Le groupe de l'Union centriste a désigné Anne-Catherine Loisier, que nous sommes heureux d'accueillir parmi nous, pour siéger au sein de la commission des affaires européennes, en remplacement de Catherine Fournier, démissionnaire.
Je vous propose de désigner René Danesi et Laurence Harribey, en remplacement de Jacques Bigot et André Reichardt, empêchés, pour procéder à un examen complémentaire de subsidiarité en vue, le cas échéant, de l'adoption d'un avis motivé, sur le renforcement de la capacité de l'Union européenne en termes de cybersécurité.
Il en est ainsi décidé.
Nous sommes heureux d'accueillir Mme Nathalie Loiseau, ministre en charge des Affaires européennes, pour la première fois depuis le renouvellement de notre commission, le 5 octobre dernier. Cette réunion post-Conseil européen est un rendez-vous auquel nous sommes très attachés. Elle est l'occasion d'un échange sur les principaux résultats de la réunion des chefs d'État et de gouvernement et nous permet, au-delà, d'aborder les différents sujets qui font l'actualité européenne, très riche ces derniers temps et souvent même préoccupante.
Le Brexit reste dans tous les esprits. Nous reconstituerons dans les prochains jours notre groupe de suivi avec la commission des affaires étrangères. Nous appuyons pleinement la position de l'Union européenne : pas de passage à la seconde phase sur les relations futures avant le règlement des trois sujets-clés que constituent, en premier lieu, la situation des citoyens européens installés au Royaume-Uni - les premières réponses ne sont guère satisfaisantes, mais je ne désespère pas que nos amis anglais finissent par considérer la pertinence des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne -, en deuxième lieu, le règlement financier - s'il est sans doute prématuré de se focaliser sur un chiffre, peut-être pourrait-on, du moins connaître les grandes lignes présidant à son calcul -, en troisième lieu la question de l'Irlande, qui reste très problématique, la reconstitution possible d'une frontière physique étant de nature à poser un grave problème à nos amis irlandais. On a le sentiment d'un blocage, faute d'avancées de la part de nos interlocuteurs britanniques. Quelles peuvent être les perspectives d'ici au Conseil européen de décembre ? Un passage à la seconde phase peut-il être raisonnablement envisagé à cette date ?
Le président Donald Tusk a par ailleurs présenté un agenda des principaux sujets qu'il a l'intention d'inscrire à l'ordre du jour d'ici à juin 2019 en vue d'un renforcement de l'Union européenne. Quelle appréciation peut-on porter ?
Nous entendrons avec intérêt vos explications sur les échanges relatifs aux négociations commerciales. Au Sénat, nous plaidons pour une Europe moins naïve, qui sache défendre ses intérêts tout en restant ouverte sur le monde. La Commission européenne semble néanmoins très allante pour poursuivre la conclusion de nouveaux accords commerciaux. Les propos du président Juncker sur les négociations avec le Mercosur qui seraient conclues avant la fin de l'année ont, en particulier, retenu notre attention. Notre collègue Simon Sutour nous avait alertés sur les difficultés que cet accord pouvait soulever pour nos produits agricoles sensibles. Notre commission créera également un groupe de travail sur les négociations commerciales avec les commissions des affaires économiques et des affaires étrangères. Nous le soulignons depuis des années : plus on prendra le temps en amont de définir un cahier des charges, plus on en gagnera en aval, en évitant des situations ubuesques telles que celle où a été entraînée la Wallonie, il y a quelques mois.
Le Conseil européen a également fait un point sur les questions migratoires en confirmant son approche globale. Si l'on en croit les conclusions adoptées, les flux migratoires diminueraient de manière sensible et le nombre de décès en mer aurait baissé. Les partenariats avec les pays d'origine, de transit et de départ, constituent un enjeu majeur. Quel bilan peut-on en faire ? Quelles sont les perspectives ? Les conclusions évoquent aussi une « nette intensification des retours ». Quels moyens pourraient être mis en oeuvre à l'échelle européenne, notamment à travers Frontex ? Que peut-on réellement attendre d'une coopération - évoquée dans les conclusions - avec les autorités libyennes et tous les voisins de la Libye ? Il faut, par ailleurs, s'attaquer aux causes profondes des migrations en offrant des perspectives économiques et sociales dans les pays de transit et d'origine. Quelles actions seront conduites par l'Union à cette fin ? Nous avons sur ce sujet mis en place un groupe de travail qu'anime André Reichardt.
L'Europe numérique était aussi à l'ordre du jour de ce Conseil européen, qui a notamment insisté sur l'enjeu de disposer d'une infrastructure et d'un réseau de communication de premier ordre. Comme vous le savez, nos territoires sont particulièrement sensibles à cette question, essentielle pour leur développement. Quelles sont les perspectives ? J'insiste également sur la question de la cybersécurité, défi majeur pour la protection de nos concitoyens et de nos entreprises. Notre commission y est très attentive, comme elle le sera à une approche européenne de l'intelligence artificielle. Sur cette dernière question, nous avons constitué un groupe de travail, qui sera animé par André Gattolin.
Le Conseil européen a par ailleurs salué les progrès notables réalisés par les États membres en vue d'une coopération structurée permanente en matière de défense, s'accompagnant d'une liste commune d'engagements. Il encourage les États membres à mettre au point des mécanismes de financement souples et solides dans le cadre du Fonds européen de défense. Nous entendrons avec intérêt vos éclairages sur ces questions essentielles pour la sécurité européenne. Gisèle Jourda y a beaucoup travaillé au sein de notre commission.
Enfin, les relations avec la Turquie ont été débattues. Les conclusions restent cependant assez elliptiques sur le sujet. Nous sommes préoccupés des mesures prises dans ce pays, qui l'éloignent des valeurs qui fondent l'Union européenne. Jean-Yves Leconte et André Reichardt nous avaient présenté, début juillet, un rapport circonstancié à l'issue d'un déplacement sur place. Que peut-on retirer de ce débat au Conseil européen ? Nous recevrons bientôt le nouvel ambassadeur de Turquie à Paris qui répondra, je l'espère, aux interrogations de certains de nos collègues, contrariés de n'avoir pu se rendre, lors de leur déplacement, dans l'est.
Vous nous direz également ce qu'il faut penser du compromis trouvé au Conseil, lundi dernier, sur le dossier extrêmement sensible des travailleurs détachés. Je dois dire que nous sommes assez satisfaits des orientations prises, qui rejoignent, sur deux points importants, celles que préconisait le Sénat. Nos collègues Fabienne Keller et Didier Marie sont nos rapporteurs sur ce sujet.
Je vous remercie de votre accueil. Le Conseil européen des 19 et 20 octobre derniers a été assez chargé. J'attache une grande importance à ce contact régulier avec les membres de votre commission, sur l'engagement desquels je sais pouvoir compter pour nous aider dans notre entreprise de refondation de l'Europe, ainsi qu'aux travaux de votre groupe de suivi, qui nous seront également précieux.
Hors le Brexit, trois sujets principaux ont été abordés : les migrations, le numérique et la défense.
Sur les migrations et la défense, il s'agissait d'assurer un suivi après le Conseil de juin, et de se fixer un objectif précis de calendrier. La Turquie, la Corée du Nord et la politique commerciale de l'Union ont fait l'objet de discussions, parfois sans conclusions, ce qui permet des échanges plus libres.
Le détachement des travailleurs n'était pas à l'ordre du jour, mais il est dans tous les esprits. L'objectif est d'intensifier les efforts que la France a entrepris depuis le mois de juin pour convaincre nos partenaires de la nécessité d'une révision ambitieuse de la directive. En marge des travaux, nous avons pu dialoguer avec nos partenaires - je pense notamment à l'échange entre le Président de la République et Mariano Rajoy - pour rechercher une voie de sortie vers un compromis de qualité, qui a abouti lors du Conseil chargé de l'emploi, de la politique sociale, de la santé et des consommateurs du 23 octobre. Sans cet accord, nous nous serions heurtés à une minorité de blocage. Il fallait rallier l'Espagne et le Portugal, et les dissocier du groupe de Viegrad qui refusait, en juin, toute révision. Nous y sommes parvenus en traitant de manière particulière le secteur du transport routier. Permettez-moi de m'y étendre un moment, puisque le sujet a fait débat. Alors que certains pays s'efforçaient de passer entre les gouttes, il est clairement réaffirmé que les transports routiers font partie du statut de travailleur détaché. Les spécificités du secteur, qui font, par exemple, que le détachement peut se limiter à quelques jours, et le caractère très technique d'un certain nombre de sujets, contenus dans le futur paquet « mobilité », conduisent à reporter les améliorations ambitieuses en faveur desquelles nous militons au paquet « mobilité », dans lequel tous ces aspects seront traités.
