Intervention de Corinne Imbert

Réunion du 11 octobre 2017 à 14h30
Ratification d'ordonnances relatives à la santé — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission et adoption de deux projets de loi dans les textes de la commission modifiés

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, un très grand nombre d’ordonnances – trente-trois à ce jour – ont été publiées au titre de la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016.

Nous examinons aujourd’hui les projets de loi de ratification de quatre d’entre elles, dont les dispositions sont de nature et de portée extrêmement diverses.

Deux de ces textes ont été approuvés sans modification par la commission des affaires sociales : l’ordonnance de mise en cohérence des textes et celle relative à la profession de physicien médical.

La commission a salué la reconnaissance dans la loi de cette profession de santé. Cette avancée répond à une attente forte des acteurs concernés et à une double exigence de sécurité et de qualité des prises en charge.

Par ailleurs, la commission a approuvé la ratification de l’ordonnance relative au fonctionnement des ordres des professions de santé, tout en ajustant plusieurs de ses dispositions.

Certaines mesures vont dans le bon sens, qui améliorent la transparence interne de ces instances ou renforcent les exigences d’indépendance et d’impartialité. Elles sont de nature à conforter la nécessaire confiance des professionnels de santé à leur égard.

Toutefois, la commission s’est interrogée sur la pertinence d’autres évolutions, susceptibles de faire peser sur les ordres de lourdes charges de gestion. Les soumettre à des procédures de marchés publics paraît quelque peu disproportionné, alors que des ordres se sont déjà autoresponsabilisés sur ces sujets.

La commission a également estimé inopportune la possibilité nouvelle de remplacement des pharmaciens d’officine en cas de « circonstances exceptionnelles », alors que la loi Santé avait déjà permis une avancée pour tenir compte de situations individuelles.

Sur la forme, l’articulation de l’ordonnance que nous nous apprêtons à ratifier et d’une autre, publiée deux mois plus tôt, pose quelques difficultés de lisibilité du droit. En outre, la décision de ne ratifier qu’un seul de ces textes suscite des interrogations. Peut-être pourrez-vous nous éclairer, madame la secrétaire d’État, sur la stratégie du Gouvernement concernant le calendrier de ratification des nombreuses ordonnances prises sur le fondement de la loi Santé.

Sur le fond, je souhaiterais attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur deux points concernant l’ordonnance de février 2017.

Le premier porte sur la limite d’âge de 71 ans révolus applicable aux candidats aux élections ordinales. Cette disposition a donné lieu à des interprétations divergentes. Une clarification de votre part permettrait de sécuriser les opérations de renouvellement qui vont s’échelonner dans les mois à venir.

Le second point concerne les effets contre-productifs des binômes d’élus visant à favoriser la parité au sein des conseils ordinaux : comment entendez-vous prendre en compte les difficultés concrètes constatées par certains ordres à l’occasion de récentes élections ?

Je terminerai – en l’évoquant plus longuement – par la plus sensible des questions, celle de l’accès partiel des ressortissants européens aux professions médicales et paramédicales, traitée par l’ordonnance transposant une directive européenne de 2013.

Ce sujet, certes technique, mérite une attention particulière de notre assemblée. Ces dispositions pourraient en effet avoir des conséquences très importantes sur l’organisation et la cohérence de notre système de santé.

La mise en place d’un accès partiel, sous l’impulsion des instances communautaires, s’explique par les différences de choix des États membres quant à l’organisation de leurs systèmes de santé, articulés autour de professions dont les contours ne se recoupent pas nécessairement d’un pays à l’autre.

Faut-il pour autant, au motif d’assurer la liberté d’établissement et la libre prestation de services des professionnels de santé européens, remettre en cause la cohérence de notre propre organisation des soins ? La commission des affaires sociales a estimé que non. Elle a, en conséquence, choisi d’abroger les dispositions relatives à l’accès partiel, en se fondant sur quatre séries de considérations.

En premier lieu, notre commission a été frappée par le degré d’impréparation entourant la mise en place d’une évolution aussi fondamentale : à l’heure où il nous est demandé de ratifier cette ordonnance, on ne dispose ainsi d’aucun d’élément d’évaluation sur le nombre de professionnels susceptibles de formuler une demande en France ou sur la nature même des professions qui pourraient être concernées. Mme la ministre des solidarités et de la santé a indiqué qu’une cartographie des professions de santé des États membres avait été demandée aux instances communautaires : cette requête intervient un peu tard, me semble-t-il…

Comment, sans connaître les professions en jeu, le Gouvernement peut-il prétendre préparer un texte d’application garantissant la sécurité de l’ensemble des situations ? Il me semble que l’on avance ici à l’aveugle et, si vous me pardonnez cette expression, que l’on mettrait la charrue devant les bœufs en autorisant un dispositif dont nous ne connaissons pas la portée concrète.

