Intervention de Nicolas Hulot

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 octobre 2017 à 16h30
Projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement — Audition de M. Nicolas Hulot ministre d'état ministre de la transition écologique et solidaire

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire :

Merci, madame la présidente. Je salue Mme la rapporteure de la commission des affaires économiques et M. le rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que tous les sénateurs de la commission des affaires économiques.

Il s'agit en effet pour moi, avec la présentation de ce texte devant vous, d'une première au Sénat. Cette loi me semble nécessaire. C'est une loi pionnière, dont on pourra discuter de la pertinence dans quelques années, s'il s'avère qu'elle est restée isolée dans le temps et dans l'espace. Mais j'espère qu'elle fera contagion ! Lorsque la France donne l'exemple, il arrive parfois que d'autres pays, d'Europe et d'ailleurs, suivent cet exemple. Tel est l'esprit de cette loi : prendre un chemin sans attendre que d'autres prennent l'initiative.

La France a déjà joué un rôle majeur dans la prise de conscience du phénomène climatique et de ses conséquences, et dans l'accord de Paris : pour la première fois, la communauté internationale partage un diagnostic et se fixe des objectifs ambitieux, à la mesure de la situation que nous essayons de juguler, qui nous oblige à placer la barre haut.

Chacun sait - la science nous le rappelle régulièrement - que les chances que nous avons de répondre à l'injonction de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés par rapport à l'ère préindustrielle diminuent de jour en jour. Il s'agit d'une course contre la montre, ce phénomène se développant via des effets de seuil et d'emballement, et non de manière linéaire.

Le premier rapport du GIEC avait déjà évoqué le scénario d'une intensification des extrêmes climatiques : incendies, sécheresses, inondations, typhons, etc. Ce scénario est déjà à l'oeuvre. Serons-nous capables de contenir la multiplication de ces événements, ou laisserons-nous ce scénario nous échapper ? Les conséquences d'un triomphe de la deuxième option seraient incalculables, comme le FMI lui-même l'a reconnu. Sur un tel sujet, il serait donc malvenu que nous nous laissions rattraper par des divisions déplacées.

Le problème climatique remet en cause des habitudes, et même des fondamentaux, qui nous ont aidé à sortir de terre, si j'ose dire : mesurons, en 150 ans, ce que le pétrole, le gaz et le charbon nous ont permis d'accomplir en termes d'évolution ! Or, tout à coup, nous découvrons qu'il va falloir nous séparer, certes de manière programmée, de ceux que nous considérions comme nos alliés, et entrer, s'agissant de notre dépendance aux énergies fossiles, dans une période de dégrisement.

J'ai bien conscience que nous n'utilisons pas simplement ces énergies pour nous déplacer. Cette libération progressive ne se fera donc pas sans transformation sociétale profonde. Devons-nous nous en effrayer ? La seule chose qui m'effraie, c'est de constater que certains, aux États-Unis notamment - je pense au président Trump - tournent le dos à la réalité. Mais il y a d'autres grandes nations, comme la France !

En la matière, une programmation est nécessaire. Il est un principe qui peut nous permettre d'éviter une transition brutale : c'est la prévisibilité. C'est pourquoi il faut nous fixer des objectifs à 2050 (la neutralité carbone) et à 2040 (la fin des énergies fossiles produites sur le territoire français), sachant que la satisfaction d'autres objectifs intermédiaires conditionnera le succès de cette loi.

Chacun le sait, autant le dire d'emblée : les hydrocarbures extraites sur notre territoire représentent 1 % de notre consommation. La lutte contre le réchauffement climatique ne saurait par conséquent se réduire à cette loi. Celle-ci est conçue pour additionner ses effets à ceux déjà attendus de l'inscription d'autres objectifs dans la loi sur la transition énergétique de 2015, à commencer par la réduction de notre consommation, objectif incontournable et partagé par les entreprises - elles savent que l'efficacité énergétique est un facteur de productivité - et les citoyens, assortie du développement à grande échelle des énergies renouvelables.

Ce projet de loi fait donc partie d'un tout. Mais il s'agit bien d'une loi pionnière, qui est en outre une loi de cohérence. Je ne voudrais pas laisser entendre que la COP 21 de Paris a été un moment facile - que 196 États apposent leur signature au bas de l'accord a presque tenu du miracle. Néanmoins, le plus difficile reste à venir : réaliser cet objectif ! La prise de conscience aurait certes pu intervenir plus tôt ; mais songez combien paraissait aberrante, il y a quelques décennies - je le reconnais -, l'idée selon laquelle l'humanité se serait mise elle-même, et sans mauvaise intention, dans une situation aussi délicate !

