investi. C’est une excellente chose, mais nous y reviendrons.
L’écriture de l’ordonnance étant antérieure à l’adoption de la loi, il fallait donc procéder à cette remise à niveau, à ce tuilage juridique. C’est chose faite !
J’en viens maintenant à l’ordonnance n°2016-1060 sur l’information et la participation du public.
Pourquoi cette ordonnance ?
Il s’agissait d’abord d’une réponse du gouvernement de l’époque – je la reprends à mon compte – à un changement de mentalité dans notre société qui s’est illustré avec la douloureuse crise, qui est d'ailleurs devenue un drame, de Sivens.
« Apprendre à perdre du temps en amont d’un projet ou d’une procédure pour ne pas en perdre ensuite » : cela paraît logique, mais nous n’avons pas toujours raisonné ainsi dans notre droit comme dans nos pratiques. Consulter en amont nos concitoyens permet, en effet, de lever les inquiétudes, de faire preuve de pédagogie, de dialogue, de répondre éventuellement à leurs doutes et à leurs craintes.
Certes, la participation du public aux décisions environnementales n’est une nouveauté ni en droit ni en fait, et plusieurs textes nationaux comme internationaux l’ont déjà consacrée. Je pense notamment à la convention internationale d’Aarhus de 1998, à la loi Barnier de 1995, qui a créé la Commission nationale du débat public, à l’article 7 de la Charte de l’environnement, adoptée en 2005, ou encore au Grenelle de l’environnement de 2010.
Néanmoins, cette ordonnance permet de créer des droits nouveaux en réponse à une véritable demande de nos concitoyens, qui souhaitent davantage participer et même être associés à l’élaboration des décisions qui peuvent avoir une incidence sur l’environnement.
D’une part, les citoyens se sentent de plus en plus concernés par la protection de l’environnement. Ils développent clairement une conscience citoyenne, quelles que soient les idéologies et les philosophies autour de cette question.
D’autre part, certains peuvent éprouver une forme de défiance face aux procédures menées par les pouvoirs publics. Il ne suffit plus qu’une autorité publique décrète qu’une chose est légitime pour qu’elle le devienne comme il y a quelques années.
Il s’agit donc pour nous de veiller à ce que nos concitoyens puissent non seulement participer, mais surtout le faire au bon moment.
Cette seconde ordonnance est par conséquent une réponse pour protéger l’environnement, mais aussi pour libérer et respecter les porteurs de projets, privés comme publics.
Elle permet en effet d’offrir aux porteurs de projets davantage de visibilité en amont de la procédure, et d’aller au-devant des problèmes pour les traiter le plus tôt possible. Vous y verrez sans malice, mesdames, messieurs les sénateurs, l’ombre du libérer-protéger.
Concrètement, cette ordonnance consacre de manière inédite des droits nouveaux pour les citoyens : premièrement, un droit d’accès aux informations pertinentes pour rendre la participation de chaque citoyen effective ; deuxièmement, un droit de demander l’engagement d’une procédure de participation dans des conditions sur lesquelles nous reviendrons ; troisièmement, un droit à disposer de délais raisonnables pour formuler des observations et des propositions ; quatrièmement, et cela est loin d’être neutre, un droit à disposer d’un véritable suivi de la concertation et d’un retour – positif comme négatif – sur les observations qui ont pu être formulées par les participants au débat public. C’est une question de respect à l’égard du citoyen. Ce n’était pas forcément le cas jusqu’à présent.
Ces droits nouveaux appellent naturellement de nouvelles modalités de consultation dans la forme et dans l’engagement.
Première nouveauté : la CNDP, la Commission nationale du débat public, est obligatoirement saisie sur l’opportunité du débat pour les plans et programmes nationaux – on reprend la terminologie communautaire – soumis à une évolution environnementale là où, auparavant, seuls les très grands projets, c’est-à-dire d’un coût supérieur à 300 millions d’euros, étaient concernés.
Deuxième nouveauté : l’élargissement de la saisine de la CNDP pour les grands projets. Ces grands projets, c’est-à-dire ceux qui sont compris entre 150 millions d'euros et 300 millions d'euros, sont actuellement rendus publics par les maîtres d’ouvrage ou par la personne publique responsable du projet qui indiquent leur décision de saisir ou non la CNDP. Ils informent ensuite la CNDP de la participation qu’ils prévoient.
Grâce à l’ordonnance, les citoyens ont désormais un droit de saisine de la CNDP sur ces grands projets. Le seuil a été fixé à 10 000 citoyens de l’Union européenne ; c’est une innovation majeure, fruit du travail de concertation mené au Conseil national de la transition écologique, le CNTE.
Troisième nouveauté : ce droit d’initiative citoyenne est également ouvert pour les projets sous maîtrise d’ouvrage publique ou privée percevant au moins 10 millions d'euros d’argent public.
À l’Assemblée nationale, les députés ont fait le choix d’abaisser ce seuil à 5 millions d’euros. Je sais, monsieur le rapporteur, cher Alain Fouché, que vous êtes attaché au respect de la séparation de la loi et du règlement. C’est dans cet esprit que vous avez souhaité supprimer la mention d’un seuil de 5 millions d’euros pour la remplacer par un décret en Conseil d’État.