En deuxième lieu, cette mesure me semble de nature à déstabiliser en profondeur de l’organisation notre système de santé, qui n’est certes pas parfaite, mais a au moins le mérite de garantir généralement la qualité et la sécurité des soins.

Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention aux professionnels formés dans d’autres pays, dont je ne remets pas en cause la compétence. C’est sur la compatibilité de l’accès partiel avec l’organisation et l’efficacité de notre système de santé que je m’interroge ici.

De ce point de vue, la reconnaissance d’un accès partiel ne pourra qu’aboutir, me semble-t-il, à une fragmentation des professions dont on peine encore à mesurer toutes les conséquences. Je me demande ainsi comment les services hospitaliers pourront fonctionner avec des équipes réunissant des professionnels n’ayant pas tous le même champ de compétences. Comment pourra-t-on contrôler qu’un professionnel exerçant en libéral n’outrepasse pas le champ de ses compétences ?

Je vous avoue également ma perplexité : à l’heure où le débat semble plutôt porter sur une élévation de la qualification des professionnels médicaux et paramédicaux dans le cadre européen LMD – licence, master, doctorat – et où l’enjeu majeur paraît plutôt résider dans le développement des coopérations interprofessionnelles, la création de « sous-professions » – j’utilise cette expression sans porter de jugement de valeur – ne pourra que renforcer la complexité de notre organisation des soins.

En troisième lieu, il est permis de redouter que les problèmes de qualité et de sécurité des soins n’affectent d’abord les patients les moins informés, et donc les populations les plus fragiles.

On pourrait même craindre, sans céder à une trop forte méfiance, que ces professionnels soient opportunément recrutés par des établissements de santé en pénurie de personnel ou par nos collectivités frappées par la désertification médicale, ce qui serait de nature à renforcer les inégalités territoriales de santé.

J’en viens enfin aux difficultés pratiques pointées lors de mes auditions.

Il s’agit tout d’abord du surcoût potentiel pour la sécurité sociale si des patients se trouvent contraints de consulter deux professionnels au lieu d’un, compte tenu de la limitation des compétences du premier.

Il s’agit ensuite de l’effet d’aubaine procuré notamment aux formateurs étrangers, alors que la formation des personnels médicaux et paramédicaux fait déjà l’objet d’un marché très disputé dans certains pays de l’Union européenne.

Quid, enfin, de la sécurité réellement garantie au patient, alors que des difficultés importantes sont d’ores et déjà constatées dans le cadre de la procédure de reconnaissance automatique, s’agissant notamment de la compétence linguistique des professionnels ou de leur niveau réel de formation ? Nous aurons l’occasion d’évoquer cette question de la maîtrise de la langue lors de la discussion d’amendements déposés par plusieurs de nos collègues.

La commission des affaires sociales, je tiens à le souligner, a bien pris la mesure à la fois des obligations communautaires pesant sur la France, de l’analyse juridique du Conseil d’État, des garanties apportées par le Gouvernement au dispositif, ainsi que de la menace d’éventuelles sanctions européennes en cas de défaut de transposition ; elle ne saurait être taxée d’irresponsabilité sur ce dernier point.

Au contraire, il nous a semblé qu’il relevait de notre responsabilité de ne pas faire passer la satisfaction d’une obligation d’ordre juridique avant l’intérêt des patients. J’ai d’ailleurs pu observer, au cours des auditions que j’ai conduites, que l’ensemble de ces observations était largement, sinon unanimement, partagé par les acteurs du monde de la santé. Les professionnels de santé se prononcent d’une seule voix en faveur du retrait de cette mesure.

Il est à cet égard révélateur que les arguments invoqués par le Gouvernement à l’appui de la ratification de cette ordonnance ne portent que sur les obligations communautaires de la France, et non sur l’intérêt intrinsèque de la procédure d’accès partiel pour l’évolution de notre système de santé. Il me paraît dès lors inacceptable de sacrifier, contre l’avis de tous les acteurs de la santé, la qualité des soins à des considérations essentiellement juridiques.

L’Allemagne a fait un autre choix en matière de transposition, en n’ouvrant pas l’accès partiel à l’ensemble des professions de santé. Même si, comme vous l’avez rappelé, elle pourrait de ce fait se trouver exposée à des sanctions européennes, cela montre qu’une nouvelle négociation est encore possible, et même souhaitable, et que le Gouvernement devrait avant tout œuvrer à trouver une solution acceptable par tous au niveau européen.

Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, les principales observations et conclusions de la commission des affaires sociales sur ces textes, qu’elle demande au Sénat d’adopter.

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