L'accord met en pratique le principe : « à travail égal, salaire égal » - et nous y incluons non seulement le salaire de base mais les primes -, il réduit la durée du travail détaché à douze mois - quand la directive de 1996 ne fixait aucune durée maximale -, avec possibilité d'une extension à 18 mois sur demande expresse de l'entreprise et avec l'accord du pays d'accueil. Il s'efforce également de mieux lutter contre les fraudes et les abus, sachant qu'une grande partie du problème tient au fait que ce régime des travailleurs détachés n'est souvent pas même respecté. La directive et les orientations générales partielles du règlement portant sur la sécurité sociale permettent de mettre en place des mécanismes plus efficaces de lutte contre les sociétés boîtes aux lettres, par exemple. Au-delà de ces textes européens, nous avons négocié, en parallèle, des protocoles bilatéraux avec un certain nombre d'États membres, parmi lesquels la Pologne, pour accentuer l'efficacité des contrôles.
Ce que l'on constate, c'est que seuls quatre pays - Pologne, Hongrie, Lettonie et Lituanie - ont voté contre cet accord, tandis que d'autre pays de l'Est - la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque et la Slovaquie - ont voté en faveur de la révision de la directive, ce qui témoigne d'un changement de mentalité et d'une appropriation de l'idée d'une Europe qui protège, idée que nous portons résolument depuis l'élection d'Emmanuel Macron.
J'en viens à la question des migrations. Après le Sommet de Paris, le 28 août, les travaux du Conseil européen ont d'abord permis, comme nous le souhaitions, de mobiliser l'ensemble de nos partenaires pour apporter un soutien accru aux pays d'origine et de transit, singulièrement au Sahel. Les conclusions appellent à soutenir l'action de nos partenaires du G5 Sahel comme les efforts du Haut Commissariat pour les réfugiés et l'Organisation internationale pour les migrations. Elles rappellent aussi l'importance des moyens financiers mis en place par l'Union européenne, le Fonds fiduciaire d'urgence qui a déjà validé 117 projets pour 1,9 milliard d'euros comme le Fonds européen pour le développement durable, qui permet d'agir sur les causes des migrations. Le Conseil européen a enfin appelé à une coopération plus forte avec les pays d'origine et de transit pour assurer un nombre significativement plus élevé de retours. Comme vous le savez, sur cette question; il faut à la fois marquer une volonté forte tout en prenant pleinement en compte le caractère politiquement sensible de ces questions - qui justifie que nous ne rendions pas public le type de dialogues que nous menons.
Sur le plan interne, la discussion des chefs d'État et de gouvernement a aussi porté sur la réforme du système commun de l'asile. Les négociations sont difficiles mais chacun voit bien qu'il faut aboutir et définir un point d'équilibre entre responsabilité des pays de première entrée et nécessaire solidarité en cas d'arrivées massives. Nous avons obtenu, avec nos partenaires, que le Conseil européen donne un signal politique de sa détermination en demandant au Conseil des ministres d'aboutir à un accord au premier semestre 2018. Cette question sera à nouveau traitée au Conseil européen, en décembre, pour maintenir la pression politique nécessaire.
Sur la question du numérique, la présidence estonienne avait organisé un sommet à Tallin le 29 septembre. Ce sujet, qui est au coeur de ses priorités, pose la question de fond des modalités de régulation intelligente de ce secteur de façon à bénéficier de son dynamisme tout en affirmant nos principes, comme le respect du droit d'auteur et la protection des créateurs. Les discussions de Tallin ont permis de préparer les travaux et d'en définir les grandes orientations, qui doivent, maintenant se traduire dans des propositions formelles de la Commission et des négociations entre le Conseil et le Parlement. Plusieurs priorités fortes de la France ont été reprises.
Je commencerai par la question de la fiscalité des géants du numérique. Elle reste très difficile mais nous avons pu, avec au départ l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, réunir un grand nombre d'États membres autour de l'idée simple qu'on pouvait tout à la fois encourager le développement du secteur numérique, faire respecter l'égalité de toutes les entreprises devant l'impôt, et préserver les ressources fiscales des États membres. Le fait que le Conseil européen ait demandé à la Commission de présenter une proposition début 2018 est très positif.
Je mentionnerai, en outre, trois autres aspects. Tout d'abord, le mandat donné à la Commission de réfléchir aux modalités permettant de susciter et de financer l'innovation de rupture, qui donne suite à une proposition du discours de La Sorbonne ; l'invitation, ensuite, faite à la Commission, à la demande de la France et de l'Allemagne, à renforcer la transparence des plateformes - le Conseil Telecoms d'avant-hier était sur cette ligne - ; la cybersécurité, enfin, et, plus généralement, les questions liées au terrorisme sur internet. Comme vous le savez, nous voulons que les plateformes s'engagent à retirer de façon automatique et immédiate les contenus appelant à la violence et au terrorisme. Nous devons maintenir la pression et il est donc très positif que le Conseil européen ait indiqué qu'il était prêt à soutenir une action européenne. Par ailleurs, sur la cybersécurité, nous sommes satisfaits que le Conseil européen réaffirme la nécessité de renforcer les capacités européennes tout en respectant les compétences des États membres.
L'Europe de la défense, après avoir été longtemps attendue, avance. En juin dernier, le Conseil européen avait non seulement salué les propositions de la Commission en matière de Fonds européen de défense, mais aussi demandé la mise sur pied d'une coopération structurée permanente (CSP) entre États membres volontaristes. Trois mois plus tard, de grands progrès ont été accomplis : nous avons à la fois une liste d'États membres et une liste d'engagements spécifiques pour la CSP en termes de financement, de budget, de capacités d'intervention. Cette CSP ambitieuse et inclusive, puisqu'elle soulève un vif intérêt chez nos partenaires de l'Est, pourra être lancée d'ici la fin de l'année.
Le travail sur le Fonds européen de défense, capital, avance en parallèle, notamment sur le programme européen de développement de l'industrie dans le domaine de la défense : le Conseil européen a souhaité que les négociations sur ce programme s'achèvent d'ici la fin de l'année, afin que les premiers projets concrets puissent être financés en 2019.
Autre sujet de satisfaction, le Conseil européen fera le point sur l'ensemble des sujets défense, de façon approfondie, en décembre. C'est très important si nous voulons conserver la dynamique actuelle, y compris sur des sujets comme le financement des opérations européennes par le mécanisme Athena ou la revue annuelle de défense, qui doit permettre un vrai pilotage politique par les ministres des besoins de l'Union européenne.
Il est vital, sur ce sujet, de ne prendre aucune avancée pour acquise. Oui, l'Union européenne prend désormais la défense au sérieux, mais les vieux réflexes ont la vie dure, notamment la crainte, chez certains de nos partenaires, d'affaiblir l'OTAN et d'irriter les États-Unis, moins prévisibles que par le passé.
Les chefs d'État et de gouvernement ont également adopté des conclusions sur deux crises qui nous préoccupent, laissant paraître une fermeté collective que nous apprécions. De fait, les échanges sur l'Iran et la Corée du Nord ont confirmé le soutien des chefs d'État et de gouvernement à l'action de la Haute représentante.
Sur l'Iran, Londres, Berlin et Paris ont souligné la nécessité de rester unis et de n'accepter en aucun cas un abandon de l'accord nucléaire. Vous ne le verrez pas dans les conclusions, mais les dirigeants européens ont par ailleurs demandé oralement à la Commission d'étudier l'hypothèse de l'imposition, in fine, de sanctions américaines à l'encontre de l'Iran et des difficultés qui s'ensuivraient pour les entreprises européennes du fait de leur caractère extraterritorial. Il s'agit d'un sujet sur lequel la France s'est déjà mobilisée par de nombreuses démarches auprès des autorités américaines - qui ont émis des bruits plutôt positifs - et sur lequel elle restera vigilante, alors que nombre de nos entreprises montrent des signes d'inquiétude face à une législation américaine ambiguë et dont l'application est imprévisible.
Le langage des conclusions est également très ferme contre les programmes nucléaires et de missiles balistiques nord-coréens. Tout en rappelant que son objectif est le rétablissement d'un dialogue crédible et constructif, le Conseil européen a annoncé qu'il envisagerait de nouvelles sanctions additionnelles contre la Corée du Nord, si nécessaire.
Certains sujets internationaux, enfin, ont été abordés sans donner lieu à conclusions, afin de préserver une liberté dans les échanges.
S'agissant de la Turquie, il est apparu que tant en matière d'union douanière que de libéralisation des visas, la situation était, de facto, bloquée. Plusieurs États membres ont souhaité que la Commission examine le respect par la Turquie, à ce jour, des critères de Copenhague.
Le Président de la République a aussi été amené à rappeler les grandes lignes de la position française concernant la politique commerciale, et notamment la nécessité de réformer celle-ci pour aboutir à des accords commerciaux fondés sur l'équité et la réciprocité. Le Président a défendu le principe selon lequel l'ouverture de l'Union devait s'accompagner d'une réflexion stratégique préalable sur ses intérêts et les moyens d'emporter l'adhésion, en interne avant tout et auprès de nos partenaires.
Cette réforme doit ainsi permettre de trouver le juste équilibre entre ouverture commerciale et protection, dans un contexte marqué par un relatif retrait des États-Unis sur ces questions, ce qui offre une opportunité de nouer des relations stratégiques commerciales avec d'autres zones géographiques, mais où, dans le même temps, il existe un besoin de recréer la confiance sur ces questions commerciales. Les inquiétudes qui s'expriment aujourd'hui dans l'opinion publique sur l'accord commercial avec le Canada - le CETA - en sont un exemple parlant. Le principe de réciprocité est donc central dans la vision de la politique commerciale que nous portons. Il impose des exigences environnementales accrues, dont le respect devra être strictement assuré, en même temps que la pleine prise en compte de nos critères sociaux dans la négociation des accords commerciaux.
Le Président de la République a également insisté sur l'amélioration de la transparence du cadre dans lequel se déroulent les négociations commerciales, et sur l'application stricte de leur mise en oeuvre, qui suppose de lutter avec détermination contre le dumping et les pratiques déloyales. À ce titre, il convient de souligner que des progrès sont d'ores et déjà en cours, puisque le Parlement européen et le Conseil ont récemment trouvé un accord sur la nouvelle méthodologie de calculs des droits antidumping.
Le président de la Commission européenne a souligné qu'il mesurait autant que nous l'importance de la notion de réciprocité et de transparence. Cette discussion, fondamentale, mérite d'être prolongée et approfondie.
Les chefs d'État et de gouvernement se sont également réunis en format « Article 50 », c'est-à-dire sans le Royaume-Uni, pour évoquer l'avancement très relatif des négociations sur le Brexit. Les discussions ont témoigné de l'unité des Vingt-Sept, fermement réaffirmée, quant à l'approche à suivre. Tous ont partagé le constat d'un progrès insuffisant des négociations et marqué leur soutien au négociateur européen, Michel Barnier.
S'agissant du règlement financier, la France a rappelé que la proposition britannique demeurait bien en-deçà de nos attentes. Le Royaume-Uni doit en effet assumer l'ensemble des engagements auxquels il a souscrit en tant qu'État membre, et non seulement ceux qui donneraient encore lieu à des paiements en 2019 et 2020. Plus généralement, nous estimons indispensable de nous en tenir au séquençage agréé. Nous n'avons néanmoins pas émis d'objection à voir adresser un signal positif en ouvrant la possibilité d'un passage à la seconde phase en décembre, sous réserve de progrès suffisants. II appartient plus que jamais aux autorités britanniques, et à elles seules, de faire preuve de leur volonté d'avancer afin que nous soyons en mesure, au Conseil européen de décembre, de constater que les progrès sont suffisants pour passer à la deuxième phase et négocier, le cas échéant, une période de transition.
Comme vous le savez, ce Conseil européen s'est tenu dans le prolongement d'une séquence forte de propositions sur l'avenir de l'Union européenne : en particulier les discours du Président de la République à Athènes et à la Sorbonne, le discours sur l'état de l'Union du président Juncker et l'engagement du président du Conseil européen, Donal Tusk, à proposer une feuille de route pour l'avenir de l'Union européenne qui puisse servir de base de travail tout en s'inspirant des récentes propositions de la France et de la Commission. Tout cela démontre, si besoin était, que le sujet de la refondation, loin d'être une préoccupation purement française, est bien une cause européenne et répond aux quelques-uns qui essayeraient d'opposer notre approche et l'approche communautaire.
La démarche de M. Tusk est donc une initiative que nous soutenons et qui a offert l'opportunité de préciser collectivement la méthode et le calendrier. En marge, et comme ils en avaient décidé à Tallinn, les chefs d'État et de gouvernement ont en effet pu commencer à organiser le travail sur la refondation de l'Union européenne proposé par le Président de la République, et entamer un débat constructif.
Ces premiers échanges ont notamment pu se faire sur la base du programme proposé par Donald Tusk, qui prévoit l'organisation de 13 sommets d'ici à juin 2019 pour relancer l'Union européenne, ainsi qu'une série de rencontres informelles thématiques. Ce programme inclut également, vous le savez, un sommet européen extraordinaire en Roumanie après le retrait effectif du Royaume-Uni de l'Union, ainsi qu'un sommet centré sur la sécurité, à Vienne, dans le courant de l'année 2018.
La feuille de route du président Tusk, telle qu'il a pu la présenter à l'occasion du petit-déjeuner informel du vendredi, affiche clairement l'ambition de faire place à des idées nouvelles, y compris dans la méthode de travail, en remplaçant l'approche traditionnelle de recherche du consensus par une approche permettant d'assumer plus clairement les désaccords pour les dépasser, et de concentrer les discussions politiques sur ces points précis. Ainsi, l'élan que nous avons voulu donner est désormais largement partagé et les structures nécessaires à sa transformation en actions sont en place.
Afin de préserver la vigueur de ce mouvement de fond, nous devrons être vigilants sur plusieurs sujets. Il est normal et souhaitable que tous - à 28 ou 27, au cas par cas - puissent participer à la réflexion européenne, mais la recherche, compréhensible, d'unité ne devra pas se faire au détriment de l'ambition. C'est pourquoi nous avons toujours plaidé pour que les plus volontaires, les plus déterminés, puissent aller plus loin à quelques-uns, sans être empêchés par les plus réticents.
Le calendrier devra être à la fois réaliste - certaines propositions ne pourront pas avancer dans l'immédiat, par exemple avant la formation du nouveau gouvernement allemand pour l'Union économique et monétaire - et ambitieux - certaines échéances nous semblent, à l'inverse, trop lointaines et il faudra mobiliser toute la volonté politique de nos partenaires pour accélérer les travaux.
Nous ne devrons pas nous contenter des sujets déjà connus, des annonces déjà faites, des textes déjà en discussion. II est prévu que ce document soit régulièrement actualisé et complété, avec un rendez-vous particulier en juin 2018, ce qui, de ce point de vue, est une très bonne chose.
Le Président de la République l'a exposé clairement à la Sorbonne, c'est en refondant l'Europe que nous retrouverons, en la partageant, notre pleine souveraineté. Pour rendre l'Europe plus efficace, plus rapide, il nous faut profiter de cette dynamique et en conserver l'ambition. Ce sera la mission que nous souhaitons voir confier au groupe de la refondation européenne, qui pourra s'atteler au plus tôt à la mise en oeuvre de la feuille de route du président Tusk et se nourrir des réflexions développées dans le cadre des conventions démocratiques, en 2018. La discussion est entamée et il faut nous en féliciter avant d'aborder les suivantes.
Enfin, le Président de la République a profité de la tenue de ce Conseil pour réaffirmer l'attachement de la France aux symboles européens. Comme il s'y était engagé il y a quelques semaines, Emmanuel Macron a officiellement effectué la démarche pour que la France se joigne, comme seize autres États membres de l'Union, à la déclaration n° 52 sur les symboles de l'Union européenne, parmi lesquels le drapeau et l'hymne européens. Ce texte précise que le drapeau bleu étoilé, l'hymne tiré de l'Ode à la joie de la 9e symphonie de Beethoven, la devise « Unie dans la diversité », l'euro en tant que monnaie de l'Union et la Journée de l'Europe, le 9 mai, « continueront d'être les symboles de l'appartenance commune des citoyens à l'Union européenne et de leur lien avec celle-ci ».
À l'heure où certains prétendent faire l'éloge du repli français en exploitant les passions tristes, nous sommes fiers que la France ait adressé ce beau message d'unité et de confiance en l'avenir du projet européen qui, je le crois, mesdames et messieurs les sénateurs, nous réunit plus que largement.
Merci, madame la ministre, pour ce panorama très large. Nous allons passer à une première série de questions.
Madame la ministre, vous êtes allée au-delà du compte rendu du Conseil européen, puisque vous avez parlé de la directive sur le travail détaché. Sur ce point, vous nous dites qu'un accord a pu être obtenu grâce au soutien de l'Espagne de M. Rajoy. Celui-ci a quand même bien défendu ses positions, puisqu'il a obtenu l'exclusion de la directive de tout ce qui concerne les transports - il ne s'agit pas uniquement de camions qui traversent l'Hexagone en deux jours.
Cette observation me permet de faire le lien avec les événements de Catalogne. Au niveau européen comme au niveau français, on a évolué : on est passé du refus de s'immiscer dans un problème interne au soutien à l'action du gouvernement espagnol - vous avez clairement exprimé ce soutien sur LCI, madame la ministre. Il me semble qu'il existe des valeurs européennes - respect de la démocratie et de l'État de droit -, de même qu'une citoyenneté européenne. Dans des situations de ce type, nous avons intérêt à préserver l'avenir, à le préparer en étant des interlocuteurs crédibles pour les différents partenaires. Ce qui se passe ne concerne pas que l'Espagne et aura des conséquences pour l'Europe : ces dernières semaines, on a pu observer que la progression du produit intérieur brut de l'Espagne était inférieure aux prévisions. Il pourrait également y avoir des conséquences pour l'ensemble de la zone euro.
Il est bon d'élaborer des projets sur l'avenir de l'Union, de négocier avec les gouvernements, mais il faut aussi penser aux citoyens et éviter d'arriver à des situations qui peuvent tout emporter. Vous dites que l'Espagne est un grand État démocratique, mais je pense que l'Allemagne ou la France sont mal placées pour jouer les arbitres sur ce qui est démocratique ou non. On critique, par exemple, la Hongrie ou la Pologne, en les accusant de politiser leurs institutions judiciaires, mais je constate que le fameux Tribunal constitutionnel espagnol est composé pour deux tiers de membres du parti au pouvoir. L'article 155 de la Constitution risque d'être mis en oeuvre demain et le gouvernement légal de la Catalogne, qui a été élu par les habitants, va être démis par le gouvernement espagnol. Or il faut rappeler que le parti de M. Rajoy a recueilli 8,5 % des voix aux dernières élections parlementaires en Catalogne et que les sondages ne le créditent plus que de 4 %. Je souhaiterais donc que l'on adopte une position un peu plus nuancée pour mieux préparer l'avenir.
En ce qui concerne les accords commerciaux, Jean Bizet a rappelé la communication que j'ai faite, il y a quelques semaines, sur le projet d'accord avec le Mercosur. J'avais exprimé le souhait de voir défendre les intérêts de notre pays, notamment au niveau agricole. Le directeur général du commerce de la Commission européenne, M. Demarty, m'avait dit que nous étions très proches de la conclusion d'un accord. Beaucoup d'accords commerciaux sont signés dans le monde, et j'insiste sur le fait qu'ils ne sont pas forcément perdants : Jean Bizet cite souvent l'accord avec la Corée du Sud qui avait suscité de nombreuses critiques, mais qui s'avère positif. Il faut bien sûr tenir compte des positions parfois un peu politiciennes, de la sensibilité des opinions publiques, mais j'étais un peu inquiet en entendant que la France freinait sur la conclusion de cet accord. Le CETA a été signé, on va y ajouter un habillage climatique pour faire plaisir à certains...
Nous vous y aiderons si nécessaire. Je tiens cependant à rappeler qu'il y a dans ce pays des citoyens et des élus qui pensent que l'intérêt de la France est aussi de conclure des accords commerciaux : si nous ne le faisons pas, les autres les signeront entre eux.
Madame la ministre, je vous ai entendue avec satisfaction évoquer les avancées obtenues dans la politique de défense et dans le traitement des migrations, puisque c'est face à la vague des migrants que nous avons dû chercher des réponses au niveau européen.
Quand Yves Pozzo di Borgo et moi-même avons commencé à travailler sur ces questions de défense, nous avons évoqué des pistes de réflexion, en amont des décisions prises par Mme Mogherini, notamment sur le Fonds européen qui est aujourd'hui une réalité : on nous regardait comme des extraterrestres tant il est vrai que la politique de défense et de l'Europe était une question qui paraissait surannée, même pour les spécialistes que nous avions auditionnés. Aujourd'hui, nous sommes satisfaits de constater les progrès, mais nous devons conserver présentes à l'esprit certaines craintes liées au changement de notre environnement : les États-Unis ont un président que je qualifierai d'imprévisible, la Russie a affirmé son rôle de puissance internationale en s'impliquant dans le conflit syrien. Avec le Brexit, les Européens doivent désormais s'interroger sur le décalage entre leur capacité de défense et les réponses qu'ils veulent apporter sur la scène internationale, même s'ils peuvent conclure à l'avenir un accord de défense bilatéral avec le Royaume-Uni.
Vous nous avez dit, et je m'en réjouis, que les questions de défense intéressent aujourd'hui beaucoup plus de nos partenaires, mais lesquels ? Et sur quelle vision ? Les pays de l'ancien bloc de l'Est n'ont pas la même vision politique et géopolitique que nous, et c'est normal. Parmi les premiers bâtisseurs de l'Europe, l'Allemagne a beaucoup évolué. Il est clair aujourd'hui que le lien avec l'OTAN n'exclut pas l'existence d'une défense européenne spécifique, c'est une réponse aux inquiétudes de nos concitoyens quant à leur sécurité.
Tels sont les paramètres que doit intégrer la réflexion dans une Europe que l'on veut un peu plus harmonieuse. Nous devons être vigilants, parce que les réponses apportées par certains pays aux vagues de migration, en construisant des murs à leur frontière, sont contraires à l'esprit de la construction européenne, fondée sur la volonté de vivre ensemble dans le respect des peuples et, surtout, de l'humanité, seul bien commun que nous partageons.
Ma question portera sur les relations entre l'Union européenne et la Turquie, en lien direct avec le phénomène migratoire - je suis sénateur du Pas-de-Calais et donc très concerné par cette question. Les accords prenaient en compte un certain nombre de critères, notamment la délivrance facilitée de visas aux citoyens turcs, mais ils contenaient aussi des éléments financiers importants : 3 milliards d'euros devaient être versés à la Turquie pour l'aider dans sa mission d'accueil des flux migratoires. Notre assemblée a beaucoup travaillé sur cette question, mais je souhaiterais savoir où en est cet accord : est-il devenu caduc au regard de l'évolution interne de la Turquie ou continue-t-il d'être appliqué ?
Sur la question de l'asile et de la zone Schengen, il faut que les pays d'Europe centrale comprennent que la zone Schengen peut être effectivement en danger si nous ne pouvons pas mettre en place une politique d'immigration plus communautarisée. Il est facile pour le Luxembourg, la France ou l'Allemagne de parler d'un équilibre avec les pays de première entrée, mais comment éviter alors, si on laisse ces pays assumer seuls cette responsabilité - qu'ils ne gèrent pas toujours dans le sens du respect du droit d'asile -, la conclusion d'accords bilatéraux par ces pays - avec la Libye pour l'Italie, avec la Turquie pour la Grèce ? Une telle évolution peut remettre en cause le respect du droit d'asile par l'ensemble des pays européens, en particulier si la notion de pays tiers sûrs commence à prospérer.
L'Union européenne doit effectivement se saisir des menaces pour les entreprises européennes qui travaillent en Iran, en particulier sur le financement de leur activité. Les banques doivent pouvoir accompagner les entreprises et l'Union européenne doit clairement les protéger face aux sanctions qui s'appliquent de manière extraterritoriale, car elles ont toutes des relations avec les États-Unis d'Amérique et sont toutes susceptibles d'être visées par des sanctions si elles accompagnent des opérations en Iran.
Sur l'avenir de l'Union européenne, vous n'avez pas évoqué le cadre financier pluriannuel qui va arriver bientôt en débat. Comment conjuguer cette négociation avec le débat sur l'avenir de l'Europe ? Les ressources propres de l'Union européenne baissent, il est donc difficile d'imaginer une Europe plus intégrée dans ce contexte. Nous risquons d'assister systématiquement à des discussions d'épiciers entre États membres. Par ailleurs, comment conjuguer ce constat avec la réforme et l'approfondissement de la zone euro ?
