Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Article 8

Nicole Belloubet, garde des sceaux :

Cet amendement vise à rétablir la rédaction initiale de l’ordonnance pour l’article 1195 du code civil, qui introduit effectivement la révision pour imprévision dans le droit français des contrats. C’est sans doute l’une des dispositions les plus emblématiques de l’ordonnance du 10 février 2016.

La France était en effet l’un des derniers pays européens à ne pas admettre la théorie de l’imprévision, qui était d’ailleurs déjà mise en œuvre par le juge administratif.

L’objectif de cette innovation est de permettre le rétablissement de l’économie générale du contrat telle que voulue par les parties, en cas de bouleversement de celle-ci, en cours d’exécution du contrat, par des circonstances exceptionnelles.

Il n’est en effet pas équitable de maintenir, au nom de la force obligatoire du contrat, les parties dans une situation contractuelle déséquilibrée – en raison d’un changement de circonstances indépendant de leur volonté et qu’elles n’avaient donc pu prévoir – par rapport à leur volonté exprimée lors de la conclusion du contrat.

La possibilité de révision du contrat en cas d’imprévision est toutefois très encadrée, et elle ne constitue qu’une dérogation exceptionnelle au principe de l’intangibilité du contrat.

Tout d’abord, le changement de circonstances devait être imprévisible lors de la conclusion du contrat.

Ensuite, l’exécution du contrat doit devenir excessivement onéreuse pour la partie lésée par le déséquilibre, ce qui exclut l’hypothèse du seul surcoût.

Enfin, la partie lésée ne doit pas avoir accepté contractuellement d’assumer le risque d’un tel changement de circonstances.

Des inquiétudes nées du pouvoir ainsi conféré au juge saisi par une seule partie ont sans doute motivé le dépôt de l’amendement de la commission, sur l’adoption duquel je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir.

Il faut en effet relativiser l’atteinte portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle.

D’une part, l’article 1195 est supplétif de volonté : les parties sont libres d’en écarter l’application, totalement ou partiellement, et de prévoir qu’elles assumeront tout ou partie des conséquences des changements de circonstances modifiant l’équilibre du contrat.

D’autre part, les pouvoirs du juge sont strictement encadrés par les principes de procédure civile. Le juge ne pourra d’office procéder à la révision du contrat et il sera, au surplus, lié par les demandes des parties quant à l’objet de la demande et aux modalités de révision du contrat.

Enfin, conditionner la révision du contrat par le juge à une demande en ce sens de toutes les parties au contrat réduirait considérablement l’effectivité du texte. Il est en effet très peu probable que des parties qui ne se sont pas entendues sur les termes de la renégociation de leur contrat, voire sur la nécessité même de le renégocier, s’accordent finalement pour en confier la révision au juge. Seule la résolution judiciaire du contrat serait alors possible, tandis que sa révision aurait pourtant permis sa survie, ce qui, bien entendu, présenterait assurément plus d’intérêt économique.

D’ailleurs, le pouvoir de révision judiciaire accentue l’aspect préventif du texte, le risque de révision du contrat, en plus de celui de son anéantissement, devant inciter les parties à renégocier, et donc à maintenir le contrat.

Je vous demande de revenir à la rédaction initialement prévue pour l’article 1195 et de restaurer la possibilité, pour une seule partie au contrat, d’en solliciter la révision par le juge.

En revanche, le Gouvernement ne s’opposera pas à l’exclusion, proposée par la commission au II de l’article 8, de l’application du régime de l’imprévision aux contrats sur instruments financiers. En effet, les risques induits par une telle option paraissent plus forts que les gains espérés. Les opérations sur titres financiers et sur contrats financiers ont par nature pour objectif d’intégrer le risque dans leur valorisation et dans les caractéristiques retenues pour l’opération.

C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas opposé à la rédaction adoptée par la commission sur ce point, dans le triple objectif de clarifier l’application du régime de l’imprévision aux instruments financiers en excluant explicitement les titres et les contrats financiers, de sécuriser les transactions futures sur ces contrats et de contribuer, par ces deux actions, au renforcement de l’attractivité juridique de la place de Paris.

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