Intervention de Florence Parly

Réunion du 24 octobre 2017 à 14h30
Revue stratégique de défense et de sécurité nationale — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

Florence Parly :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dès son élection, le Président de la République a souhaité que soit menée une revue stratégique. Cette étude avait un objectif : produire une analyse fine et complète de la situation stratégique internationale et en tirer les conséquences pour notre défense. J’ai confié ce travail à un comité d’experts venus de toutes les disciplines et présidé par M. Danjean, qui a abouti à cette revue stratégique à la fois lucide et ambitieuse pour nos armées, fixant un cap clair et une vision pour la prochaine loi de programmation militaire.

Dans quelques instants, je répondrai aux questions que ce document pose sur notre environnement stratégique et l’avenir de notre défense. Je suis particulièrement heureuse de pouvoir le faire par ces échanges que vous avez voulus plus libres et plus francs et qui permettront d’aborder vos interrogations – celles de la représentation nationale – sans tabou ni fausse pudeur, ce qui est précisément l’objectif de la revue stratégique.

Ce travail était un exercice ambitieux. Il visait, bien sûr, à actualiser l’analyse menée dans le Livre blanc de 2013. Depuis quatre ans, le monde a sans doute changé plus vite et plus fortement que nous nous y attendions. Plus largement, cette revue a permis d’identifier les intérêts de la France dans un contexte particulièrement imprévisible et mouvant. Elle prépare l’avenir de notre défense, définit notre vision en France et en Europe et, enfin, établit les aptitudes requises pour atteindre notre ambition.

La revue stratégique fait d’abord un constat : aujourd’hui, la France est plus sollicitée et plus engagée qu’elle ne l’a été depuis longtemps. La menace du terrorisme djihadiste reste centrale pour notre sécurité. Nos ennemis ont changé d’organisation, de visages, de noms, mais ils sont encore plus violents et peut-être encore plus déterminés. Ne nous y trompons pas, la prise de Raqqa et la défaite, sans doute très proche, de Daech ne signifient pas la fin du terrorisme, de son idéologie et de sa barbarie.

À cette menace s’ajoute une instabilité croissante aux portes de l’Europe. J’ai à l’esprit les vulnérabilités persistantes dans le Sahel, la déstabilisation durable du Proche et du Moyen-Orient ou la crise migratoire, mais aussi des phénomènes plus larges qui nous touchent et qui appellent le monde entier à s’adapter : les risques pandémiques, les dérèglements climatiques, les trafics ou la criminalité organisée.

Face à ces menaces, la France répond fermement et chaque fois que c’est nécessaire. Elle est impliquée dans un grand nombre d’opérations, supérieur à nos prévisions. Nos armées sont très sollicitées, à l’extérieur comme sur le territoire national, avec pour conséquence une forte mise sous tension de nos capacités et de nos ressources.

La revue stratégique, ensuite, prend acte de ce que nous soupçonnions déjà : l’équilibre du monde tel que nous le connaissions à la sortie de la guerre froide est révolu. L’environnement stratégique est aujourd’hui articulé autour de multiples pôles dont les équilibres, les forces et les intentions sont changeants et parfois imprévisibles. Chaque État cherche à affirmer sa puissance, notamment militaire, et entre dans une logique de compétition pour l’accès aux ressources, pour le contrôle des espaces stratégiques et pour l’armement.

C’est l’objet d’un troisième constat dressé par la revue : nos forces sont plus contestées et nos ennemis plus équipés et mieux armés. La diffusion des technologies et la dissémination d’équipements conventionnels modernes ont permis à certains acteurs de détenir et de maîtriser des capacités qui, il y a peu, étaient seulement accessibles à certains États.

Les terrains de conflits évoluent eux aussi. À la terre, à la mer et aux airs, qui nous étaient familiers, s’ajoutent désormais l’espace et le cyberespace. Ceux-ci sont devenus des domaines d’affrontement à part entière, impliquant des acteurs parfois inconnus ou intraçables, dont les actes peuvent avoir des conséquences dramatiques sur notre sécurité et sur le quotidien de nos concitoyens.

Enfin – c’est le quatrième constat issu de la revue stratégique –, les nouvelles technologies ont radicalement changé nos forces et nos vulnérabilités. Elles représentent une opportunité formidable. L’intelligence artificielle, la robotique ou les biotechnologies déboucheront sans doute sur des applications militaires décisives. Cependant, la révolution technologique est aussi un enjeu, car nous devons la saisir pleinement, sous peine d’être dépassés. Enfin, elle peut également devenir une source de vulnérabilité. C’est pourquoi l’espace numérique, dans son ensemble, doit se trouver au centre de nos priorités.

Dans cet environnement stratégique à la fois instable et imprévisible, la France est et restera une puissance majeure. Elle continuera à intervenir partout où ses intérêts sont menacés. Sa voix sera entendue, écoutée et respectée.

Notre autonomie stratégique n’est pas négociable. Nous la consoliderons, notamment en renouvelant les deux composantes de la dissuasion nucléaire. Nous poursuivrons nos efforts en faveur du renseignement et nous renforcerons de front les cinq fonctions stratégiques : dissuasion, prévention, protection, intervention et connaissance et anticipation, en prêtant une attention particulière à la prévention des risques et des conflits.

L’assurance de notre autonomie stratégique passe également par un modèle d’armée complet et équilibré. C’est le gage de notre souveraineté comme de notre liberté. Nous devons être en mesure de détenir toutes les aptitudes et toutes les capacités pour répondre à toutes les menaces.

Nous protégerons et nous garantirons notre autonomie totale dans les domaines de la dissuasion, de la protection du territoire et de ses approches, du renseignement, du commandement des opérations, des opérations spéciales ou de l’espace numérique. Dans les autres champs, nous mènerons les partenariats et les coopérations nécessaires pour assurer la pleine capacité d’action de nos forces.

Nous assumerons pleinement notre dimension européenne. Nous avons tout intérêt à ce qu’une défense européenne puisse se construire autour d’intérêts partagés. La France, comme l’a indiqué le Président de la République à la Sorbonne le 26 septembre dernier, sera à l’initiative de cette dynamique. Nous avancerons avec ceux qui le peuvent et ceux qui le souhaitent. Nous assumerons également pleinement nos responsabilités au sein de l’OTAN et nous renforcerons nos partenariats bilatéraux partout dans le monde.

Quand je parle d’Europe, je pense aussi à notre industrie. Nous devons accompagner et encourager le développement d’une industrie européenne de défense solide et réputée. Plus largement, l’industrie et la recherche doivent être au fondement de notre stratégie. C’est un socle économique puissant, une garantie du succès de nos exportations comme de notre innovation.

L’innovation, justement, nous devons la prendre à bras-le-corps, en faire notre force et notre moteur. Je parle d’innovation technologique, de recherche, mais également de cet esprit d’innovation qui doit guider toutes les femmes et tous les hommes de la défense. L’audace doit les accompagner dans leurs décisions, dans la recherche de processus plus efficaces, dans la modernisation de notre action. Cet esprit d’innovation est une condition pour l’attractivité de la défense, pour l’efficacité de nos missions et donc pour la sécurité et la liberté des Français.

Cette revue stratégique nous offre un apport immense : identifier nos aptitudes prioritaires et agir, agir vite et fermement. Ce sera précisément l’objet de la prochaine loi de programmation militaire à qui la revue donne un corps et une vision.

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