Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

L’évolution proposée par le présent texte repose aussi sur l’abandon de certains concepts. Pour les civilistes, la distinction subtile entre l’objet et la cause du contrat était devenue à peu près impraticable et difficilement explicable à nos étudiants en cours de droit. L’abandonner est une bonne chose, même si certains éprouveront peut-être une forme de nostalgie à son endroit.

En revanche, les principes affirmés dans le texte restent nécessaires et fondamentaux.

Je pense à la notion de liberté contractuelle, ce qu’on appelait jadis l’autonomie de la volonté, qui doit rester, dans le domaine du droit des contrats, l’action principale.

Je pense aussi à la sécurité contractuelle, qui est très attendue par le monde économique : les dispositions écrites doivent être pérennes et trouver à s’appliquer.

Je pense enfin à un principe non négligeable, qui pourrait paraître aux yeux de certains un peu désuet, alors qu’on le retrouve dans d’autres droits européens : la bonne foi, autrement dit la loyauté contractuelle. Rappeler le principe de la bonne foi, le décliner dans différents textes sur l’exécution du contrat et parvenir à ce que les juges amenés à trancher des contentieux vérifient qu’il est respecté par les parties est important.

Il est regrettable que le Parlement n’ait pas plus travaillé sur le contenu de ce texte. Nous parlons beaucoup, ici, des enjeux économiques. Or le droit des obligations est fondamental dans le monde économique, qui a besoin de sécurité, d’efficacité – afin d’éviter les contentieux et les interprétations complexes –, mais aussi d’équité.

L’équité, en effet, ne concerne pas que la relation du faible au fort. Portalis en parlait déjà : l’équité suppose de s’intéresser à la manière dont un contrat est construit. Avec ce texte, apparaît enfin dans le code civil la notion de contrat d’adhésion, construite par la jurisprudence, mais avec une énorme frilosité. Il suffit de regarder les résolutions du Conseil de l’Europe de 1976 sur les clauses abusives pour se rendre compte du chemin qui reste à parcourir en la matière. Même les directives européennes ne nous ont pas aidés pour engager une lutte véritablement satisfaisante contre ces clauses.

Fort heureusement, l’introduction des contrats d’adhésion dans le code civil concernera aussi les petites entreprises, souvent confrontées à ces situations. Désormais, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. Pour celui qui rédige le contrat d’adhésion, cela entraîne une incertitude sur la fiabilité de son contrat. S’il veut que le contrat soit sûr, il a donc intérêt à ce qu’il soit équilibré.

Dans ce même domaine, l’ordonnance ouvre un champ nouveau en matière d’imprévisibilité. En cas d’événement mettant une des parties au contrat en difficulté par sa simple exécution, ou rendant l’exécution même du contrat difficile, quel doit être le rôle du juge ? Doit-il seulement, comme le propose notre rapporteur, constater qu’il n’y a pas d’accord entre les parties et prononcer la résolution du contrat ? Ou peut-il aller jusqu’à sa révision ? Il faut sans doute permettre d’aller jusqu’à la révision, parce que l’intérêt des parties est de réussir.

Si nous revenons aux dispositions prévues dans l’ordonnance, le juge, même si ce n’est pas simple, pourra jouer son rôle de conciliation. Il écoutera les parties et élaborera une solution. Permettre à l’une des parties de saisir le juge pour qu’il révise le contrat me paraît utile : il n’est pas forcément de l’intérêt des parties qu’il le résilie.

Vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, notre groupe, comme la majorité du Sénat, tout en regrettant l’habilitation de fait du présent texte depuis un an, respectera le travail fourni pour élaborer ce texte en l’approuvant pour l’essentiel. Notre ambition est d’éviter l’insécurité juridique pour les parties aux contrats soumis aux dispositions de cette ordonnance depuis le 1er octobre 2016.

Il faut savoir, néanmoins, que rien n’est terminé : les parlementaires auront fait leur travail, certes sous contrainte, mais la jurisprudence continuera à faire évoluer le droit, car les textes sont toujours sujets à interprétation. Les commentateurs auront encore du travail, et peut-être que le Sénat aussi !

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