Intervention de François Pillet

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Article 8

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur :

Sur le fond, mon argumentation s’articulera en quatre points.

Premièrement, il me semble que le Gouvernement a excédé le champ de l’habilitation législative consentie par le Parlement sur ce point, puisque la loi d’habilitation prévoyait la possibilité pour les parties, et non pour une seule d’entre elles, d’adapter le contrat en cas de changement imprévisible de circonstances.

Deuxièmement, si j’ai suggéré à la commission, qui m’a suivi, de ne pas approuver la modification du rôle du juge prévue par le texte initial de l’ordonnance, c’est parce qu’il s’agissait là d’une évolution radicale.

Le juge a pour rôle d’interpréter un contrat au regard des lois et règles existantes, d’analyser comment il doit être exécuté et de trancher un litige qui, souvent, est né dans le passé. Le travail du juge ne consiste pas à refaire le contrat. Sinon, le juge devient économiste, sociologue, fiscaliste au besoin, et il entre alors dans un champ d’activité qui n’est pas le sien.

Je vais prendre un exemple tiré du droit administratif pour faire sentir ce que pourrait être la responsabilité du juge. Pendant très longtemps, sous l’influence de différents commissaires du Gouvernement, il a toujours été indiqué que les juges administratifs devaient se montrer très prudents pour décider qu’il y avait acte anormal de gestion, parce que ce faisant ils s’immisçaient dans l’exploitation et les décisions de l’entreprise et endossaient une responsabilité qui n’était pas la leur. C’est pourquoi je pense pour ma part qu’il ne faut pas confier ce rôle très nouveau au juge.

Troisièmement, si elles sont adoptées, ces dispositions nuiront gravement à l’attractivité du droit français. L’imprévision n’est franchement pas une théorie que les Anglo-Saxons adorent ! Quand ils apprendront que, de surcroît, l’imprévision pourra être évoquée devant la justice, qu’un juge pourra refaire le contrat, soyez certains que le droit suisse l’emportera sur le droit français… Le dispositif initial de l’ordonnance va donc à l’encontre de l’objectif de renforcer l’attractivité de notre droit.

Quatrièmement, si nous adoptons les dispositions sur l’imprévision prévues par le texte initial de l’ordonnance, je vous garantis que tous les contrats rédigés par des professionnels du droit écarteront que les parties puissent y recourir, puisqu’elles sont supplétives. Votre texte, madame la garde des sceaux, se trouvera donc vidé de toute portée.

Voilà les quatre raisons pour lesquelles nous ne devons pas, à mon avis, modifier le rôle joué par le juge dans notre système judiciaire.

Madame la garde des sceaux, vous avez bien noté que nous n’avons pas voulu faire la réforme de la réforme. Nous n’avons adopté que très peu d’amendements et, même si nous avons été amenés à refuser la plupart des vôtres, je souhaiterais ouvrir une piste de réflexion : si le juge devait être autorisé à modifier le contrat, cela ne pourrait se concevoir, selon moi, qu’avec l’accord des deux parties. En effet, si la révision du contrat n’est demandée que par l’une d’elles, le désaccord sera d’emblée tel que la décision rendue par le juge ne sera pas suivie d’effet…

Ce sont donc des raisons de pure pratique et de cohérence juridiques qui m’amènent à maintenir la position de la commission, tout en reconnaissant qu’il y a peut-être une réflexion à mener, à condition de partir du principe que le juge ne pourra être saisi qu’à la demande des deux parties.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion