Madame Benbassa, il est vrai qu’il existe une différence de traitement, donc une inégalité, entre les personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la réforme du code pénal, intervenue le 1er mars 1994, et celles qui ont été condamnées après celle-ci.
Les premières ont été automatiquement privées de leurs droits civiques lorsqu’elles étaient condamnées pour des crimes ou, pour les délits, à des peines d’un certain montant ; les secondes n’ont pu l’être que si la juridiction l’a expressément décidé.
Le nouveau code pénal était, sur cette question comme sur un certain nombre d’autres, moins sévère que l’ancien et plus respectueux du principe d’individualisation des peines ; c’était sa caractéristique principale.
Pour autant, il n’existait aucune autre solution que de prévoir que les interdictions des droits civiques résultant de plein droit des condamnations prononcées avant 1994 demeuraient applicables, comme l’a prévu l’article 370 de la loi du 16 décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.
Si cela n’avait pas été le cas, en effet, toutes ces personnes auraient immédiatement, en 1994, retrouvé tous leurs droits, même celles qui avaient été condamnées pour les faits les plus graves, à l’encontre desquelles, sous l’empire du nouveau code, les juges auraient certainement prononcé la peine complémentaire d’interdiction de droits civiques.
Il y aurait également eu une inégalité de traitement au bénéfice des personnes déjà condamnées, puisque celles-ci ne pouvaient évidemment pas être jugées une nouvelle fois, afin que soit ou non décidé de compléter leur peine par une interdiction expresse de leurs droits civiques.
La question se pose toujours aujourd’hui. Si vous supprimez l’article 370, tous ces individus retrouvent immédiatement leurs droits civiques. Une personne condamnée, par exemple, pour viol et assassinat à la réclusion criminelle à perpétuité en 1993 et qui, bénéficiant d’une libération conditionnelle, serait élargie demain, pourrait donc être inscrite sur les listes électorales, voter et se présenter à une élection.
En revanche, une autre, qui aurait été condamnée à la même peine pour des faits exactement similaires à la fin de l’année 1994, donc sous l’empire du nouveau code, avec, comme c’est vraisemblable, une condamnation de la cour d’assises à la peine complémentaire de privation de ses droits civiques, ne bénéficierait pas d’une telle clémence.
Bien évidemment, comme le précise l’article 370 et comme vient de le dire à l’instant M. le rapporteur, le maintien de ces interdictions n’est prévu que sous réserve de la possibilité, pour le condamné, de demander leur relèvement, en application de l’article 702–1 du code de procédure pénale, devant le tribunal correctionnel, ou la cour d’appel, qui a prononcé la condamnation initiale, ou bien devant la chambre de l’instruction si la condamnation émane de la cour d’assises.
Si les faits sont anciens et considérés comme peu graves, cette demande de relèvement sera sans doute acceptée sans difficulté. Depuis 2009, ces demandes sont examinées à juge unique, par la juridiction composée de son seul président, afin d’être traitées plus rapidement. Le juge saisi déterminera si, sous l’empire du nouveau code pénal, il aurait ou non prononcé une peine d’interdiction des droits. S’il estime que tel n’aurait pas été le cas, il accordera évidemment le relèvement.
Il me semble donc que l’article 370 ne porte en rien atteinte aux exigences d’équité que doit respecter notre droit pénal et qu’il doit être conservé.
C’est la raison pour laquelle, malgré tout l’intérêt de la question que vous avez posée, madame la sénatrice, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.