Je remercie nos deux rapporteurs dont le travail nous a permis de vérifier que nombre des propositions contenues dans ces deux textes sont consensuelles, en même temps que d'autres méritent d'être mieux affirmées, ce qui justifiera certains des amendements qui vont nous être présentés.
Le travail engagé depuis le mois de juillet 2016 a été inspiré par la conviction que la justice, comme la défense ou la diplomatie, est une grande fonction de l'État qui mérite d'être traitée hors des clivages partisans. C'est pourquoi nous avons recherché le consensus, afin de la soustraire à une gestion erratique et d'inscrire son redressement dans la continuité.
Notre diagnostic n'est pas original : notre justice va mal, elle souffre, elle est embolisée. Ses manques en matière de gestion, d'organisation, de fonctionnement l'empêchent de réagir à la marée montante des affaires. Nous en tirons deux robustes conclusions : il lui faut plus de moyens, mais qu'il serait inutile de déverser sans réforme. D'où ces deux textes, qui visent à répondre à cette double exigence.
Notre travail n'est pas sans précédent. Il y a déjà eu une loi d'orientation et de programmation pour la justice, votée en juillet 2002 et promulguée en septembre de la même année. C'est dire que lorsque l'on a le sentiment de l'urgence, on peut aller vite. Le Gouvernement s'est attelé à la tâche mais se donne, ce que l'on ne peut lui reprocher, le temps de la réflexion. Comme nous avions pris un peu d'avance sur le sujet, il nous a paru juste de nous mettre en capacité d'aiguillonner cette réflexion, en traduisant la nôtre en propositions de loi, dans l'espoir que, lorsque le Gouvernement sera mûr, il pourra directement inscrire nos deux textes à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, au lieu de présenter un texte en conseil des ministres à la fin du premier semestre 2018, au risque que celui-ci ne soit pas voté définitivement, compte tenu du calendrier des textes budgétaires, avant le début de l'année 2019 - ce qui, s'agissant d'une loi de programmation quinquennale, amènerait la fin de l'exécution de cette loi deux ans après la fin du quinquennat.
J'ajoute que le système de la loi de programmation, même s'il ne contraint pas l'État dans son budget annuel, s'est révélé efficace. La plus forte augmentation du budget de la justice s'est précisément observée durant le quinquennat 2002-2007 : elle a été de 37 %, contre 19 % entre 2007 et 2012 et 15,5 % seulement entre 2012 et 2017. D'où notre choix.
La réforme doit avoir pour effet de faciliter l'accès de nos concitoyens à la justice. Qu'ils ne se perdent plus dans la répartition des compétences entre tribunal d'instance et tribunal de grande instance serait déjà beaucoup. Il ne s'agit pas de fermer des lieux de justice, mais de faire en sorte que, dans tous, on puisse traiter les affaires de la justice de tous les jours, et de donner au président de juridiction et au procureur de la République les moyens d'organiser le travail des magistrats et des greffiers, en les mettant à la tête d'un effectif suffisant pour qu'un congé ou une vacance de poste n'entraîne pas un dysfonctionnement brutal, comme on l'a vu trop souvent dans nos départements. Ce n'est pas perdre en proximité, car les tribunaux d'instance deviendront des chambres détachées devant lesquelles tout contentieux pourra être présenté. Ce qui n'interdit pas, si la configuration ou la démographie d'un département le réclame, qu'il y existe plusieurs tribunaux de première instance.
Quant aux cours d'appel, il faut bien souligner qu'il s'agit d'en concevoir un nouveau modèle, plus homogène. Selon qu'une cour compte 11 ou 250 magistrats, elle ne peut, d'évidence, faire le même travail. Lorsqu'une cour est confrontée à un contentieux impliquant une grande entreprise, nos magistrats se sentent souvent bien démunis faute de spécialisation pour faire face à des brigades d'avocats et des services juridiques puissants. La qualité de l'appel s'en ressent. Les propositions de loi qui vous sont soumises ne visent pas, encore une fois, à fermer des lieux de justice mais à monter en gamme dans la réponse judiciaire aux contentieux complexes. Notre souci est de mettre en place, pour user d'une métaphore empruntée à la politique de la santé, des « plateaux techniques » performants, dotés de moyens humains adéquats.
Je suis heureux que nous puissions procéder ici à l'ajustement de ces deux textes pour permettre leur examen en séance publique.