Un seul texte sera issu des travaux de la commission ; par voie d'amendements, nous intégrerons au texte de Jean-Claude Carle des éléments du texte de Loïc Hervé.
En matière d'accueil, d'habitat et de stationnement des gens du voyage, notre droit se caractérise depuis bientôt trente ans par la recherche d'un équilibre entre les droits et les devoirs de chacun. Les gens du voyage, dont le mode de vie itinérant est respectable, se sont vu reconnaître de longue date le droit d'être accueillis sur le territoire des communes. La loi Besson du 5 juillet 2000 fait obligation aux communes ou à leurs groupements de mettre à leur disposition des aires d'accueil et des terrains aménagés, dans le cadre d'un schéma départemental. En contrepartie, les maires, les présidents d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et les préfets ont reçu de nouveaux pouvoirs pour réglementer le stationnement des résidences mobiles et faire évacuer les campements illicites. La procédure civile spéciale prévue par la loi de 2000 n'ayant pas donné satisfaction, une procédure administrative d'évacuation forcée a été instituée en 2007. En matière pénale, un nouveau délit d'installation illicite en réunion sur le terrain d'autrui en vue d'y établir une habitation, même temporaire, a été créé en 2003.
Toutefois, l'équilibre demeure précaire. Les aires et terrains d'accueil destinés aux gens du voyage ne sont pas en nombre suffisant, en raison notamment du désengagement financier de l'État ; certains ont pourtant un taux de fréquentation faible. Et les stationnements illicites perdurent, ils auraient même tendance à se multiplier ; or les élus locaux manquent de moyens pour faire cesser ces troubles.
Les deux propositions de loi s'attachent à apporter des réponses concrètes à ces difficultés.
La loi du 5 juillet 2000 prévoit l'adoption dans chaque département d'un schéma déterminant les secteurs géographiques et les communes où doivent être réalisés des aires permanentes d'accueil, des terrains familiaux locatifs et des aires de grand passage. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma, ce qui n'implique pas qu'elles doivent toutes disposer d'aires ou de terrains adaptés, car elles peuvent aussi contribuer financièrement à leur réalisation sur le territoire d'autres communes. Si une commune ou un EPCI n'a pas respecté ses obligations dans le délai légal, le représentant de l'État dans le département peut se substituer à eux pour faire procéder à leurs frais à l'exécution des mesures nécessaires.
Plusieurs années après l'adoption de la loi du 5 juillet 2000, les objectifs fixés par les schémas départementaux n'avaient pas été remplis. La loi Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017 a donc prévu une procédure plus contraignante encore : le préfet peut désormais ordonner à une commune ou un EPCI défaillant de consigner entre les mains d'un comptable public les sommes nécessaires à la mise en oeuvre du schéma départemental.
L'article 1er de la proposition de loi de Jean-Claude Carle vise à clarifier la répartition des obligations et des compétences entre les communes et leurs groupements dans la mise en oeuvre du schéma. En effet, depuis la loi NOTRe, tous les EPCI à fiscalité propre sont devenus compétents en matière d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires et terrains destinés aux gens du voyage. Pourtant, les obligations du schéma continuent d'incomber formellement aux communes : la loi de 2000 est demeurée sur ce point inchangée. Par ailleurs, la réalisation des aires et terrains prévus par le schéma peut nécessiter l'intervention de compétences communales, d'urbanisme notamment. Il est également proposé d'interdire l'inscription au schéma départemental des communautés de communes ne comprenant aucune commune de moins de 5 000 habitants. Par amendement, je vous proposerai quelques modifications rédactionnelles et de nouvelles garanties pour les communes et EPCI. Françoise Gatel a déposé un amendement pour interdire au schéma d'imposer de nouvelles aires ou de nouveaux terrains d'accueil dans une commune si les aires et terrains avoisinants sont sous-occupés.
L'article 2 de la proposition de loi de Jean-Claude Carle tend à supprimer la procédure de consignation de fonds instituée par la loi Égalité et citoyenneté, inutilement coercitive ; le Sénat n'avait du reste pas voté cette disposition.
Si les grands rassemblements paraissent convenablement organisés, il n'en va pas toujours de même des grands passages qui, s'ils sont mal préparés, provoquent inévitablement des troubles : conflits d'usage sur les aires d'accueil, occupations illicites, atteintes parfois graves à l'ordre public. Les petites communes ne sont nullement équipées pour faire face à un tel afflux de population. L'article 3 tend par conséquent à ériger en obligation légale l'information préalable des autorités publiques avant tout stationnement de plus de cent cinquante résidences mobiles.
II est également proposé de transférer au représentant de l'État le pouvoir de police générale du maire à l'occasion des grands passages et grands rassemblements. Je suis très réservée sur ce point : je crains que ce transfert ne laisse les maires encore plus démunis en cas d'inaction du préfet. Restons-en au droit en vigueur, laissant ouverte la possibilité pour le préfet de se substituer au maire qui n'aurait pas les moyens matériels d'assurer le maintien de l'ordre public.
La loi du 5 juillet 2000 attribue au maire le pouvoir d'interdire le stationnement des résidences mobiles sur le territoire de la commune en dehors des aires et terrains aménagés. Ce pouvoir de police spéciale est réservé aux communes qui ont rempli les obligations du schéma ou qui, sans y être tenues, se sont dotées d'une aire d'accueil ou participent au financement d'une aire ou d'un terrain sur le territoire d'une autre commune. Il faut encore que l'EPCI auquel elles appartiennent remplisse l'intégralité de ses obligations.
Cet état du droit suscite l'incompréhension des élus. Aussi l'article 4 prévoit-il d'inscrire dans la loi que les maires des « communes qui remplissent, à leur échelle, les obligations qui leur incombent » ont la faculté d'interdire le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d'accueil.
Lorsqu'une commune est membre d'un EPCI compétent en matière d'aménagement, d'entretien et de gestion des aires et terrains - ce qui est aujourd'hui le cas de la quasi-totalité des communes - ce pouvoir de police est transféré au président de l'EPCI, sauf opposition du maire. Je vous proposerai également de préciser les conditions d'attribution de ce pouvoir de police spéciale au maire ou au président de l'EPCI, en tenant compte de la nouvelle répartition des compétences entre les communes et leurs groupements.
Malgré l'existence de différentes voies de droit, les élus locaux et les propriétaires des terrains peinent à obtenir l'évacuation rapide des campements illicites. Cela tient notamment à l'insuffisance des moyens humains et matériels dont disposent les préfectures pour procéder à leur évacuation forcée, d'office ou en exécution d'une décision de justice.
L'article 5 de la proposition de loi de Jean-Claude Carle prévoit deux nouveaux cas dans lesquels la procédure administrative d'évacuation d'office pourrait être engagée sans qu'il faille démontrer un risque de trouble à l'ordre public : lorsque le préfet propose un nombre d'emplacements suffisant dans les aires et terrains d'accueil situés à moins de cinquante kilomètres ; en cas de stationnement sur un terrain affecté à une activité économique qui s'en trouve entravée.
Afin d'accélérer la procédure, il est également proposé, d'une part de limiter le délai de recours contre la mise en demeure du préfet à quarante-huit heures, d'autre part de limiter à six heures le délai d'exécution de la mise en demeure, en cas de nouveau stationnement illicite sur le territoire de la commune ou de l'EPCI au cours de la même année.
Compte tenu des délais d'évacuation effective, et afin d'éviter que des campements illicites se reconstituent aussitôt un peu plus loin, l'article 7 de la proposition de loi de Loïc Hervé porte de sept à quinze jours la durée d'applicabilité de la mise en demeure sur le territoire de la même commune ou du même EPCI. Je vous proposerai de reprendre cette disposition.
L'article 5 de la proposition de loi de Jean-Claude Carle comprend aussi diverses précisions rédactionnelles visant à assurer l'effectivité des procédures administratives et juridictionnelles, notamment à mieux protéger les terrains agricoles.
S'agissant de la procédure administrative d'évacuation d'office, la limitation à quarante-huit heures du délai de recours contre la mise en demeure du préfet paraît raisonnable. En revanche, limiter à six heures le délai d'exécution de la mise en demeure en cas de nouveau stationnement illicite au cours de la même année paraît trop bref. Outre qu'une mise en demeure doit, par nature, être assortie d'un délai d'exécution suffisant, il faut veiller à ce que le délai de recours ne soit pas réduit, de ce fait, au point de méconnaître le droit à un recours effectif. Je vous proposerai de fixer à vingt-quatre heures le délai d'exécution dans cette circonstance.
Permettre l'évacuation d'office des campements en l'absence de trouble à l'ordre publique pourrait se heurter à un obstacle constitutionnel. Le Conseil constitutionnel considère que « les mesures de police administrative susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d'aller et venir (...) doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif ». Je vous proposerai une nouvelle rédaction qui met en balance la liberté d'aller et venir des gens du voyage avec d'autres principes d'égale valeur constitutionnelle : le droit de propriété, la liberté d'aller et venir des autres habitants, la liberté du commerce et de l'industrie, et la continuité du service public.