On peut se fixer des objectifs à 2030, à 2040 ou à 2050 - c'est ce que j'ai fait. Je ne suis pas certain d'être encore ministre, en 2050, pour pouvoir témoigner devant vous que nous aurons atteint ces objectifs ; mais la crédibilité de la France est de se mettre en situation de réaliser ces objectifs.

En la matière, trois principes importent : la prévisibilité, d'abord - 2040, c'est à la fois loin et proche : plusieurs mandatures se dérouleront d'ici là, mais l'exercice consistant à se libérer des énergies fossiles ne sera pas facile, loin s'en faut -, l'irréversibilité, ensuite - lesdits objectifs doivent apparaître comme irréversibles : à défaut, nous échouerons à orienter la société dans la direction voulue -, la progressivité, enfin - en démocratie, chacun a compris que la brutalité ne permettait pas la transition. J'essaierai de faire en sorte que ces trois principes soient respectés.

Je parlais tout à l'heure de cohérence. Quelles que soient nos divergences, nous avons en commun un attachement à certaines valeurs ; or, sans pontifier, je veux vous convaincre que tout ce qui a de l'importance à nos yeux est conditionné par la réussite de la bataille climatique - car c'en est une. La Banque mondiale elle-même décrit des scénarios qui font froid dans le dos. Que nous dit la science ? Qu'il faut renoncer à exploiter 80 % des réserves d'énergies fossiles qui gisent sous nos pieds. Nous devons y préparer la société ; plus tôt nous le ferons, plus facile sera la transition.

Il faut aussi garder à l'esprit qu'il y aura beaucoup plus de bénéficiaires que de perdants. La transition énergétique est une transition des modes de transport, des modes de production agricole, du logement : autant de champs d'emploi, d'innovation et de recherche extrêmement importants. C'est bien là une contrainte, dont nous nous serions bien passés, dans un monde connecté mais non encore relié, où les défis à relever, en ce début de millénaire, sont immenses. Mais, paradoxalement, l'existence de cette contrainte climatique va avoir un triple bénéfice.

En premier lieu, elle va nous obliger à accélérer notre affranchissement des énergies fossiles, dont l'heure serait de toute façon venue, à un moment ou à un autre. Est-ce une mauvaise chose ? Je ne crois pas. Nous sommes dépendants, à tous les sens du terme, des énergies fossiles, qui représentent 50 milliards d'euros d'importations. Si nous parvenons à nous en libérer, nous pourrons injecter ces sommes dans l'économie de notre pays et les affecter à la poursuite d'objectifs sociaux, en matière de santé et d'éducation notamment. Ce n'est donc pas une mauvaise nouvelle.

Deuxièmement, il y va d'un agenda de santé publique, comme vient de le rappeler la patronne de l'OMS. Voyez ce que disent les institutions onusiennes sur les externalités négatives des énergies fossiles en termes de santé. Sur le plan économique et sur le plan sanitaire, je ne suis donc pas certain que nous soyons perdants, au contraire !

Troisième bénéfice lié à ces objectifs : à étudier - pardon de ce raccourci de l'histoire - les conflits auxquels nous avons été confrontés depuis la Seconde Guerre mondiale, on constate que le pétrole, le gaz et le charbon ne sont jamais loin. Par ailleurs, en gagnant en autonomie énergétique, nous gagnons en autonomie diplomatique, comme l'a montré, par la négative, le dossier ukrainien. Gagner en autonomie énergétique, comme certains pays, notamment émergents, en ont fait le pari, peut changer la face du monde ! C'est mon sentiment, et même ma conviction.

Après ces propos introductifs, je veux rappeler que nous avons déjà pris, avant même l'examen de ce projet de loi, un certain nombre de dispositions. En particulier, nous mettrons fin à la production d'électricité à base de charbon d'ici à 2022, tout en proposant des contrats de transition, c'est-à-dire des solutions de reconversion, aux territoires et aux salariés concernés, sachant que les entreprises du secteur ne réalisent pas la totalité de leur activité sur le territoire national. Autrement dit, il y aura certes un impact, mais nous avons le temps de nous y préparer, et nous expérimenterons bientôt ces contrats de transition dans quelques territoires.

