Intervention de Maryse Carrère

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lors de la publication de l’ordonnance du 10 février 2016, beaucoup ont rappelé le défi particulier de porter des modifications au code civil, un texte sanctuarisé en raison de la fierté qu’en tirait Napoléon, l’éminence de ses prestigieux auteurs et le poids des années écoulées. Pendant des siècles en effet le syndrome de la « main tremblante », moqué par Montesquieu, a tenu le livre III du code hors de portée du législateur. Il s’agit donc de féliciter ceux qui, à la suite du professeur Catala, se sont attelés à cette tâche fastidieuse et exigeante.

Une actualisation était nécessaire : l’évolution parallèle des droits de la consommation et de la concurrence, d’une part, et de la jurisprudence en matière civile, d’autre part, a généré un autre défaut dénoncé par l’auteur des Lettres persanes : « Quelques-uns ont affecté de se servir d’une autre langue que la vulgaire : chose absurde pour un faiseur de lois. Comment peut-on les observer, si elles ne sont pas connues ? »

De même, le maintien de règles éparses ou contestables, comme le sont les constructions jurisprudentielles, faisait obstacle à une application sereine du droit.

Cependant, si nous nous contentions de ratifier des ordonnances au seul motif qu’elles codifient à droit constant, sans analyser les règles dégagées par la jurisprudence ainsi érigées en loi ni se laisser la possibilité d’en débattre, nous manquerions à notre devoir de législateur.

Lors de notre examen du texte au sein du groupe du RDSE, nous avons veillé à ce que les modifications introduites ne s’éloignent pas de l’esprit de 1804, tel que résumé par Portalis lors de son discours préliminaire au premier projet de code civil : « Un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations convenables, et ne pas négliger ce qui est utile. L’office de la loi est de nous protéger contre la fraude d’autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison. »

C’est pourquoi nous voyons d’un bon œil toute évolution tendant à situer l’individu contractant dans le champ de la rationalité plutôt que de la moralité, par essence évolutive. La promotion du principe de la liberté contractuelle et la suppression de la notion de bonnes mœurs comme limite à ce principe sont des évolutions essentielles. La liberté contractuelle en sort renforcée : seul s’impose à elle le respect de l’ordre public et des droits et libertés fondamentaux, réputés immuables.

L’effort d’actualisation est incontestable. Il se manifeste par la suppression des anachronismes, telles les notions de bonnes mœurs, que j’évoquais à l’instant, ou encore de gestion « en bon père de famille », leur utilité juridique n’étant plus évidente.

De la même façon sont insérés dans le livre III de nouveaux concepts adaptés à la transformation de la pratique contractuelle, tels les contrats d’adhésion ou les contrats conclus par voie électronique. Ils couvrent aujourd’hui une part substantielle des échanges économiques sur notre territoire : leur inscription au sein du code permet plusieurs clarifications, qui nous semblent aller dans le bon sens.

Il en est ainsi de la protection contre les clauses abusives d’un contrat d’adhésion, qui ne s’applique plus seulement aux consommateurs, mais à tous les souscripteurs de ce type de contrats, et des dispositions visant à insérer les règles relatives au contrat électronique dans le droit commun, plus de quinze ans après la directive européenne sur le commerce électronique.

Il faut à ce propos saluer le renforcement de la protection de la « partie faible », qui entérine et parfois même dépasse les équilibres jurisprudentiels existants. Nous considérons ainsi que l’introduction de la théorie de l’imprévision au sein du code civil permettra d’apaiser les relations contractuelles, en garantissant mieux l’équilibre financier du contrat.

La création d’un « devoir général d’information » procède de la même logique. Elle est conforme à l’esprit de 1804 que j’évoquais à l’instant. Protéger, c’est sanctionner la fraude, mais également la prévenir.

Bien entendu, on ne réécrit pas près de 300 articles sans créer quelques incertitudes, et certains ajustements seront peut-être nécessaires par la suite, en fonction de la portée donnée à telle ou telle disposition. Je pense notamment à la définition de la dépendance économique.

Dans l’ensemble, nous sommes très favorables à la ratification de cette ordonnance, qui modernise notre droit des contrats et des obligations, tout en intégrant dans le code civil une partie de l’acquis des droits des consommateurs.

À l’approche des débats budgétaires, nos inquiétudes sont ailleurs. Comme ceux qui l’ont précédé, ce gouvernement semble faire le pari que le renforcement de la sécurité juridique permettra à lui seul de réduire les recours au juge et de désengorger les tribunaux. La situation budgétaire de l’autorité judiciaire est pourtant devenue si critique qu’elle surgit en toute occasion et qu’elle est désormais présentée comme un obstacle à la mise en place de chaque réforme. Nous considérons qu’à l’avenir des moyens supplémentaires devraient être réservés pour accompagner l’adaptation des magistrats à de telles évolutions législatives, dans un souci de bonne administration de la justice.

Une fois exprimée cette réserve, les membres du groupe du RDSE voteront en faveur de la ratification de cette ordonnance.

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