Pour compléter la question de Simon Sutour, on a créé une citoyenneté européenne, avec des droits. On constate aujourd'hui que des citoyens européens vont perdre cette citoyenneté parce qu'ils sont sujets du Royaume-Uni - je pense en particulier aux Écossais. Se pose également la question de la Catalogne. Nous sommes au coeur du débat sur ce que doit être l'Europe, entre ceux qui pensent qu'elle n'est qu'une construction entre des États-nations et ceux qui veulent en faire autre chose. Tant qu'on ne débattra pas de ce sujet-là, il est inutile d'évoquer l'avenir puisqu'on ne parle pas de la même chose. Si nous discutons parfois de manière un peu vive avec les pays d'Europe centrale, c'est parce que ce sujet n'est pas abordé.
Quel est l'avenir de la citoyenneté européenne ? Les citoyens européens ont-ils des droits simplement parce qu'ils sont citoyens d'un État membre, ou s'agit-il d'autre chose ? Peut-on assurer la continuité de leurs droits à des gens qui sont citoyens européens aujourd'hui et souhaitent le rester, quelle que soit leur nationalité par ailleurs ?
Monsieur Sutour, vous indiquez que Mariano Rajoy a finalement obtenu ce qu'il voulait sur les travailleurs détachés, avec l'exclusion du secteur des transports de la directive. Non, la directive actuelle s'applique à l'ensemble du secteur des transports et de manière plus claire qu'auparavant. Au départ, l'Espagne, le Portugal et les pays de l'Est souhaitaient dégrader la directive actuelle et faire en sorte que, pendant un nombre important de jours par mois, le régime des travailleurs détachés ne s'applique pas au secteur des transports, et que l'on en reste au salaire minimum et à la protection sociale du pays d'origine. Nous nous sommes mobilisés pour les convaincre qu'il était hors de question de réviser une directive en étant moins ambitieux que la directive initiale et nous les avons convaincus. Nous resterons extrêmement vigilants dans la négociation du paquet « mobilité ». Évidemment, aucun État n'a obtenu tout ce qu'il souhaitait, c'est le propre d'un accord européen, mais on peut estimer que l'ambition sociale de l'Europe a été tirée vers le haut.
Sur la Catalogne, je suis désolée, mais l'État de droit doit être respecté dans l'ensemble des États membres ; en Hongrie, en Pologne, et en Espagne. On ne peut pas soutenir une consultation qui s'est tenue en dehors des règles fixées par la Constitution, c'est aussi simple que cela. Imaginez que, demain, sur notre territoire, quelqu'un prenne l'initiative d'une consultation qui ne respecte pas notre Constitution : croyez-vous que nous accepterions qu'un autre État membre de l'Union européenne vienne nous parler des droits spécifiques de tel ou tel citoyen français ? Le respect de l'État de droit est à la base du contrat européen.
Cela ne veut pas dire, monsieur Leconte, que nous ne sommes pas attachés aux droits des citoyens européens. Souvenons-nous du rôle du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des droits de l'Homme : cela vaut pour les États membres de l'Union européenne, mais aussi, au-delà, pour la Turquie ou la Russie. Le Président de la République prononcera un discours devant la Cour européenne des droits de l'Homme...
Non, mais le fait de pouvoir étendre cette protection à des citoyens qui peuvent se sentir lésés dans l'exercice de leurs droits fondamentaux est un des acquis de la construction européenne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
En revanche, l'Union européenne a été conçue comme un rassemblement d'États-nations, c'est ainsi qu'elle est acceptée et que ses peuples se la sont appropriée. Nous sommes face à des défis qui, pour beaucoup, sont de dimension européenne. Nous avons donc besoin de plus d'unité que de plus de divisions, et certainement pas de divisions décidées d'une manière qui ne respecte pas l'État de droit ni l'ordre constitutionnel.
Nous souhaitons tous que l'Espagne puisse sortir de cette crise, mais je ne suis pas convaincue qu'une interférence étrangère contribuera au dialogue, à l'expression de la démocratie. Mariano Rajoy a appelé à des élections en Catalogne : il n'est pas interdit au président de la Catalogne de faire de même. C'est peut-être ainsi, je le dis en tant qu'observatrice, que l'on pourra remettre les idées en place et savoir qui veut quoi dans cette partie de l'Espagne.
Sur les accords commerciaux, je partage votre point de vue, monsieur Sutour. Il ne s'agit pas de devenir protectionniste et de considérer que les accords commerciaux doivent être combattus coûte que coûte parce qu'ils nous entraîneraient dans une mondialisation débridée. Au contraire, c'est à une régulation de la mondialisation que nous procédons, ce qui exige d'être attentif. Vous avez parlé du Mercosur : le défaut de ce mandat de négociation est d'être très ancien. Entre-temps, les rapports de force, la situation économique des pays concernés ont changé et c'est sur ce point que nous mettons l'accent. Nous souhaitons que s'engage un vrai dialogue et que la Commission n'interprète pas sa compétence exclusive comme autorisant une certaine forme d'opacité. Nous devons aujourd'hui être plus ambitieux dans les accords commerciaux que nous signons, puisque nous sommes très « demandés » : l'ensemble du monde frappe à la porte de l'Europe parce qu'ailleurs il est beaucoup plus difficile de négocier des accords commerciaux. Si nous sommes l'espace le plus attractif, il faut aussi que nous soyons plus exigeants, notamment quant au respect de la mise en oeuvre de l'accord de Paris - il ne s'agit pas seulement de faire plaisir à tel ou tel -, le gouvernement actuel, comme le précédent, défend avec force cette ambition.
Madame Jourda, vous exprimez votre satisfaction de voir enfin des progrès dans l'Europe de la défense. Nous partageons ce sentiment. Vous avez fait part de vos craintes sur l'environnement international, vous avez parlé d'une administration américaine imprévisible, d'une Russie peut-être un peu trop prévisible, du départ du Royaume-Uni : c'est justement ce qui fait qu'aujourd'hui nos partenaires parlent d'« autonomie stratégique de l'Europe », notion qui devient une évidence alors qu'elle était quasiment taboue. Nous enregistrons des progrès, mais il faut rester extrêmement vigilant, exercer une forme de pression pour que des actes suivent les discours. Le départ du Royaume-Uni, de ce point de vue - mais pas uniquement -, n'est pas une bonne nouvelle. Il faudra évidemment trouver des accords avec le Royaume-Uni dans l'avenir sur la sécurité et la défense - il s'y prépare aussi et nous en reparlerons quand les conditions de son retrait auront été réglées.
Le fait que la coopération structurée permanente soit inclusive ne doit pas vous inquiéter dans la mesure où l'on réunit des pays qui sont capables et volontaires sur des projets de mutualisation d'efforts. Pour l'Allemagne, vous l'avez dit, c'est une révolution culturelle absolue. Réjouissons-nous en, parce que nous n'aurions jamais imaginé en parler il y a seulement quelques années.
Bien sûr, un certain nombre de pays de l'Est sont préoccupés aujourd'hui par le caractère un peu trop prévisible du positionnement russe. Tant mieux si leur réflexe est de ne pas se placer tout de suite sous le parapluie américain, de ne pas penser à l'OTAN exclusivement ; tant mieux si le projet européen suscite aujourd'hui un début de confiance.
Sur les migrations, on ne peut évidemment pas se satisfaire de la position de pays comme la Hongrie ou la Pologne qui refusent les relocalisations. Nous réaffirmons la responsabilité des pays de première entrée et la solidarité : quand on considère qu'une demande d'asile doit être traitée en priorité dans le pays d'arrivée, il ne faut pas laisser l'Italie ou la Grèce seules. Nous avons augmenté les moyens en développant la présence de Frontex. S'agissant des relations avec la Libye, l'Italie a pris des initiatives bilatérales, ce que nous pouvons comprendre par rapport aux événements du premier semestre. Nous sommes partie prenante aux efforts de restauration d'un semblant d'État en Libye, avec l'envoyé spécial des Nations unies. On ne peut pas faire de comparaison sur ce point avec le dialogue que nous avons avec la Turquie sur les questions migratoires, car il s'agit d'un État qui prend des engagements et les tient. Notre intérêt bien compris, c'est que l'Europe intervienne pour stabiliser la Libye, pour soutenir le Haut Commissariat aux réfugiés et l'Organisation internationale pour les migrations, et veiller à la dignité du sort réservé aux migrants et aux demandeurs d'asile dans un pays où les conditions sont très dégradées.
