Intervention de Nathalie Loiseau

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 octobre 2017 à 9h00
Institutions européennes — Audition de Mme Nathalie Loiseau ministre auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes sur le conseil européen des 19 et 20 octobre

Nathalie Loiseau, ministre :

Non, mais le fait de pouvoir étendre cette protection à des citoyens qui peuvent se sentir lésés dans l'exercice de leurs droits fondamentaux est un des acquis de la construction européenne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

En revanche, l'Union européenne a été conçue comme un rassemblement d'États-nations, c'est ainsi qu'elle est acceptée et que ses peuples se la sont appropriée. Nous sommes face à des défis qui, pour beaucoup, sont de dimension européenne. Nous avons donc besoin de plus d'unité que de plus de divisions, et certainement pas de divisions décidées d'une manière qui ne respecte pas l'État de droit ni l'ordre constitutionnel.

Nous souhaitons tous que l'Espagne puisse sortir de cette crise, mais je ne suis pas convaincue qu'une interférence étrangère contribuera au dialogue, à l'expression de la démocratie. Mariano Rajoy a appelé à des élections en Catalogne : il n'est pas interdit au président de la Catalogne de faire de même. C'est peut-être ainsi, je le dis en tant qu'observatrice, que l'on pourra remettre les idées en place et savoir qui veut quoi dans cette partie de l'Espagne.

Sur les accords commerciaux, je partage votre point de vue, monsieur Sutour. Il ne s'agit pas de devenir protectionniste et de considérer que les accords commerciaux doivent être combattus coûte que coûte parce qu'ils nous entraîneraient dans une mondialisation débridée. Au contraire, c'est à une régulation de la mondialisation que nous procédons, ce qui exige d'être attentif. Vous avez parlé du Mercosur : le défaut de ce mandat de négociation est d'être très ancien. Entre-temps, les rapports de force, la situation économique des pays concernés ont changé et c'est sur ce point que nous mettons l'accent. Nous souhaitons que s'engage un vrai dialogue et que la Commission n'interprète pas sa compétence exclusive comme autorisant une certaine forme d'opacité. Nous devons aujourd'hui être plus ambitieux dans les accords commerciaux que nous signons, puisque nous sommes très « demandés » : l'ensemble du monde frappe à la porte de l'Europe parce qu'ailleurs il est beaucoup plus difficile de négocier des accords commerciaux. Si nous sommes l'espace le plus attractif, il faut aussi que nous soyons plus exigeants, notamment quant au respect de la mise en oeuvre de l'accord de Paris - il ne s'agit pas seulement de faire plaisir à tel ou tel -, le gouvernement actuel, comme le précédent, défend avec force cette ambition.

Madame Jourda, vous exprimez votre satisfaction de voir enfin des progrès dans l'Europe de la défense. Nous partageons ce sentiment. Vous avez fait part de vos craintes sur l'environnement international, vous avez parlé d'une administration américaine imprévisible, d'une Russie peut-être un peu trop prévisible, du départ du Royaume-Uni : c'est justement ce qui fait qu'aujourd'hui nos partenaires parlent d'« autonomie stratégique de l'Europe », notion qui devient une évidence alors qu'elle était quasiment taboue. Nous enregistrons des progrès, mais il faut rester extrêmement vigilant, exercer une forme de pression pour que des actes suivent les discours. Le départ du Royaume-Uni, de ce point de vue - mais pas uniquement -, n'est pas une bonne nouvelle. Il faudra évidemment trouver des accords avec le Royaume-Uni dans l'avenir sur la sécurité et la défense - il s'y prépare aussi et nous en reparlerons quand les conditions de son retrait auront été réglées.

Le fait que la coopération structurée permanente soit inclusive ne doit pas vous inquiéter dans la mesure où l'on réunit des pays qui sont capables et volontaires sur des projets de mutualisation d'efforts. Pour l'Allemagne, vous l'avez dit, c'est une révolution culturelle absolue. Réjouissons-nous en, parce que nous n'aurions jamais imaginé en parler il y a seulement quelques années.

Bien sûr, un certain nombre de pays de l'Est sont préoccupés aujourd'hui par le caractère un peu trop prévisible du positionnement russe. Tant mieux si leur réflexe est de ne pas se placer tout de suite sous le parapluie américain, de ne pas penser à l'OTAN exclusivement ; tant mieux si le projet européen suscite aujourd'hui un début de confiance.

