C'est la dernière fois que je m'adresse à vous en tant que directeur général de la Cnaf, je partirai avant notre président... J'interviendrai en tant que gestionnaire des finances publiques, qui gère un budget de plus de 90 milliards d'euros, dont la moitié correspond à la branche famille au sens de la sécurité sociale et relève donc du PLFSS. Nous sommes aussi concernés par le projet de loi de finances (PLF) : la totalité des allocations logement sont désormais intégrées dans le budget de l'État, alors qu'auparavant l'allocation de logement familiale figurait dans le PLFSS.
La Cour des comptes a repris, dans son rapport, une étude conduite par les services de la Cnaf dirigés par M. Tapie, qui montrait le caractère redistributif en fonction de l'ensemble du système socio-fiscal -incluant donc la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés (AAH) non prises en charge par la branche famille, et l'effet fiscal du quotient familial...
Dans les années 1980, l'Insee décrivait la « courbe en U de la politique familiale » aux effets très redistributifs pour les premiers déciles et antiredistributifs pour les derniers. Depuis la réforme de 2012, la deuxième partie de la courbe s'est aplatie, il n'y a plus d'effet antiredistributif. Selon une enquête du Credoc que nous avons commandée, 80 % des Français approuvent la modulation des allocations familiales, de même que 78 % des personnes qui subissent cette modulation. Voyez l'acceptabilité sociale de cette mesure, principale source d'économies de la branche - près de 800 millions d'euros. Nous avons tous apprécié le rapport de la Cour des comptes et les comparaisons avec les autres pays européens.
M. Deroussen a détaillé la modification du plafond du CMG, prévue par le PLFSS. Je ne commenterai pas le choix politique de réaliser des économies qui aboutit à modifier des paramètres et à les harmoniser avec d'autres. Quant au décalage de deux mois du versement de la prime à la naissance, il ne s'agissait pas une mesure d'économies, mais d'une mesure de trésorerie qui a permis des économies la première année.
L'année dernière, vous m'aviez interrogé sur les difficultés de financement du RSA par des départements connaissant des retards de paiement. Le problème n'est toujours pas réglé, même si des mesures ont été prises pour que les départements s'acquittent de leurs dettes. Il est anormal que la branche famille fasse cette avance de trésorerie, soutenable encore avec de faibles taux d'intérêt, mais qui ne l'est plus s'ils se redressent ou si un doute s'instaure sur la capacité du département à payer : il s'agirait d'une provision sur les comptes de la branche famille. Nous avons fait diligence avec l'agent comptable, avec « tact et mesure », mais aussi avec fermeté. Ainsi, le département du Nord connaît un plan d'apurement de la dette. Le problème est en cours de règlement dans presque tous les départements, dans des conditions satisfaisantes. Parallèlement nous mettons en place des téléprocédures pour l'accès au RSA, et nous avons refait toutes les conventions avec les départements pour insérer la clause de neutralité financière prévue par la loi. L'avance de la branche famille doit être couverte par les départements ; les retards de paiement atteignaient parfois plusieurs années ! Or nous sommes tenus d'appliquer la loi.
Nous nous félicitons du retour à l'équilibre de la branche famille. D'un point de vue maastrichien, c'est-à-dire de l'ensemble des finances publiques, la branche famille couvre le déficit d'autres branches. C'était le choix du Gouvernement : continuer à faire des économies conformément au plan présenté par M. Darmanin cet été.
La prochaine COG sera signée pour 2018-2022, or j'aurai 65 ans au milieu de cette convention. On ne peut diriger un établissement public au-delà de 65 ans et le Gouvernement a préféré que la même personne élabore le COG et la mette en oeuvre sur l'ensemble de sa durée. Un autre choix eut été possible, celui-ci retardera un peu les négociations de la COG. Depuis deux ans, nous travaillons avec le conseil d'administration sur les priorités de la future COG, à savoir quels seront les moyens de la branche, l'accueil de la petite enfance, l'avenir de la branche famille. Nous avons travaillé sur certaines orientations politiques validées par le conseil d'administration et voulons les transformer en projet stratégique. Les premières COG duraient trois ans, j'aurais souhaité une future COG de cinq ans, pour l'aligner sur le quinquennat, avec une dernière année de bilan et de préparation de la nouvelle COG, plus stratégique que la précédente - et ce n'est pas une critique de l'ancienne.
Pour la future COG, nous prévoyons trois projets stratégiques. Nous voulons généraliser un nouveau modèle de production et de relations de service de la branche famille, pour l'ensemble des prestations. J'ai ainsi mis en partie en place une sorte de Sesam-Vitale pour la branche famille, avec une transmission directe des données de la part des allocataires. Nous avons commencé avec la prime d'activité et la téléprocédure RSA ouverte depuis avant-hier dans une vingtaine de départements, et nous l'envisageons pour les allocations logement dans le cadre de leur réforme. Nous voulons une approche 100 % dématérialisée mais aussi 100 % personnalisée pour régler trois problèmes. Il faut simplifier les prestations - nous avons jusqu'alors échoué - notamment grâce au numérique. Nous avons un taux de recours à la prime d'activité deux fois supérieur à celui du RSA activité. Le numérique n'est pas un obstacle à l'accès aux droits, si l'on s'en donne les moyens. Il peut même être un facteur d'accès aux droits et nous travaillons à l'inclusion numérique avec Emmaüs-Connect pour développer un réseau de points d'accueil numériques. Deuxième enjeu, il faut assurer la sécurité des paiements - la Cour des comptes certifie nos comptes. C'est l'un de nos talons d'Achille : le risque financier résiduel, au bout de deux ans, est d'un milliard d'euros de dépenses non récupérées. Seules 30 à 40 % constituent de la fraude contre laquelle nous luttons. Le reste consiste en des indus liés à diverses erreurs.
Le nouveau modèle de production et de relations de services s'appuiera sur un système d'acquisition directe de données auprès du payeur - l'employeur, l'assurance maladie, Pôle emploi... Cela assurera le prérenseignement de la feuille de télédéclaration simplifiant la démarche mais aussi donnant des données quasi certaines sur le montant des prestations. C'est un enjeu de productivité - je n'ai pas honte de le dire ; le service public de qualité doit être rendu au meilleur coût. Cela avait été expérimenté sur la prime d'activité, pour développer la liquidation automatique. Les données transitent du producteur à la machine sans passer par le technicien - même si tout ne peut pas être informatisé. C'est aussi un modèle de relations et de services, et nous avons réalisé d'énormes progrès dans cette convention d'objectifs et de gestion. Nous nous étions engagés à recevoir 100 000 personnes par an, en réalité 270 000 personnes sont reçues en face-à-face pour l'étude de leurs droits. C'est une révolution silencieuse - on parle plus souvent de ce qui ne marche pas... Nous avons modernisé le site internet caf.fr, dont les flux ont été multipliés par deux. Nous sommes désormais le principal service public et allons dépasser Pôle emploi. Plus de 90 % des bassins de vie sont couverts par au moins un accueil numérique, par exemple dans les maisons de service public.
Nous dressons un bilan en demi-teinte de l'accueil de la petite enfance. Il faudra repenser totalement le système de régulation et de création des places de crèche et d'assistant maternel. Il faudrait aussi prendre en compte l'accueil parental, première forme d'accueil. Une lettre ouverte m'a accusé de rendre 523 millions d'euros à l'État mais cet argent n'a pas été dépensé, il accélère le retour à l'équilibre de la branche. Sur cette somme, 220 millions d'euros sont dus à une sous-exécution, la moitié pour la petite enfance, l'autre pour l'accompagnement des nouveaux rythmes éducatifs. Nous avions eu des échanges vigoureux lors de la préparation du rapport sénatorial de Mme Cartron. Ces sommes ont été surbudgétées à cause d'une demande surestimée. Depuis, de nombreuses communes sont revenues à la semaine de quatre jours. Aujourd'hui, 60 % des enfants à l'école publique ont accès à une activité périscolaire, soit bien plus qu'au début de la dernière COG. Au moment où 110 millions d'euros de moins sont prévus pour le FNAS, 25 000 places de crèche - pas forcément au bon endroit - ont été créées à l'insu de notre plein gré, financées par le Fonds national des prestations familiales (FNPF) sur le CMG. Les schémas départementaux de service aux familles sont très utiles, il ne faudrait pas les rendre prescriptibles - comme le proposait Mme Bertinotti - mais opposables. N'imposons pas de nouvelles places de micro crèche qui déstabiliseraient l'offre existante, mais lançons plutôt des appels à projet dans les zones en manque. J'aimerais que le législateur soit saisi de ce vrai sujet dont nous avons débattu avec les think tanks Terra Nova, l'Institut Montaigne ou France Stratégie. La branche devrait se doter d'un outil de financement de l'évaluation du rendement de la dépense sociale, afin de maîtriser les dépenses. Le conseil d'administration est très proche de ma position.
La budgétisation existe déjà de facto puisque nous versons 31 milliards d'euros de prestations légales pour la branche famille, 42 milliards pour l'État et les départements, 6 milliards pour le FNAS, une dizaine de milliards pour les droits à retraite auprès de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. La partie versée pour le compte de tiers est perçue par le public comme des prestations familiales et sociales. Avoir un seul compte pour toutes les prestations versées serait plus transparent. Cela ne veut pas dire qu'il faut tout budgétiser, des ressources propres étant nécessaires, mais il faudrait une dotation budgétaire pour une image plus claire des dépenses de la branche.