Intervention de Nathalie Delattre

Réunion du 24 octobre 2017 à 14h30
Redressement de la justice — Discussion d'une proposition de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Nathalie DelattreNathalie Delattre :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les propositions de loi de M. Bas, éminent président de la commission des lois, ont pour premier mérite de remettre la justice au cœur des débats, une thématique trop largement éclipsée lors des récentes campagnes électorales. Elles me donnent en outre l’occasion, en tant que nouvelle sénatrice, de m’étonner du peu d’élus dans l’hémicycle aujourd'hui alors que la justice est un pilier du fonctionnement de notre République !

Depuis des décennies, une lente dégradation des conditions matérielles de l’exercice de la justice est à l’œuvre dans notre pays, produisant pourtant de rares élans de manifestation, probablement en raison de la retenue naturelle qui caractérise les hommes de robe. Il serait pourtant naïf de considérer que cette dégradation, au prétexte qu’elle serait tue, ne serait pas perçue par nos concitoyens.

Cependant, malgré leur lenteur et leur manque de moyens, nos juridictions bénéficient encore, heureusement, de la confiance des Français. Nos tribunaux exercent toujours cette fascination que décrivait Gide dans ses Souvenirs de la cour d’assises voilà plus de cent ans. Sans doute, beaucoup de justiciables ont été rassurés d’observer comme lui « la conscience avec laquelle chacun, tant juges qu’avocats et jurés, s’acquittait de ses fonctions ».

La vigueur du sentiment de justice de nos concitoyens dépend en effet essentiellement du grand professionnalisme et du dévouement de l’ensemble des corps du ministère de la justice, lesquels font fonctionner nos juridictions avec des moyens, il faut l’avouer, bien inférieurs à ceux de nos voisins européens.

C’est pourquoi nous souscrivons à la démarche du président Philippe Bas lorsque, au moment de réformer, il choisit de se placer à la hauteur des hommes qui rendent la justice, avec la ferme volonté de résoudre leurs difficultés concrètes. C’est le cas, par exemple, au travers de l’article 25 de la proposition de loi, qui vise à permettre à la cour d’assises, statuant en appel, de ne pas réexaminer l’intégralité de l’affaire à la demande du condamné ou du ministère public.

Nous croyons fondamental, comme lui, de stabiliser la nomination des magistrats dans une même juridiction au moins trois ans et, pour la préservation de l’expertise acquise, de maintenir dans une même fonction les juges pour la même durée de trois ans.

De la même manière, la réforme de l’aide juridictionnelle associant les avocats en amont de l’attribution de l’aide par le bureau d’aide juridictionnelle nous semble aller dans le bon sens. La maîtrise des frais de justice ne sera efficace que si elle repose sur une démarche inclusive, en associant tous les acteurs en présence.

Il est indéniable que la réforme passe également par la résolution des difficultés que rencontrent plusieurs avocats. Dans un climat concurrentiel aiguisé par l’augmentation du nombre de confrères, le risque de la tentation d’alimenter les contentieux n’est pas inexistant.

Aussi, en parallèle d’une réflexion sur l’établissement d’un numerus clausus à l’entrée dans la profession, cette dernière doit-elle également être protégée de la concurrence déloyale des sites d’information en ligne, qui sont en plein essor. Certaines dispositions de la proposition de loi nous permettront peut-être d’avancer dans ce sens.

Si les nouvelles technologies peuvent faciliter le suivi des dossiers et accélérer les délais d’instruction, nous considérons, en revanche, qu’aucune innovation ne pourra remplacer la vertu cathartique du procès. Plusieurs dispositifs du texte nous posent ainsi question.

En premier lieu, nous nous interrogeons sur le paradoxe qui consiste à vouloir redresser la justice en décourageant le justiciable d’accéder au prétoire du juge… N’est-ce pas le sens de l’établissement d’amendes extrêmement dissuasives en cas de requêtes abusives ?

Mais nous savons que l’abus est difficile à caractériser à l’aune du droit d’ester en justice, qui est une liberté fondamentale. Il sera donc difficile d’asseoir ce principe.

En second lieu, il peut paraître inéquitable d’établir un coût élevé pour le pourvoi en rendant l’assistance par un avocat aux conseils obligatoire ; mais saisir la plus haute juridiction, qui ne statue que sur l’application du droit, nécessite l’assistance d’un juriste confirmé pour éviter les saisines inutiles. Là aussi, nous savons que ce combat de surcoût est vain.

En outre, au regard de l’obsolescence des outils bureautiques et des moyens de communication internes aux juridictions, il serait incompréhensible d’accorder de si précieux crédits à la construction d’un nouveau site internet ou au développement d’outils de justice prédictive alors qu’il nous faut nous concentrer d’abord sur la justice effective !

La Convention européenne des droits de l’homme, dans le premier alinéa de son article 6, fait référence au droit qu’a toute personne « à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ». C’est le sens du droit au procès équitable.

Sur la conciliation, montrons-nous modernes ! Cela peut être vraiment efficace si nous lui donnons une force exécutoire qui engage les parties. La conciliation peut responsabiliser le citoyen tout en permettant d’instaurer un échange, de retisser du lien social et de promouvoir l’idée d’un « vivre ensemble », tout en garantissant la fin du litige. Il faut cependant assurer et rassurer le citoyen sur l’exécution effective de la solution obtenue par la conciliation. Si nous décidons de la rendre obligatoire, il faut engager une homologation judiciaire.

La création d’un tribunal de première instance unique par département est un point qui nous paraît secondaire compte tenu de la nécessaire proximité que les justiciables sont en droit d’attendre. Les tribunaux d’instance remplissent aujourd’hui avec brio leur rôle de juge de proximité et tous les acteurs contestent l’existence de sureffectifs perdus dans les méandres de la carte judiciaire.

Alors oui, qui trop embrasse mal étreint ! Selon nous, ces textes de programmation auraient gagné à se concentrer sur quelques objectifs prioritaires : l’exécution des peines, la justice familiale et les nécessaires réformes du conseil de prud'hommes et du tribunal de commerce. Cependant, l’exercice a le mérite d’exister et de faire référence.

En conclusion, nous sommes tous d’accord pour affirmer que l’humain demeure la matière première de la justice. Le groupe du RDSE espérait que l’augmentation des effectifs affectés aux juridictions serait plus importante. Comme depuis trop longtemps maintenant, l’administration pénitentiaire absorbe la plus grosse part des crédits…

Aussi la première véritable réforme ambitieuse de la justice serait-elle de désolidariser les budgets de l’autorité judiciaire et de l’institution pénitentiaire, ce qui permettrait de distinguer la crise juridictionnelle de la crise carcérale, ainsi que de la crise engendrée par le manque d’établissements psychiatriques, car trop souvent la prison pallie cette politique irresponsable de fermeture d’établissements de soins.

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