Sur les migrations, on ne peut évidemment pas se satisfaire de la position de pays comme la Hongrie ou la Pologne qui refusent les relocalisations. Nous réaffirmons la responsabilité des pays de première entrée et la solidarité : quand on considère qu'une demande d'asile doit être traitée en priorité dans le pays d'arrivée, il ne faut pas laisser l'Italie ou la Grèce seules. Nous avons augmenté les moyens en développant la présence de Frontex. S'agissant des relations avec la Libye, l'Italie a pris des initiatives bilatérales, ce que nous pouvons comprendre par rapport aux événements du premier semestre. Nous sommes partie prenante aux efforts de restauration d'un semblant d'État en Libye, avec l'envoyé spécial des Nations unies. On ne peut pas faire de comparaison sur ce point avec le dialogue que nous avons avec la Turquie sur les questions migratoires, car il s'agit d'un État qui prend des engagements et les tient. Notre intérêt bien compris, c'est que l'Europe intervienne pour stabiliser la Libye, pour soutenir le Haut Commissariat aux réfugiés et l'Organisation internationale pour les migrations, et veiller à la dignité du sort réservé aux migrants et aux demandeurs d'asile dans un pays où les conditions sont très dégradées.

Monsieur Rapin, personne n'a l'intention d'affaiblir l'accord passé entre l'Union européenne et la Turquie sur la gestion des flux migratoires. Cet accord demeure valide, il est mis en oeuvre sur le terrain par des porteurs de projet, pas forcément par le gouvernement turc. Nous avons des inquiétudes sur l'évolution politique turque, qui éloigne ce pays du coeur des valeurs européennes. Aujourd'hui, les négociations dans le cadre du processus d'adhésion sont au point mort : c'est un constat. Nous allons évidemment être vigilants sur l'utilisation des fonds de l'instrument de préadhésion, par exemple, en faisant en sorte qu'ils soient davantage orientés vers la société civile turque. Nous n'allons pas nous précipiter vers la modernisation de l'union douanière ou vers la libéralisation des visas dans le contexte actuel qui ne s'y prête pas, mais nous allons garder des relations denses, régulières, avec un partenaire comme la Turquie, parce que nous avons réciproquement besoin l'un de l'autre sur la question migratoire, sur la question de la lutte contre le terrorisme, sur la question de la résolution du conflit en Syrie. Il est hors de question de tourner le dos à la Turquie.

Monsieur Leconte, vous avez évoqué la nécessité de protéger les entreprises qui travaillent en Iran, mais aussi les banques. Nous y sommes très attentifs, dans un dialogue très étroit avec les États-Unis pour éviter que des mesures extraterritoriales viennent contrarier les ambitions européennes en Iran. Nous avons demandé à la Commission européenne de travailler sur cette question, tout en réfléchissant de notre côté à mieux nous protéger contre d'éventuelles décisions américaines. Nous n'avons pas à subir le contrecoup de mesures dont nous ne partageons pas la philosophie.

Comment conjuguer les ambitions sur l'avenir de l'Europe et un prochain budget européen qui sera évidemment très compliqué à négocier pour deux raisons : le départ d'un contributeur net, le Royaume-Uni, dont la contribution est évaluée à 10 milliards d'euros, et le surgissement de nouvelles priorités de l'Union européenne (gestion des flux migratoires, lutte contre le terrorisme, Europe de la défense, encouragement à l'innovation numérique) qui viennent s'ajouter à des politiques plus traditionnelles. Il est illusoire de penser pouvoir faire plus avec moins : on ne créera que des mécontentements et des frustrations. L'objet du travail sur la refondation de l'Europe est aussi de remettre à plat chaque politique européenne pour évaluer ce qui fonctionne, ce que l'on fait par habitude et ce que l'on ne fait pas alors qu'il faudrait le faire. Il faut commencer par définir les politiques et les ambitions que l'on a pour l'Europe et s'interroger ensuite sur les moyens (contributions des États membres, ressources propres...). Le discours de la Sorbonne a proposé des pistes, qu'il s'agisse de la taxation des grands acteurs du numérique, qu'il s'agisse de taxes environnementales rétablissant une concurrence loyale pour les entreprises européennes qui respectent certaines normes, qu'il s'agisse de l'affectation au budget de la zone euro d'une partie de l'impôt sur les sociétés que nous travaillons à harmoniser. Je ne prétends pas avoir la solution, mais le problème est posé : nous devons nous demander où l'on trouve une valeur ajoutée européenne certaine, ce que nous voulons préserver ou développer et, ensuite, comment nous finançons.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion