Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Article 9, amendements 20 1221 1142

Nicole Belloubet, garde des sceaux :

Madame Mélot, je voudrais quant à moi vous remercier du travail que vous avez réalisé. Même si nous n’avons pas suivi vos propositions, il n’en reste pas moins qu’il est tout à fait essentiel de développer l’attractivité de notre droit. Le Gouvernement partage cet objectif avec vous.

L’amendement n° 20 a pour objet de rétablir l’article 1221 du code civil dans la rédaction initiale de l’ordonnance. Ce texte introduit en effet une modification importante du droit positif par rapport à l’ancien article 1142 du code civil, qui posait le principe selon lequel l’inexécution des obligations de faire se résout en dommages et intérêts. L’article 1221, dans la rédaction issue de l’ordonnance, consacre le principe inverse du droit à l’exécution forcée en nature du créancier d’une obligation.

Toutefois, comme tout droit dont l’exercice est susceptible de dégénérer en abus, le droit à exécution forcée doit connaître des limites. Outre l’impossibilité d’exécuter, l’article 1221 prévoit donc une exception au droit du créancier à l’exécution forcée en nature et détaille les conditions dans lesquelles l’exercice de ce droit serait constitutif d’un abus.

Ainsi, ne peuvent donner lieu à exécution forcée en nature les cas dans lesquels il existe une disproportion manifeste entre le coût de cette exécution forcée pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Cette exception vise à mettre fin aux hypothèses d’abus qui ont pu être observées dans la jurisprudence. La Cour de cassation a, par exemple, eu à connaître de la construction d’une maison d’une hauteur inférieure de 33 centimètres en pignon à ce qui avait été convenu ou de celle d’une piscine dont l’escalier d’accès comptait une marche de moins que prévu : elle a ordonné l’exécution forcée en nature, sans intérêt pour le créancier mais impliquant la destruction totale de l’ouvrage, puis sa reconstruction, à la charge du débiteur.

L’objectif est donc de mettre fin à de telles situations. Il s’agit d’une déclinaison de l’abus de droit, formulé de façon plus précise pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue.

La commission a proposé d’ajouter que l’application de ce texte serait soumise à la bonne foi du débiteur. Cette précision ne nous apparaît pas nécessairement utile, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la bonne foi est déjà prévue, à titre général, à l’article 1104. Elle est un devoir des parties durant toute la vie du contrat et fonde, tant techniquement que philosophiquement, l’ensemble de l’ordonnance.

De plus, la mauvaise foi éventuelle du débiteur est déjà sanctionnée, puisqu’il engage sa responsabilité au-delà du dommage prévisible – normalement seul réparable en matière contractuelle –, conformément à l’article 1231-3.

En outre, l’exigence de bonne foi s’applique tant au débiteur qu’au créancier, particulièrement dans l’usage que celui-ci fait des sanctions de l’inexécution prévues à l’article 1217.

La précision proposée par la commission devrait donc être apportée dans tous les textes relatifs aux parties aux contrats, tant pour le débiteur que pour le créancier, et cela impliquerait de distinguer les textes pour l’application desquels la mauvaise foi de la partie concernée serait indifférente, à l’instar de l’article 1218 relatif à la force majeure. Cela ne nous semble pas souhaitable. Je demande donc au Sénat de bien vouloir rétablir le texte initial de l’ordonnance.

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