Néanmoins, je tiens à rappeler le contexte qui a poussé les députés à inscrire dans la loi un seuil de 5 millions d’euros. C’est tout simplement le seuil permettant de prendre en compte des projets comme celui de Sivens, qui est justement à l’origine de ce texte destiné à apporter des réponses au drame que nous connaissons tous.
Ce qui compte pour le Gouvernement, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas forcément que ce seuil soit inscrit dans la loi ou le règlement, mais qu’il s’établisse bel et bien à 5 millions d’euros. J’espère donc que cette question de forme pourra être réglée entre les deux chambres du Parlement.
Par ailleurs, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, les différents échanges ont permis d’allonger à quatre mois, au lieu de deux mois, le délai offert pour exercer un droit d’initiative, ce qui constitue une avancée, notamment pour nos concitoyens les plus éloignés des décisions et des procédures publiques. Cet argument avait au demeurant été largement porté et défendu par les députés représentant des circonscriptions rurales.
Vous avez fait le choix, monsieur le rapporteur, d’étendre ce délai de quatre mois aux collectivités et aux associations, dans un souci de cohérence. L’ancien maire et président de conseil départemental que je suis trouve ce point extraordinairement légitime et salue cette avancée.
Quatrième nouveauté : les consultations pour les débats publics nationaux. L’ordonnance rend également possible le débat public national avec la saisine ouverte à 500 000 citoyens de l’Union européenne, à 60 députés ou 60 sénateurs, ou au Gouvernement sur un projet de réforme relatif à une politique publique ayant un effet important sur l’environnement ou l’aménagement du territoire. Je n’ai pas besoin de vous donner d’exemples de ces politiques publiques.
Ce seuil de saisine avait fait l’objet de débats à l’Assemblée nationale. Je sais qu’un amendement du sénateur Guillaume Gontard tend à abaisser le seuil à 250 000 personnes. Je n’y suis pas favorable pour plus raisons.
D’une part, le seuil de 500 000 personnes correspond au seuil fixé par la loi organique du 29 juin 2010 pour saisir le Conseil économique, social et environnemental. Le Gouvernement a cherché en permanence à être dans une démarche de simplification et d’alignement pour le citoyen, afin de ne pas avoir des seuils différenciés en fonction des types de saisine. Nous ne pouvons pas invoquer tout le temps la simplification et ne pas l’appliquer lorsque nous réformons ce genre de texte.
D’autre part, 500 000 citoyens restent facilement mobilisables à l’heure d’internet, avec les réseaux sociaux ou les sites de pétition en ligne que vous connaissez bien.
Ces droits nouveaux ne bloquent pas, pour autant, les porteurs de projets, et c’est tout le fruit de l’équilibre de cette ordonnance. La CNDP veillera au respect des procédures et à la qualité de la concertation et des débats. C’est à la CNDP que le rôle d’organisateur des concertations a été donné.
La CNDP occupe donc désormais un rôle central dans ce dispositif. Ces nouvelles modalités de consultation nous ont obligés à davantage encadrer le rôle du garant qui sera directement désigné par la CNDP.
Ces concertations ou débats devront répondre aux exigences d’un État moderne avec une nécessaire dématérialisation. Les collectivités territoriales et l’État s’emploient à développer le très haut débit ou la montée en débit dans les territoires. Il faut donc aussi être au rendez-vous des usages.
Ces concertations devront être organisées dans des délais raisonnables. C’est une nécessité pour les porteurs de projets qui doivent aussi avoir de la visibilité ; c’est également une nécessité pour éviter tout contentieux. Aussi, la concertation préalable ne dépassera jamais trois mois et la durée de l’enquête publique est réduite de trente à quinze jours pour les projets ne relevant pas de l’obligation de l’étude d’impact.
Concernant les délais, monsieur le rapporteur, vous avez fait le choix de revenir sur l’allongement de quatre à six mois du délai pour lequel l’illégalité pour vice de forme ou de procédure ne peut plus être invoquée par voie d’exception.
Le délai de six mois avait comme mérite de s’inspirer de ce qui existe dans le code de l’urbanisme, permettant une harmonisation des procédures. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de l’examen des amendements.
L’occasion m’est donnée devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, d’engager une réflexion collective, Parlement et Gouvernement, autour de la convergence du code de l’urbanisme, d’un côté, et du code de l’environnement, de l’autre. C’est quelque chose d’attendu, notamment par les élus locaux – et je sais de quoi je parle. Là aussi, les éléments de simplification et d’alignement entre les deux codes sont les bienvenus.
Avant de conclure, je tiens à préciser que je me suis engagé, à l’Assemblée nationale, le compte rendu fait foi, à mettre en place une première évaluation de ces deux ordonnances, afin d’en mesurer l’impact d’ici deux à trois ans et d’en tirer des modifications éventuelles. Nous créons des droits nouveaux. Il s’agit donc pour nous comme pour vous de voir de quelle manière nos concitoyens et les porteurs de projets vont s’en emparer.