Dans le même esprit, j'ai annoncé, en juillet dernier, une série de mesures cohérentes avec l'esprit et l'intitulé de mon ministère : la transition doit être écologique mais aussi, autant que faire se peut, solidaire. Nous ciblerons donc les plus modestes. Vous aurez dans quelques semaines, lors de la discussion du projet de loi de finances, l'occasion d'en débattre : j'ai inscrit dans le « paquet de solidarité climatique » un certain nombre de dispositifs, notamment la prime à la reconversion pour des véhicules moins polluants.

Il s'agit d'éviter de mettre dans l'impasse les automobilistes qui ont été incités pendant des années, via un avantage fiscal, à acheter des véhicules diesel, et se sont retrouvés dans le même temps expulsés à la périphérie des villes, loin des transports en commun, par l'explosion des prix de l'immobilier. Il est donc important de donner la possibilité aux ménages modestes de bénéficier de ce genre de dispositif pour changer de véhicule.

Nous ferons la même chose pour les chaudières et pour la rénovation des bâtiments : ces dispositifs font partie du paquet de solidarité climatique.

Tout ceci s'inscrit dans un souci de cohérence avec la loi de transition énergétique, présentée par le gouvernement précédent et votée par le Parlement en 2015, qui prévoit de porter la part des énergies renouvelables à 32 % de la consommation en 2030 et de réduire de 30 % notre consommation d'énergies fossiles à la même date. Le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui vient compléter ce dispositif : encore une fois, toutes ces mesures font partie d'un tout.

Dans le même esprit toujours, nous avons annoncé la fin de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre d'ici 2040. Pour la petite histoire, lorsque j'ai annoncé cette disposition, je recevais le lendemain, par un hasard du calendrier, les industriels automobiles français. Pour tout vous dire, je n'étais pas très à l'aise. À ma grande surprise, ils se sont contentés de me dire : « Ne changez pas les règles en cours de route, et aidez-nous. ». Chiche ! Depuis que nous avons pris cette disposition, la Grande-Bretagne a surenchéri, un constructeur scandinave a avancé l'objectif à 2019, l'Inde a emboîté le pas, et un grand nombre de maires des grandes métropoles réunies par Anne Hidalgo dans le C40 ont pris la même disposition, en avançant la date à 2030.

Tout ceci pour vous dire que cette loi n'a de sens que si elle entraîne les autres. N'attendons pas que d'autres s'y mettent ! Sinon nous perdrons la main. De toute façon, la transition énergétique est commencée. Nos amis chinois, eux, n'ont pas d'état d'âme : ils ont déjà dépassé tous les objectifs qu'ils s'étaient fixés, notamment en matière de développement des énergies renouvelables, trois ou quatre années avant la date fixée.

Avec ce projet de loi, nous vous proposons donc simplement d'aligner enfin notre droit sur nos objectifs de lutte contre le changement climatique. Des avancées avaient déjà eu lieu : je pense notamment à la loi Jacob, qui interdisait la fracturation hydraulique. Mais nous ne disposions pas d'un droit permettant de refuser des permis, alors même que nous avons adopté l'accord de Paris. De ce non-choix résultait une situation intenable ; cette loi a le grand mérite d'en finir avec ce flou juridique, de clarifier la situation et d'apaiser un certain nombre d'inquiétudes. Vous parliez tout à l'heure des hydrocarbures non conventionnels, madame la présidente. Au moins, là, les choses sont claires ! Nous avons, sur ce sujet, construit une double porte étanche. Dans la situation que j'ai trouvée en prenant mes fonctions, il m'était parfois impossible de refuser un permis, à moins de contentieux, d'astreintes et de très lourdes amendes pour l'État.

On ne peut pas promettre tout et son contraire : prétendre qu'il est possible de continuer à dépendre des énergies fossiles, délivrer des permis, d'un côté, et, de l'autre, aller faire le beau dans les instances internationales en donnant des leçons à tout le monde. C'est, pour notre pays, une question de dignité et de cohérence. La France joue un rôle important : les deux présidents précédents, MM. Sarkozy et Hollande, ont chacun exercé un leadership en la matière. Le président Macron a repris le flambeau, mais il s'agit désormais d'entrer dans la mise en oeuvre. Plus tôt et plus clairement nous le ferons, plus facile ce sera.

Je défendais un texte pour la première fois devant l'Assemblée nationale, et il m'a semblé que le travail s'y était effectué de manière très constructive. Je souhaite que les choses se passent de cette façon.

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