Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la manière de décider a changé.
Une décision est bonne non pas parce qu’elle l’est intrinsèquement, mais parce qu’elle est jugée bonne par ceux à qui elle a vocation à s’appliquer. L’aspiration des citoyens à s’exprimer directement et à être davantage associés à la prise des décisions publiques est incontestable.
Vous le savez aussi, mes chers collègues, la légitimité et l’efficacité de la décision publique se voient de plus en plus contestées. Nous devons donc passer d’une légitimité de « position » à une légitimité de « décision », suivant la formule de M. Marcel Gauchet.
La manière de décider, la façon d’organiser le débat public et le dialogue environnemental sont des questions qui passionnent le Sénat, et c’est à ce titre que vous aviez décidé, en novembre 2016, mes chers collègues, de créer une mission d’information sur le thème : « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 ? » Vous étiez donc au cœur du sujet de cet après-midi.
Le rapport de cette instance a été adopté à l’unanimité en mai dernier, sous le titre Décider en 2017 : le temps d’une démocratie « coopérative ». Comment, en effet, la démocratie participative peut-elle renforcer la démocratie représentative ? Comment mener à bien un projet d’infrastructure tout en veillant à la protection de l’environnement et à la consultation du public ? C’est à l’aune des préconisations de notre rapport que j’aborderai ce débat.
Monsieur le secrétaire d’État, nous partageons et comprenons l’esprit des quatre ordonnances environnementales qui sont intervenues en 2016 et 2017. Nous parlons, cet après-midi, de deux d’entre elles seulement, mais il y a également celle du 22 avril 2016 sur la consultation locale – elle vise les référendums du type « Notre-Dame-des-Landes » – et celle du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale unique. Nous examinons aujourd’hui la ratification des deux ordonnances du 3 août 2016 relatives à l’évaluation environnementale et à la participation du public, et nous connaîtrons plus tard de la ratification des deux autres ordonnances.
Nous comprenons, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’enjeu politique qui existait en 2016 pour tenter de sortir de dossiers très douloureux que chacun de nous a en mémoire.
Nous comprenons et partageons l’idée suivant laquelle, en consultant le plus en amont possible, il doit être possible de préparer et de dédramatiser la décision de réaliser telle ou telle infrastructure. C’était l’esprit du rapport de M. Vernier et, surtout, de celui qu’a rédigé la commission présidée par notre collègue Alain Richard, à laquelle il a été fait plusieurs fois référence.
Nous savons aussi – c’est le troisième élément qui a conduit à la rédaction de ces ordonnances – que notre pays doit respecter ses engagements : la convention d’Aarhus de 1998, l’article 7 de la Charte de l’environnement, de valeur constitutionnelle, auquel M. le secrétaire d’État a fait référence dans son intervention préalable, mais aussi une directive européenne de 2003 qui avait déjà défini les modalités de participation, et que nous n’avions pas transposée.
Rien, en résumé, ne fait difficulté dans le fond des deux ordonnances qui nous sont présentées, qu’il s’agisse de la définition plus précise des études d’impact – les propos de M. le secrétaire d’État, qui a indiqué tout à l’heure que « plus précise » signifiait « plus simple », devront peut-être être nuancés, la pratique montrant que « plus précise » signifie généralement plus formaliste, et donc plus complexe –, de l’élargissement de la saisine de la CNDP, ou du droit d’initiative citoyenne.
Nous avons bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, votre phrase, dont la presse s’était déjà fait l’écho, suivant laquelle il s’agirait de savoir prendre du temps pour mieux en gagner. Sur le principe, c’est très bien ! Toutefois, M. Richard s’est interrogé, avec discrétion, mais à haute voix, sur le résultat que pourrait produire cette formule, dont il ne faut peut-être pas abuser.
La concertation est en effet respectable et nécessaire, mais la faisabilité de l’infrastructure l’est tout autant. L’objectif reste que notre pays soit capable de développer, d’aménager.
Évitons l’exercice très français consistant à passer du tout l’un à tout l’autre !
Nous attirons votre attention sur l’équilibre prévu, qui consiste à mener plus de concertation en amont pour plus d’efficacité en aval. Les ordonnances, y compris avec les ajouts de l’Assemblée nationale, ont certes renforcé la partie amont, mais elles n’ont pas allégé la partie aval, sous réserve peut-être, nous le verrons à l’expérience, de l’autorisation environnementale unique.
Finalement, mes chers collègues, nous sommes confrontés au problème de la sédimentation des procédures et des délais. Entre parenthèses, je relève que l’Assemblée nationale a ajouté, de façon légitime lors de l’examen du texte, trois délais supplémentaires de deux mois chacun – nous ne manquerons pas d’évoquer cette question lors de la discussion des amendements.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous indiquiez tout à l’heure que vous recherchiez une convergence entre les règles du code de l’environnement et celles du code de l’urbanisme. Or les ordonnances ne vont pas du tout dans ce sens, par exemple sur la définition des concertations, et les dispositions des deux codes ont plutôt une tendance à la sédimentation…
Je souhaite aussi rappeler qu’il faut en moyenne vingt ans pour réaliser une ligne ferroviaire et entre quinze et dix-sept quand il s’agit une autoroute. On ne peut pas dire que de tels délais favorisent la crédibilité de ces opérations.
Deux thèmes chers à M. le Président de la République, la simplification et l’expérimentation, ne doivent par conséquent pas être oubliés.
Pour le groupe centriste, les ordonnances que nous examinons aujourd’hui doivent globalement être soutenues, même si nous proposons des amendements pour essayer d’en fluidifier certains dispositifs.
Je terminerai mon intervention sur la question des comparaisons internationales, dont plusieurs collègues ont souhaité disposer. Vous en trouverez plusieurs, certes simplifiées, dans le rapport que j’ai présenté au Sénat sur la démocratie coopérative. Disons grosso modo que le Canada connaît une forte tradition de concertation, accompagnée de procédures plus souples, que les Pays-Bas ont adopté de nouvelles dispositions pour réduire les délais et que les pays scandinaves utilisent beaucoup ce qu’ils appellent les véhicules législatifs – à chaque projet d’infrastructure correspond un texte spécifique qui organise le déroulement des opérations.