Monsieur Rapin, personne n'a l'intention d'affaiblir l'accord passé entre l'Union européenne et la Turquie sur la gestion des flux migratoires. Cet accord demeure valide, il est mis en oeuvre sur le terrain par des porteurs de projet, pas forcément par le gouvernement turc. Nous avons des inquiétudes sur l'évolution politique turque, qui éloigne ce pays du coeur des valeurs européennes. Aujourd'hui, les négociations dans le cadre du processus d'adhésion sont au point mort : c'est un constat. Nous allons évidemment être vigilants sur l'utilisation des fonds de l'instrument de préadhésion, par exemple, en faisant en sorte qu'ils soient davantage orientés vers la société civile turque. Nous n'allons pas nous précipiter vers la modernisation de l'union douanière ou vers la libéralisation des visas dans le contexte actuel qui ne s'y prête pas, mais nous allons garder des relations denses, régulières, avec un partenaire comme la Turquie, parce que nous avons réciproquement besoin l'un de l'autre sur la question migratoire, sur la question de la lutte contre le terrorisme, sur la question de la résolution du conflit en Syrie. Il est hors de question de tourner le dos à la Turquie.
Monsieur Leconte, vous avez évoqué la nécessité de protéger les entreprises qui travaillent en Iran, mais aussi les banques. Nous y sommes très attentifs, dans un dialogue très étroit avec les États-Unis pour éviter que des mesures extraterritoriales viennent contrarier les ambitions européennes en Iran. Nous avons demandé à la Commission européenne de travailler sur cette question, tout en réfléchissant de notre côté à mieux nous protéger contre d'éventuelles décisions américaines. Nous n'avons pas à subir le contrecoup de mesures dont nous ne partageons pas la philosophie.
Comment conjuguer les ambitions sur l'avenir de l'Europe et un prochain budget européen qui sera évidemment très compliqué à négocier pour deux raisons : le départ d'un contributeur net, le Royaume-Uni, dont la contribution est évaluée à 10 milliards d'euros, et le surgissement de nouvelles priorités de l'Union européenne (gestion des flux migratoires, lutte contre le terrorisme, Europe de la défense, encouragement à l'innovation numérique) qui viennent s'ajouter à des politiques plus traditionnelles. Il est illusoire de penser pouvoir faire plus avec moins : on ne créera que des mécontentements et des frustrations. L'objet du travail sur la refondation de l'Europe est aussi de remettre à plat chaque politique européenne pour évaluer ce qui fonctionne, ce que l'on fait par habitude et ce que l'on ne fait pas alors qu'il faudrait le faire. Il faut commencer par définir les politiques et les ambitions que l'on a pour l'Europe et s'interroger ensuite sur les moyens (contributions des États membres, ressources propres...). Le discours de la Sorbonne a proposé des pistes, qu'il s'agisse de la taxation des grands acteurs du numérique, qu'il s'agisse de taxes environnementales rétablissant une concurrence loyale pour les entreprises européennes qui respectent certaines normes, qu'il s'agisse de l'affectation au budget de la zone euro d'une partie de l'impôt sur les sociétés que nous travaillons à harmoniser. Je ne prétends pas avoir la solution, mais le problème est posé : nous devons nous demander où l'on trouve une valeur ajoutée européenne certaine, ce que nous voulons préserver ou développer et, ensuite, comment nous finançons.
Je me félicite d'une réelle continuité de la position française sur bon nombre de sujets abordés lors de ces derniers rendez-vous.
Sur les travailleurs détachés, je salue les avancées que vous avez évoquées, en particulier sur le principe « à travail égal, salaire égal ». Peut-être reste-t-il un point sur lequel les avancées n'ont pas pu être effectuées : la question du paiement des charges, car elles sont toujours versées dans les pays d'origine. Sera-t-il possible, à l'avenir, d'avancer sur ce sujet, car c'est une forme de dumping social, même s'il est moindre qu'auparavant ?
Sur la durée du détachement, on se félicite beaucoup de l'accord sur les 12 mois, mais la durée moyenne du détachement est très inférieure. C'est une victoire que l'on peut relativiser puisqu'elle a été obtenue en contrepartie d'un accord sur la mobilité, qui suppose le renvoi à une autre négociation et nous fait craindre, à terme, une gestion à deux vitesses du détachement. Il serait utile que vous puissiez nous informer très régulièrement à l'avenir des négociations sur le paquet « mobilité ». Le Parlement européen sera saisi dans le cadre de la procédure de codécision : pensez-vous, si le Parlement européen est plus allant que n'a pu l'être le Conseil, qu'il y ait encore des marges de négociation sur ce sujet ?
Sur les accords commerciaux, je me félicite de la volonté française de freiner la boulimie libre-échangiste de la Commission en réponse à la résurgence du protectionnisme aux États-Unis. Ce n'est pas parce que le protectionnisme progresse malheureusement sur la planète qu'il faut ouvrir les vannes tous azimuts. Je ne suis pas hostile, bien évidemment, à des accords commerciaux, mais cela suppose que l'Union européenne ait une stratégie d'ensemble, inexistante à ce jour, en particulier pour relever les trois défis que nous connaissons : le défi démocratique - le CETA a été négocié dans l'opacité la plus totale -, le défi social et le défi climatique qui, pour l'instant, n'est pas du tout pris en compte, y compris dans le CETA.
Si on peut saluer la position de la France et les dispositions que le Gouvernement a prises pour associer les parlementaires et les ONG, il n'en reste pas moins que les décisions seront prises à l'échelle de l'Union européenne. Comment la France peut-elle convaincre ses partenaires, pour certains plus que réticents à la mise en oeuvre de dispositions permettant de relever ces défis, et la Commission qui n'est pas si enthousiaste que cela ? Ce sera l'une des conditions de la ratification de l'accord par notre Parlement.
Enfin, ces jours-ci, un groupe de travail du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies se réunit à Genève, sur l'initiative de l'Équateur et de l'Afrique du Sud, pour étudier un projet de traité international contraignant à l'égard des multinationales afin qu'elles prennent en considération le respect des droits humains. Ce traité s'inscrit dans la droite ligne de ce que nous avons voté récemment sur le devoir de vigilance des entreprises multinationales. Quelque 250 parlementaires français ont signé un appel au Président de la République et au Gouvernement pour qu'ils soutiennent cette démarche. Or nous constatons que l'Union européenne freine cette initiative, qu'il s'agisse du calendrier et du fond, évitant toute mesure contraignante à l'égard des entreprises transnationales, alors que l'idée défendue par bon nombre de parlementaires européens est d'aboutir à une directive. Je souhaiterais donc connaître la position de la France sur ce sujet.
On ne peut que se réjouir que beaucoup de sujets évoqués évoluent dans le bon sens, en tout cas sur le plan des principes.
Vous avez dit que le numérique est au coeur des priorités, on ne peut que s'en féliciter, puisque notre commission, ainsi que la commission de la culture, a beaucoup travaillé, notamment sur le respect des droits d'auteur et la fiscalité des géants de l'internet. Un compromis a été trouvé avec un certain nombre de pays, mais on sait qu'il faut réunir une majorité, voire l'unanimité. Comment pensez-vous que ce compromis sera mis en oeuvre ? Y aura-t-il une coopération renforcée ?
Je me réjouis que la refondation de l'Europe semble intéresser beaucoup d'États membres. Bien sûr, il faut que les sujets européens soient présents jusqu'aux prochaines élections au Parlement européen. Elles seront importantes pour tous les États membres. Avez-vous des détails à nous donner sur l'organisation de ces élections ? Quel sera le mode de scrutin, les listes seront-elles régionales ou nationales ?
Pour la directive sur les travailleurs détachés, il y a eu une véritable avancée : il y a quelques semaines, le compromis semblait inatteignable. C'est donc plutôt un succès.
Dans la même logique, je voudrais revenir sur le CETA qui a été beaucoup diabolisé. En fait, on s'est surtout intéressé au CETA après le Tafta et le scandale de la NSA. Les accords commerciaux doivent vraiment s'inscrire dans un cadre géostratégique et pas simplement, comme le fait la Commission européenne, dans la doxa libérale du libre-échange. Au XIXe siècle, la Grande-Bretagne est devenue libérale et libre-échangiste à partir du moment où elle était devenue la première puissance économique... Le marché est essentiel, mais il ne remplace pas la politique. Aux États-Unis, Donald Trump est en train de massacrer l'Alena : les droits de douane imposés maintenant aux Canadiens pour exporter aux États-Unis atteignent parfois 300 %. Pourquoi Bombardier passe-t-il un accord avec Airbus ? Simplement parce qu'Airbus a des usines aux États-Unis, ce qui n'est pas le cas de Bombardier... Il faudrait peut-être coupler ces accords de libre-échange à un contenu plus politique. Le Canada occupe une place particulière et, dans ses relations avec l'Europe, je pense qu'on a beaucoup à faire.
