« La justice va mal. Ses délais ne cessent de s’allonger. En dix ans, ils sont passés de sept mois et demi à près d’un an pour les tribunaux de grande instance. Dans le même temps, le stock d’affaires en attente d’être jugées a augmenté de plus de 25 % pour les juridictions civiles. Or, le nombre de magistrats et de greffiers diminue, les vacances de postes sont devenues endémiques. »
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ces quelques mots sont ceux du président de la commission des lois, Philippe Bas, en avant-propos du rapport de la mission d’information. Ils résument très bien le constat sévère que nous avons collectivement dressé lors des travaux de la mission d’information sur le redressement de la justice.
Le constat est sévère, mais, pis encore, il n’est pas une surprise, en tout cas pas pour ceux qui, comme moi, s’intéressent depuis des années aux moyens dont dispose la justice.
Depuis des années, en effet, dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Justice », j’alerte la Haute Assemblée et les gouvernements successifs sur l’état de nos tribunaux, sur l’impossibilité pour certaines juridictions de régler les frais de justice avant même que la moitié de l’année soit écoulée, sur les vacances de postes, etc.
Nous ne pouvons plus attendre. C’est pour cela que je salue l’inscription à notre ordre du jour de ces deux textes.
Je salue également l’important travail réalisé dans le cadre de la mission d’information et sur les deux propositions de loi par les corapporteurs, Jacques Bigot et François-Noël Buffet. Ils ont su préserver l’esprit général de la mission d’information tout en apportant certaines modifications afin de rendre pleinement opérationnelles les dispositions des textes qui nous sont soumis ce soir.
La réforme que nous vous proposons, madame la garde des sceaux, a un intérêt majeur : pour une fois, elle ne dissocie pas les aspects budgétaires du fond de la réforme. Les deux textes apportent des évolutions importantes, aussi bien en matière d’organisation judiciaire que sur le statut et l’organisation de la magistrature. Dans les deux cas, les évolutions proposées sont financées.
Ils ne font pas l’impasse sur ce qu’on pourrait appeler les serpents de mer qui hantent la place Vendôme. Je pense, par exemple, à l’aide juridictionnelle et à son financement.
Nous vous proposons de rétablir la contribution pour l’aide juridique supprimée par la loi de finances pour 2014. Cette contribution apporte une réponse simple et efficace au besoin de financement de l’aide juridictionnelle, pour un coût modique pour le justiciable. Même si cette mesure ne résoudra pas à elle seule les questions posées par l’aide juridictionnelle, elle devrait néanmoins générer plus de 50 millions d’euros chaque année.
Autre sujet très sensible : l’organisation judiciaire. Chacun se souvient des débats enflammés suscités par la réforme Dati en 2007-2008. Aujourd’hui, la commission des lois opte pour la création d’un tribunal départemental unique de première instance, regroupant le tribunal de grande instance et les tribunaux d’instance de son ressort.
Sur le principe, nous sommes séduits par cette idée. Coauteur de plusieurs rapports ayant évoqué cette piste, je ne peux, à titre personnel, qu’y être favorable. Pour autant, plusieurs de nos collègues ont émis en commission un certain nombre de craintes. C’est pourquoi Sophie Joissains a souhaité que cette innovation soit d’abord expérimentée dans quelques départements pendant trois ans, avant d’être généralisée à l’ensemble du territoire. Elle proposera un amendement en ce sens.
Concernant la magistrature, de nombreuses évolutions ont eu lieu récemment avec la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature. Ce texte a notamment permis d’ouvrir davantage le recrutement et diversifier le corps de la magistrature ; c’est une avancée.
Pour autant, il restait encore de nombreuses pistes d’évolutions à explorer, notamment en matière de gestion des ressources humaines. Une question importante est celle des postes offerts à la sortie de l’École nationale de la magistrature. Comme le mettait déjà en évidence en 1994 Jean-Jacques Hyest, à l’époque député chargé par le Premier ministre d’établir un rapport sur la formation professionnelle des magistrats et des avocats, « un magistrat sortant de l’ENM va immédiatement, dans la majorité des cas, assumer les responsabilités de juge d’instruction, de juge des enfants, de juge d’application des peines… Après dix ans d’expérience, il continuera d’exercer des fonctions de même type avec des responsabilités quasiment identiques ». Depuis lors, cette situation, en dépit de critiques récurrentes, n’a guère évolué.
Il apparaît contre-productif de confier à des débutants des postes peu attractifs en raison d’un contexte difficile – nature, localisation du poste ou autre motif – et susceptible d’engendrer à terme un certain découragement. Cela alimente le phénomène, relevé par la mission d’information, de turn-over important sur certains postes, où les magistrats, à peine arrivés, demandent leur mutation. Au contraire, il faudrait nommer les jeunes magistrats à des postes adaptés à leurs capacités. Aujourd’hui, ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Les pistes de réflexion sur ce sujet sont nombreuses. On peut se rappeler de ce que préconisait notre regretté collègue Pierre Fauchon dans un rapport datant de 2006 qui prévoyait l’instauration d’une période de probation d’au moins deux ans au sortir de l’ENM, le magistrat débutant étant alors dénommé « magistrat référendaire ».
Sans aller jusque-là, je me félicite du maintien dans le texte des dispositions prévues aux articles 4 et 7. Elles créeront de nouvelles possibilités de collaboration entre magistrats du siège pour le traitement des décisions complexes. Elles permettront notamment au magistrat chargé d’une affaire de bénéficier d’un renfort précieux pour préparer sa décision et au jeune magistrat de perfectionner sa formation.
Plus fondamentalement, il me semble que le critère déterminant pour l’affectation de magistrats sortis d’école devrait être l’affectation dans des formations systématiquement collégiales, à l’exclusion de toute affectation sur un poste à juge unique, a fortiori s’il s’agit de fonctions spécialisées comme juge d’instruction ou juges des enfants.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, madame la garde des sceaux, le groupe Union Centriste partage les objectifs de ces deux textes d’initiative parlementaire et il soutient les solutions proposées.
Il n’est plus temps de commander de nouveaux rapports d’information – j’ai participé à cela – : il faut agir ! J’espère, madame la garde des sceaux, que le Gouvernement entendra la voix constructive du Sénat, dans l’intérêt des acteurs du monde judiciaire, mais aussi et surtout dans l’intérêt de nos concitoyens.