Il convient également de faciliter, en cas de stationnement illicite de résidences mobiles sur le territoire de communes ou d'EPCI qui respectent leurs obligations d'accueil ou qui ne sont pas assujettis à de telles obligations, le recours aux procédures juridictionnelles de droit commun : référé administratif, référé civil et requête civile. Cette dernière procédure, non contradictoire, est particulièrement adaptée lorsqu'il est impossible d'obtenir l'identité des occupants sans titre.
Si les procédures administratives ou civiles demeurent les moyens les plus efficaces, il existe également plusieurs dispositions pénales pour mettre fin à une occupation illicite d'un terrain. En application de l'article R. 610-5 du code pénal, la violation des interdictions et les manquements aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont réprimés d'une peine contraventionnelle de la première classe. L'introduction ou le maintien frauduleux dans un domicile appartenant à autrui peut être sanctionné d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende sur le fondement de l'article 226-4 du code pénal. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a créé, à l'article 322-4-1 du code pénal, un délit spécifique d'occupation en réunion sans titre d'un terrain, puni de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende.
Enfin, le stationnement de résidences mobiles sur des terrains aménagés ou non est susceptible d'engendrer des dégradations. Lorsque la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est volontaire, la peine peut atteindre, sur le fondement de l'article 322-1 du code pénal, deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est destiné à l'utilité ou à la décoration publique et appartient à une personne publique ou chargée d'une mission de service public, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
La répression pénale ne semble pas l'instrument le plus efficace pour mettre fin au trouble à l'ordre public causé par une occupation illicite. La procédure administrative d'évacuation forcée, la procédure civile d'expulsion peuvent s'enclencher dès l'installation ; la réponse pénale nécessite plusieurs diligences d'enquête. De plus, eu égard à la faible gravité du délit, qui n'est pas une atteinte aux personnes, la poursuite de ces infractions n'est pas une priorité pour les procureurs de la République. De même, si la saisie des véhicules - à l'exception de ceux destinés à l'habitation - est possible, elle entraîne d'importants frais de justice, tant pour déplacer les véhicules que pour leur gardiennage.
L'article 6 de la proposition de loi de Jean-Claude Carle et l'article 4 de la proposition de loi de M. Hervé visent à modifier l'article 322-4-1 du code pénal relatif au délit d'occupation en réunion sans titre d'un terrain, afin de permettre le transfert des véhicules destinés à l'habitation sur toute aire ou tout terrain aménagé à cet effet situé sur le territoire du département. La proposition de loi de Jean-Claude Carle double par ailleurs les peines encourues pour ce délit, les portant à un an d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende, tandis que la proposition de loi de Loïc Hervé vise à contraventionnaliser cette infraction, qui serait désormais punie d'une amende de quatrième classe.
L'article 2 de cette dernière proposition de loi tend en outre à créer un délit d'occupation habituelle sans titre d'un terrain : au moins quatre contraventions sur une période inférieure ou égale à 24 mois caractériseraient l'habitude. L'article 3 du même texte tend à renforcer les sanctions pénales en cas de destructions, dégradations ou détériorations du bien d'autrui. Son article 5 vise à permettre l'application de la peine complémentaire d'interdiction de séjour en cas d'infraction d'occupation sans titre d'un terrain. Ces dispositions sont reprises dans des amendements de Loïc Hervé au texte de Jean-Claude Carle. Afin de permettre une répression plus efficace, je vous proposerai quant à moi un amendement permettant l'application de la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle au délit d'occupation illicite en réunion d'un terrain appartenant à autrui.
Enfin, l'article 6 de la proposition de loi de Loïc Hervé prévoit qu'un représentant du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) siège obligatoirement à la commission départementale consultative associée à l'élaboration et à la mise en oeuvre du schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage, afin de « mieux prendre en compte les besoins éducatifs des enfants et de définir des actions éducatives et sociales destinées aux gens du voyage ». Cette disposition est en grande partie satisfaite par le droit et la pratique en vigueur et elle relève du domaine réglementaire. Le décret du 25 juin 2001 précise la composition de la commission et prévoit que le préfet y nomme quatre représentants des services de l'État ; selon nos informations, le Dasen y est désigné à ce titre dans la plupart des départements.