Sur la Catalogne, on ne peut pas raisonner simplement en droit, il faut adopter un point de vue plus politique. Les Catalans demandent simplement le même statut que celui accordé au Pays basque... en 1979 ! Depuis, on a changé la Constitution. Il faut admettre l'existence d'une nation catalane - ou d'un peuple, on peut en discuter.
Je rappelle que la réunification de l'Allemagne s'est faite en dehors de tout traité européen et que le Royaume-Uni a décidé le Brexit sur la base d'un référendum non contraignant. M. Rajoy décide de refaire des élections en Catalogne, mais il supprime la troisième chaîne espagnole qu'est la chaîne catalane sous prétexte qu'elle serait trop pro-catalane : cela pose un problème. La France et l'Europe vont-elles attendre qu'il y ait des morts pour essayer d'engager une discussion ? Je ne suis pas favorable à l'indépendance de la Catalogne, mais reconnaissons que c'est un sujet politique. Regardons ce qui se passe actuellement dans les négociations du Brexit : on essaie de trouver, en bons Européens, un arrangement entre l'Irlande du Nord et le reste de l'Irlande. Pourtant, si on veut respecter l'État de droit, qu'on laisse le Royaume-Uni sortir de l'Union, et s'il en résulte une nouvelle guerre civile, qu'il assume la responsabilité de son choix politique idiot ! L'Europe n'est pas exemplaire sur le respect du droit des peuples ou des minorités, voyez les pays baltes, que je défends pourtant.
Pour conclure, un état détaillé du cadre pluriannuel financier à mi-parcours aurait dû être produit. La présidence néerlandaise avait commencé à travailler sur ce sujet, mais nous n'avons toujours rien. Je regrette cette absence totale de transparence : on crée de nouveaux financements, on fait de la fongibilité, mais on ne sait plus d'où on est parti - je pense notamment au « verdissement » de la politique agricole commune. Nous ne disposons d'aucune information, alors qu'il me semble que celle-ci est de droit.
Le dossier du glyphosate me semble emblématique de certains blocages de la démocratie européenne. Alors qu'il y avait matière à une réflexion de fond sur l'agriculture et l'alimentation que nous voulons pour nous et pour nos enfants, nous avons assisté à un débat complètement faussé par la propagande d'une entreprise mondiale qui a investi d'énormes moyens pour entretenir ce qu'Umberto Eco a appelé « la culture du faux ». Un contre-feu très efficace a ainsi été allumé pour éviter que soit posée la vraie question, celle de la qualité et de la préservation des sols agricoles, un problème fondamental pour notre sécurité alimentaire. Les effets de ces produits phytosanitaires sur la qualité des sols sont connus et incontestables. Mais de cela, il n'a pas été question. Au lieu de quoi l'on a assisté à un ballet des institutions de l'Union européenne, chacune cherchant à faire porter par l'autre la décision finale. Un tel jeu de mistigri à l'échelle européenne donne l'image détestable d'une Europe impuissante à se saisir de tels dossiers de fond, et renforce nos concitoyens dans le sentiment d'être face à une Europe qui ne fonctionne plus et qui a oublié ses objectifs démocratiques. Quant au fonctionnement de la Commission, je suis tenté de le qualifier par la célèbre formule d'Henri Queuille, sénateur de la Corrèze : « Il n'est pas de problème qu'une absence de solution ne vienne à résoudre. »
Ma première question peut sembler de détail, mais on sait à la fois que l'Union européenne avance à force de réglementation de détails, et que le diable peut se cacher dans les détails. Un règlement sur la cybersécurité est en préparation, dans lequel il est envisagé de renforcer l'Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information, l'ENISA, en lui donnant le contrôle de l'élaboration et de la validation du schéma de certification. Cette proposition de règlement est totalement prise dans la culture du marché unique, y compris dans son fondement juridique, alors même que la cybersécurité, ainsi que vous l'avez rappelé, est une question de souveraineté par excellence. Il y a là une importante divergence de vue qui peut mettre en péril certaines missions de notre agence nationale. On ne saurait, en la matière, s'en tenir à une vision entrepreneuriale, tant sont prégnants les enjeux de sécurité et de souveraineté. J'aimerais avoir votre éclairage sur la position du Gouvernement, sachant que nous songeons, pour notre part, à soulever la question de la subsidiarité.
Ma deuxième question concerne la politique de cohésion. Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait s'interroger sur les politiques européennes et sur les choix à venir et j'ai cru comprendre, par d'autres échos, que le Gouvernement envisage de ne plus faire de la politique de cohésion une priorité. Or, il s'agit, pour nos territoires, d'une politique essentielle. En Aquitaine, cela ne représente pas moins d'une année budgétaire supplémentaire, des moyens qui servent l'investissement, le développement rural, la formation professionnelle. Nous aimerions être rassurés car nous craignons de voir cette politique remise en cause au profit de l'approche Juncker, sans doute intéressante pour les grandes entreprises mais très insuffisante pour les territoires.
Je vous remercie, madame la ministre, de votre disponibilité et me réjouis du grand retour de notre pays vers le décisionnel et la volonté de porter une vraie ambition pour l'Europe.
Je m'interroge sur les moyens d'équilibre dont nous disposons au regard des règles américaines d'extraterritorialité. Vous avez dit, en évoquant la question iranienne, la nécessité de protéger nos entreprises et rappelé qu'une bombe plane au-dessus de la tête d'Airbus. Vous avez indiqué qu'un travail était demandé à la Commission, tout en ajoutant qu'une réflexion sur cette question était également engagée en interne - ce qui revient à admettre que les moyens de réponse européens ne sont pas suffisants. Quels sont les axes, les objectifs de travail, la méthode, les délais retenus pour cette réflexion ? Nos inquiétudes sont-elles partagées par d'autres États membres ?
S'agissant des travailleurs détachés, monsieur Marie, je rappelle qu'il n'existait pas, auparavant, de plafond de durée. On ne peut pas dire qu'il ne sert à rien de retenir un plafond de douze mois quand la durée moyenne est de quatre mois. Parce que précisément, ces quatre mois ne reflètent qu'une moyenne ; selon les secteurs, cette durée peut varier de quelques jours à beaucoup plus de quatre mois. Il est impératif de rendre à ce statut de travailleur détaché son vrai caractère de statut du travailleur temporaire.
Vous exprimez des craintes sur la question des transports routiers. Je puis vous assurer que nous avons été fermes et ambitieux dans la négociation du lourd paquet « mobilité », sur les évolutions duquel nous restons à votre disposition pour vous tenir informés. La codécision permettrait-elle d'apporter des améliorations ? J'observe que le rapport du Parlement européen était moins ambitieux quant à la durée, puisqu'il retenait 24 mois. Il était plus exigeant sur les transports, mais la rapporteure, Elisabeth Morin-Chartier, reconnaît que les pays de l'Est, l'Espagne, le Portugal, pèsent d'un grand poids, au risque d'un détricotage du texte actuel. On peut se poser la question - et j'encourage vivement le Parlement européen à le faire - de la durée de transposition de la directive, sur laquelle on devrait être plus ambitieux. Il reste que le texte auquel nous avons abouti représente une avancée très significative.
Sur les accords commerciaux, je vous rejoins pleinement : nous avons besoin d'une stratégie d'ensemble. Vous évoquez un défi démocratique. Nous avons réuni hier le comité de suivi de la politique commerciale. Avec Jean-Baptiste Lemoyne et Brune Poirson, nous sommes attentifs à la nécessité d'associer la représentation nationale et la société civile aux questions touchant à ces négociations et à la mise en oeuvre des accords - sur l'évolution desquels nous sommes en débat avec la Commission et les autres États membres. Nous ne sommes pas favorables à voir la Commission se concentrer sur des accords non mixtes, où elle aurait une compétence exclusive et où le seul contrôle démocratique émanerait du Parlement européen. Notre position fait-elle consensus ? Certains États membres ont une vision idéologique du libre-échange, et tendent à considérer que tout nouvel accord est bon par essence et doit être encouragé. Je partage la vision exprimée par le sénateur Gattolin sur la nécessité de faire des choix géostratégiques, en allant vers les partenaires qui nous intéressent. De ce point de vue, il est positif d'avoir un accord avec le Canada, car cela est positif pour beaucoup de secteurs économiques français, y compris dans le domaine agricole. Soyons vigilants sur sa mise en oeuvre, soyons plus exigeants dans les prochains accords sur les aspects environnementaux, mais cessons de nous faire peur !
