Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Article 5

Nicole Belloubet, garde des sceaux :

… pardon, qui lui est identique.

L’article 1143 du code civil constitue l’une des innovations essentielles de l’ordonnance du 10 février. Il assimile à une violence l’abus de la situation de dépendance dans laquelle se trouve le cocontractant, ce que la jurisprudence de la Cour de cassation a admis dans plusieurs arrêts récents, et que la doctrine et les praticiens qualifient de violence économique.

Le texte adopté par le Gouvernement se veut néanmoins délibérément plus large, puisqu’il n’est pas circonscrit à la seule dépendance économique. Toutes les hypothèses de dépendance sont visées, ce qui permet une protection des personnes vulnérables, et non pas simplement des entreprises dans leurs rapports entre elles.

Ce choix est d’ailleurs conforme aux termes de l’habilitation qui a été accordée par le Parlement au Gouvernement, puisque cette habilitation autorisait le Gouvernement à introduire des dispositions « permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ».

Il pourrait donc s’agir d’une situation de dépendance sociale ou psychologique, ce qui pourrait permettre de sanctionner un abus commis, par exemple, à l’encontre de personnes âgées dépendantes d’un point de vue affectif ou psychologique.

À ce titre, les dispositions qui sanctionnent l’abus de faiblesse dans le code de la consommation ou dans le code pénal ne sont pas comparables à celles de l’article 1143 : elles édictent des sanctions pénales sans prévoir l’annulation du contrat conclu et diffèrent, tant dans leur champ d’application que dans leurs conditions de mise en œuvre, de celles du nouvel article.

En effet, la faiblesse et l’ignorance visées dans le code de la consommation ne sont pas synonymes de dépendance, et ces dispositions ne s’appliquent que dans les relations entre professionnels et consommateurs. Quant aux dispositions pénales, elles ne concernent que les abus à l’encontre des mineurs ou de personnes d’une particulière vulnérabilité en raison de leur âge, de leur maladie ou encore d’une infirmité.

Si j’entends, bien entendu, les inquiétudes légitimes exprimées sur l’appréhension des notions d’abus et de dépendance, il me semble que le texte de l’ordonnance prend le soin de poser des conditions objectives tenant, d’une part, à l’existence d’un avantage manifestement excessif et, d’autre part, à ce que la dépendance est une notion elle-même objective, qui ne tient pas uniquement aux qualités de la victime de l’abus, comme dans les textes du code de la consommation et du code pénal, mais également aux circonstances de la conclusion du contrat en cause.

Il me semble indispensable de doter notre droit des contrats d’un outil de contrôle des abus des situations de faiblesse en dehors des seuls régimes pénaux spéciaux. Je vous demande en conséquence, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir rétablir le texte de l’ordonnance dans son intégrité.

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