Intervention de Anne-Catherine Loisier

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à la suite des inquiétudes exprimées par certains chefs d’entreprise, la délégation aux entreprises du Sénat avait souhaité, dès septembre 2016, être associée aux travaux de la commission des lois sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance de février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. J’ai été chargée, par la délégation, d’examiner l’impact de cette ordonnance sur les entreprises.

Si je m’exprime au nom du groupe Union Centriste, mes propos s’appuieront donc largement sur les auditions auxquelles j’ai pu participer avec le rapporteur de la commission des lois, François Pillet, que je remercie pour son accueil et pour le grand intérêt, et même l’enrichissement, que j’ai trouvé à ces entretiens.

Je voudrais avant toutes choses rappeler, à mon tour, quelques points de contexte.

Cette réforme était largement attendue par l’ensemble des acteurs du droit, mais aussi du monde économique. Dès 2006, la chambre de commerce et d’industrie de Paris souhaitait cette modernisation, « à l’heure où le droit constitue non seulement un outil de régulation des échanges, mais aussi un facteur de compétitivité économique ». En 2008, elle indiquait à nouveau : « L’enjeu [de la] modernisation [du droit des contrats] ne se situe pas seulement sur un plan strictement juridique, mais s’appréhende également en termes de compétitivité de notre système juridique et d’attractivité de notre territoire. » Elle concluait : « L’impact et les retombées économiques attendus d’une telle réforme sont loin d’être négligeables. » Le rapport accompagnant l’ordonnance souligne fortement la notion d’efficacité économique du droit.

Je voudrais également évoquer la marge « limitée » des pouvoirs du législateur pour modifier une ordonnance déjà entrée en vigueur. L’exercice n’était pas simple pour notre rapporteur, puisqu’il s’agissait d’éviter une nouvelle source d’insécurité juridique, un troisième droit transitoire, tant redouté des entreprises françaises, qui ne cessent de réclamer une plus grande stabilité du droit.

Lors de ces auditions, l’ensemble des intervenants ont largement salué cette réforme. Le MEDEF a souligné l’intérêt de renforcer la sécurité juridique et de tendre à un plus juste équilibre entre la modernisation du droit français et le maintien de ses principes fondamentaux que sont la liberté contractuelle, la force obligatoire du contrat et son effet relatif.

Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a rendu le 10 mai dernier un rapport, rédigé sous la présidence de Guy Canivet, soulignant la contribution de cette réforme à l’attractivité du droit français.

Les auditions ont toutefois montré que le texte de cette ordonnance était entaché d’imperfections incontestables et manifestes, que notre rapporteur a mises en évidence et dont la plupart ont été reconnues par la Chancellerie.

Le groupe Union Centriste partage les propositions d’interprétation des dispositions du code civil issues de l’ordonnance, tout comme les amendements adoptés en commission. Ces propositions permettront véritablement de clarifier le sens de la loi.

Certains commentaires faisaient craindre un pouvoir exorbitant d’interprétation accordé au juge. Pour ma part, paradoxalement, j’ai été frappée par l’appel incessant des universitaires, mais également des magistrats, à préciser lors de nos débats ces notions et dispositions floues, afin d’éclairer leurs interprétations et d’éviter d’éventuels préjudices aux entreprises.

L’approche retenue par M. le rapporteur clarifie l’articulation entre droit commun et droit spécial, notamment en matière de clauses abusives. Ainsi, l’article 1171 du code civil ne doit pas, selon nous, s’appliquer dans les champs déjà couverts par des articles du code du commerce ou du code de la consommation. Elle précise les modalités de l’application de la loi dans le temps, notamment pour les contrats renouvelés et les contrats prorogés. L’amendement tendant à modifier l’article 9 complète cette précision, en affirmant l’impératif de survie de la loi ancienne, pour les contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.

L’article 1195 du code civil a également été modifié. En privant le juge de son nouveau pouvoir de révision du contrat, la commission des lois met fin à une incertitude préjudiciable tant à la vie des entreprises qu’au droit français, lequel risquait d’être écarté en raison de l’aléa économique qu’entraînait cette disposition. Ainsi, les parties pourront toujours demander d’un commun accord au juge d’adapter le contrat. À défaut d’accord, ce dernier pourra y mettre fin.

Un mot sur la modification de l’article 1343-3, qui limite le paiement en devises internationales aux seuls cas prévus par des contrats internationaux ou des jugements étrangers. La modification opérée par la commission des lois répond aux interrogations des acteurs économiques. J’interviendrai au cours de l’examen des amendements pour évoquer le risque que représente aujourd’hui l’extraterritorialité du droit américain, par exemple.

Vous le comprenez, mes chers collègues, l’objectif de sécurité juridique pour nos entreprises a requis de trouver un subtil équilibre : il a fallu préserver la stabilité d’un texte déjà en vigueur et procéder aux nécessaires clarifications attendues par les professionnels du droit. Le texte de la commission des lois, produit grâce aux travaux de François Pillet, permet de réaliser cette sage synthèse.

Je voudrais, pour terminer, revenir sur l’efficience de notre action, madame la garde des sceaux, qu’elle soit gouvernementale ou parlementaire, et sur la procédure choisie par le Gouvernement. Il n’est pas acceptable que le Parlement soit saisi d’un projet de loi de ratification d’une ordonnance un an après son entrée en vigueur. On le voit bien, dans l’intérêt des entreprises et des acteurs du droit, ce débat aurait dû se tenir en amont. Nous comptons donc sur le Gouvernement pour bâtir, à l’avenir, une stratégie plus constructive et respectueuse des missions confiées à chacun par les Français. Contourner le Parlement, on le voit dans ce cas précis, c’est créer une situation d’insécurité et donc de fragilité juridiques.

Dans sa sagesse, le Sénat, propose une ratification qui va dans le sens des intérêts des entreprises et du droit français. Nous espérons toutefois que cette méthode du « passage en force » ne se renouvellera pas et que nous pourrons engager, notamment sur le dossier du régime de la responsabilité contractuelle, un travail législatif sérieux et partagé.

Le groupe Union Centriste demeure attentif aux réalités et aux besoins des acteurs économiques de notre pays, notamment des petites et moyennes entreprises, les moins adaptées face aux bouleversements juridiques induits par cette réforme du droit des contrats. Nous serons vigilants aux retours émanant du terrain, aux effets collatéraux, voire aux bugs législatifs que cette réforme pourrait révéler dans les prochains mois. Nous suivrons les effets internationaux de cette réforme, au regard des objectifs affichés d’attractivité et de compétitivité du droit français, mais également ses conséquences sur la perméabilité de notre droit, dans un contexte où l’extraterritorialité du droit américain pose problème.

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