Intervention de François Pillet

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de ratification que nous examinons cet après-midi concerne une ordonnance qui a réformé en profondeur le droit des contrats, le régime général des obligations et le régime de la preuve des obligations.

Le Sénat s’était opposé à ce qu’il soit procédé par ordonnance, certainement par principe, mais aussi beaucoup, en l’espèce, parce que, comme l’avait souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi dans son rapport, s’agissant de « l’équilibre à retenir entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge, ou une modification des termes du contrat, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ces engagements même s’ils lui deviennent défavorables […], la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, qu’il revient au seul Parlement de trancher ».

Nous le pensons encore, et notre attitude restera la même face à la pratique des lois d’habilitation, même si, madame la garde des sceaux, dans le cas présent, le travail est indéniablement de qualité.

Le régime de l’imprévision ou la sanction des clauses abusives, le renforcement de l’unilatéralisme ou l’accroissement du rôle du juge sont bien des choix politiques, dont le Parlement a été privé, au prétexte que cette réforme était essentiellement technique, ce qui est faux. J’ajoute que le régime de l’imprévision va au-delà, me semble-t-il, de ce qui figurait dans l’habilitation. Mais passons…

Nous nous accordions tous à penser que cette réforme était absolument nécessaire. Il a fallu une décennie de réflexion française, aiguillonnée par des tentatives inabouties d’harmonisation européenne, deux piliers doctrinaux – l’avant-projet Catala et l’avant-projet Terré –, de multiples interprétations et constructions jurisprudentielles, un avant-projet de réforme publié par le ministère de la justice en 2008, puis en 2011, une consultation publique, en 2015, plus de 300 contributions adressées à la Chancellerie et, récemment, outre une gamme très large d’auditions, une consultation par la commission des lois de l’ensemble des professions, juridictions, universitaires et organismes intéressés, pour restaurer un droit défraîchi et corriger une situation où « le droit n’était plus dans le code ».

Sous quelques réserves tenant, en quelque sorte, aux « droits acquis » en raison de l’application aux contrats antérieurs des dispositions du code civil antérieures à l’ordonnance et à sa ratification, le Conseil constitutionnel nous laisse la possibilité d’exercer l’intégralité de nos pouvoirs de législateur.

Parce que c’est une réforme attendue globalement et largement approuvée, le Sénat ratifiera l’ordonnance. Parce que nous sommes en présence d’une ordonnance entrée en application et qu’il serait irresponsable, dans l’histoire de l’évolution de nos règles juridiques, de créer, pour une période d’un peu plus de douze mois, un granule de droit mort-né, le Sénat ne proposera pas une réforme de la réforme. Nous avons accepté de respecter les grands choix opérés par l’ordonnance, par exemple la suppression de la cause.

Le Sénat ratifiera donc l’ordonnance en faisant siens les deux objectifs du Gouvernement : renforcer, d’une part, la sécurité juridique du droit des contrats, en améliorant la lisibilité et l’accessibilité de celui-ci, et, d’autre part, l’attractivité du droit français, du point de vue strictement économique – à l’égard des entreprises –, mais également en termes d’influence du système juridique français à l’étranger. Le premier de ces objectifs est essentiel à nos yeux, l’atteinte du second étant impossible à vérifier tant l’attractivité du droit ne semble pas dépendre de facteurs étroitement juridiques, une entreprise choisissant rarement un droit en fonction uniquement de sa qualité intrinsèque.

Restent certaines incertitudes sur l’interprétation qui pourrait être faite de dispositions qui, sur le fond, ne suscitent pas de critiques fortes ni dirimantes.

Restent également des doutes sur la portée de règles contenues dans la réforme.

Restent, enfin, des corrections nécessaires pour une plus parfaite cohésion de nos qualifications juridiques et des pouvoirs dévolus au juge dans notre droit des obligations et des contrats.

Pour les premières, hors quelques affinements rédactionnels qui ne posent pas de difficulté, la commission des lois propose au Sénat d’expliciter clairement et expressément l’interprétation qui doit être donnée de textes qui pourraient éventuellement susciter des hésitations jurisprudentielles et d’incontournables lois interprétatives. Le Sénat invite ainsi, dans ces hypothèses particulières, à attacher un respect scrupuleux à ses travaux préparatoires, qui sont source de droit. La commission des lois a validé toutes les interprétations qui figurent dans mon rapport : j’invite les praticiens et les juges à s’y référer. Par exemple, nous affirmons clairement que l’article 1171 du code civil sur les clauses abusives ne peut pas s’appliquer dans les champs déjà couverts par le droit de la consommation ou le droit des pratiques commerciales restrictives.

Pour les deuxièmes, concernant, par exemple, la capacité des personnes physiques ou morales ou l’application de la loi dans le temps, les amendements retenus par la commission des lois qui ont été incorporés dans le texte soumis ce jour à nos débats apportent des précisions nécessaires sans bouleverser l’objectif du texte ou son architecture.

Pour les dernières, je veux bien admettre que la discussion puisse être un peu plus ample, car il s’agit, par exemple, de définir avec précision le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion, afin d’éviter les incertitudes, voire les contradictions qui ont été quasi unanimement soulevées lors des auditions auxquelles j’ai procédé. Il s’agit, par exemple, d’encadrer les pouvoirs du juge face à des relations contractuelles bouleversées par un événement imprévisible, lequel, avant octobre 2016, n’aurait pas été un moyen pour échapper aux obligations contractuelles ayant dicté la loi des parties. Nous entendrons tout à l'heure les débats que suscitent ces différents points, au cours de l’examen des amendements.

Madame la garde des sceaux, nos débats restent très ouverts puisqu’ils portent finalement sur peu de questions – dix – au regard des 300 articles concernés par la réforme. Mais il s’agit de points sur lesquels les critiques de la part des juristes professionnels, des juges, de la doctrine sont quasi unanimes. La commission des lois en a tenu compte pour parfaire une réforme dont je répète qu’elle a été bien menée. Nous pouvons sans difficulté la parachever ensemble.

Notons, en conclusion, pour nous en souvenir, que cette tâche aurait été définitivement plus aisée s’il avait été définitivement renoncé à la mise en application d’ordonnances avant leur ratification.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion