Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons résultent d’un important et minutieux travail mené l’année dernière par la commission des lois du Sénat. Je partage l’essentiel des constats, en particulier sur à la situation dégradée de la justice. Une justice « en voie de clochardisation » disait même votre prédécesseur Jean-Jacques Urvoas, madame la garde des sceaux… Les mots sont forts, mais la situation est réellement difficile dans le monde judiciaire, dans nos prisons comme dans nos tribunaux.
Cette situation résulte de divers facteurs : accroissement du recours à la justice par nos concitoyens, réformes pénales successives n’ayant pas permis de désengorger des prisons surpeuplées, insuffisance des moyens affectés à la justice.
Dans ce contexte, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », je souscris bien sûr à l’idée que le ministère de la justice doit être considéré comme prioritaire et, à ce titre, voir son budget augmenter quand des économies sont demandées à d’autres.
Pour aller plus loin, la commission des lois propose notamment une trajectoire pluriannuelle d’augmentation des crédits et des emplois de la mission « Justice » sur cinq ans. Une telle programmation est attendue par le monde judiciaire : source de prévisibilité, elle serait le gage d’une meilleure gestion, de la mise en œuvre de projets et de réformes dans la durée.
Je note à ce titre avec satisfaction que la proposition qui nous est soumise est équilibrée. Dans leur rapport, Jacques Bigot et François-Noël Buffet écrivent en effet vouloir « un redressement significatif et durable des crédits », qui s’accompagne de « l’exigence de réformes structurelles fortes ».
En effet, des réformes sont attendues en matière d’organisation, mais aussi de procédures, de délais de jugement, de dématérialisation et d’informatisation, d’accessibilité de la justice.
Évaluer l’efficacité des dispositifs et des réformes : c’est sous cette condition qu’une augmentation des moyens est envisageable. Si le budget du ministère de la justice s’inscrit, ces dernières années, dans une phase de rattrapage, il convient de préparer une seconde phase, susceptible de permettre la réalisation d’économies.
Je pense en outre que l’existence d’un budget pluriannuel de la justice constitue sans nul doute un outil au service du ministre de la justice, notamment lors des arbitrages budgétaires.
Toutefois, je souhaiterais formuler deux remarques sur la trajectoire des crédits proposée à l’article 2 de la proposition de loi.
Il est préférable de prévoir les moyens supplémentaires pour une politique publique prioritaire en examinant, dans le même temps, les modalités de leur financement et le cadre global dans lequel ils s’inscrivent ; je pense en particulier à nos engagements européens. Ce sera l’objet du débat que nous aurons dès la semaine prochaine sur le projet de loi de programmation des finances publiques.
Les trajectoires proposées pour le budget de la justice par le Gouvernement et la proposition de loi ne sont pas identiques.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit, pour la période entre 2018 et 2022, une augmentation plus de 25 % des crédits de la mission. L’horizon du Gouvernement s’arrête à 2020. Le projet de loi de finances pour 2018 attribue 6 millions d’euros de plus à la mission « Justice » que la proposition de loi. Entre 2018 et 2020, le projet du Gouvernement accroît les moyens de la justice de 9, 6 %, contre 7, 9 % dans la proposition de loi.
Par ailleurs, contrairement à la méthodologie des lois de programmation des finances publiques, la trajectoire de la commission des lois intègre l’évolution de l’inflation et de la contribution au compte d’affectation spéciale « Pensions ». La dynamique propre de ces variables pourrait absorber une partie de l’effort en faveur des moyens de la justice.
Pour l’ensemble de ces raisons, je crois donc, mes chers collègues, qu’il conviendrait de ne pas adopter l’article 2 de la proposition de loi. Si je sais que cela risque de peiner le président Philippe Bas, je sais aussi qu’il comprendra que l’ancien membre de la commission des lois que je suis a intégré depuis trois ans la commission des finances !