Il nous revient de convaincre les États membres les plus réticents, et de peser sur la Commission dont on sait que l'objectif est de terminer son mandat, en 2019, en ayant bouclé le maximum d'accords. Nous resterons attentifs et exigeants, surtout quand les mandats ont été donnés il y a longtemps et que la donne a changé.
Vous m'interrogez sur le groupe de travail du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies à Genève. Sans être experte, je sais que l'on y examine les propositions de manière constructive, pragmatique, en recherchant une mise en oeuvre équitable et universelle des normes. La France n'a pas à rougir puisqu'elle a voté, en mars 2017, sa loi sur le devoir de vigilance des entreprises. Je pourrai vous fournir, si vous le souhaitez, une réponse plus détaillée par écrit.
Vous avez abordé, madame Mélot, la question du numérique, qui vous est chère, et je vous en remercie. Nous sommes très favorables à voir avancer le marché unique du numérique, qui a pris du retard, mais pas à n'importe quel prix : il s'agit d'être vigilant sur les questions du partage de la valeur et du respect des droits d'auteur - sur lesquels nous finissons par avoir gain de cause, mais après avoir été très seuls, preuve que, pour certains États membres, protéger les industries culturelles et la création n'est pas une évidence. Ce qui n'est pas une raison pour baisser la garde, bien au contraire.
S'agissant de la fiscalité des géants de l'internet, comment faire alors que l'unanimité est requise et que certains États membres, peu nombreux mais déterminés, ont bâti leur modèle économique sur un accueil pour le moins généreux de ces entreprises ? On constate, cependant, une vraie détermination de la Commission, comme on l'a vu avec les actions intentées par Margrethe Vestager, y compris auprès de la Cour de justice de l'Union européenne. J'ajoute que les acteurs de l'internet eux-mêmes font preuve d'un intérêt marqué : une grande entreprise, plutôt que passer entre les gouttes sans savoir de quoi demain sera fait, a surtout besoin de visibilité. Le fait qu'il commence à y avoir une masse critique d'États membres favorables à une fiscalisation des GAFA fait que ceux-ci sont prêts, désormais, à s'asseoir autour de la table. Ce sera long, complexe, et devra peut-être passer par une coopération renforcée même si nous sommes, pour le moment, plus ambitieux que cela, mais le simple fait que le sujet ait été débattu et que la Commission ait été mandatée pour faire une proposition représente un changement de paradigme. Nous sommes déterminés, même si nous n'espérons pas atteindre dès demain le Graal fiscal, à entrer dans une logique de plus en plus constructive.
En ce qui concerne l'organisation des élections européennes, notamment le choix de la circonscription électorale, la décision n'est pas prise. Je serais presque tentée de vous interroger sur vos idées...
Monsieur Gattolin, merci de ce que vous avez dit sur les travailleurs détachés : il est toujours agréable d'obtenir un résultat quand on a beaucoup travaillé. Quand j'ai pris mes fonctions, on m'avait prédit un échec. Ce résultat contribue à créer un climat plus positif en Europe et met fin à la résignation au moins-disant.
Comme vous l'avez dit, on a tendance à diaboliser le CETA à cause du TTIP. Vous avez raison de rappeler qu'il faut mettre l'accent sur la dimension géostratégique des accords plutôt que sur le libre-échange à tout crin, comme la Commission le fait parfois. Des accords en cours de négociation sont très intéressants, notamment celui avec le Japon : l'accès aux marchés publics japonais est un pas en avant très significatif et notre secteur agricole devrait également y trouver son compte.
Je ne reviens pas sur la Catalogne, puisque j'ai déjà rappelé la position du Gouvernement.
Enfin, il y a bien une revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Le retard pris dans la nouvelle programmation est dû au Brexit.
Monsieur Ouzoulias, vous vous êtes montré sévère quant à la position de l'Union européenne sur le glyphosate. Je vous aurais donné raison jusqu'à récemment, mais les prises de position des divers États membres, de la société civile, du Parlement européen font que la Commission a abandonné sa proposition d'un renouvellement de l'autorisation pour 10 ans. La réunion du comité d'experts d'hier n'a pas été conclusive parce qu'un certain nombre d'intervenants n'avaient pas d'instruction. En effet, la situation a évolué, notamment en raison de notre prise de position très claire au début de l'été. L'Allemagne elle-même change d'avis et la constitution d'une coalition gouvernementale qui intègre les Verts n'y est pas étrangère ; l'Italie est sur la même ligne que nous. Une solution doit être trouvée d'ici le 15 décembre : nous souhaitons un renouvellement d'autorisation pour une période de moins de 5 ans, parce qu'il faut un plan de sortie, une interdiction immédiate n'étant pas envisageable pour les utilisateurs. De plus en plus de pays nous entendent : j'ai été frappée par le très faible nombre de pays favorables à une reconduction de 10 ans, ce qui n'était pas le cas auparavant. La situation n'est pas parfaite, mais les enjeux environnementaux sont de mieux en mieux pris en compte. La Commission avait raison de reprocher aux États membres de se défausser : c'est moins vrai et la vigilance de la société civile n'y est pas pour rien.
Madame Harribey, vous avez très justement rappelé le projet de règlement qui vise à renforcer l'ENISA. En revanche, nous refusons de confier à cette agence le contrôle du schéma de validation et de certification, car il s'agit d'une compétence nationale. J'ai constaté avec intérêt, lors du dernier Conseil Affaires générales, que notre position sur ce point était très partagée, car il s'agit de vraies questions de souveraineté. L'Europe a du retard sur ces sujets par rapport aux États-Unis.
Il est hors de question d'abandonner la politique de cohésion, bien sûr, et elle reste prioritaire car elle est importante pour tous nos territoires, y compris l'Île-de-France. En revanche, nous devons examiner qui en bénéficie et pourquoi les crédits sont si mal consommés, afin de réévaluer les critères utilisés pour les attribuer. Cohésion signifie convergence : faut-il attribuer ces fonds à un pays qui décide de baisser son taux d'impôt sur les sociétés à 9 % ? Pour nous, c'est non. Convergence fiscale, sociale, environnementale, démocratique : peut-on impunément décider de ne pas respecter les mêmes règles que les autres et venir ensuite demander 10 milliards d'euros ou 13 milliards d'euros ? Il est indispensable d'avoir cette discussion, qui risque d'être très animée, mais nous sommes déterminés.
Monsieur Bonnecarrère, vous avez souligné le retour de la France en Europe. Il ne s'agit pas seulement d'un ressenti franco-français : les institutions européennes et nos partenaires constatent un changement de discours, la formulation de propositions très concrètes. Vous avez beaucoup contribué à la réflexion sur les effets extraterritoriaux des sanctions américaines. Des instruments européens avaient été utilisés en réponse à la loi Helms-Burton dans les années 1990 : ils ont besoin d'être remis à jour et nous faisons des propositions en ce sens. Le sujet est posé et je pense que notre position sera partagée.
Merci, madame la ministre. Le Sénat aime les réponses claires et précises. Permettez-moi d'ajouter quelques réflexions qui n'appellent pas de réponse immédiate.
En ce qui concerne les travailleurs détachés, vous nous avez apporté des précisions utiles sur le transport routier, car elles ne nous étaient pas apparues aussi claires.
Sans déflorer le travail de nos collègues sur le numérique et la taxation des GAFA - expression qui me paraît péjorative -, nous regardons avec attention les propositions de l'OCDE, qui sont suivies par la France. Cette approche permettra de sortir par le haut et d'éviter un dumping fiscal du type de celui pratiqué par l'Irlande. Alimenter l'agence européenne pour l'innovation de rupture par une taxe prélevée sur les GAFA me semble extrêmement cohérent.
En ce qui concerne la refondation de l'Union, j'aimerais que vous entendiez le message que va diffuser le Sénat au fil des mois, dans le cadre du groupe de suivi commun entre la commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes. J'ai bien noté que 13 sommets européens y seraient consacrés d'ici juin 2019. Nous serons très attentifs aux propositions contenues dans le « paquet Tusk », qui apportaient beaucoup de réponses aux propositions de M. Cameron. Le Brexit a exprimé une attente, qui est aussi celle d'autres peuples européens, et nous aurions tort de négliger les propositions de M. Tusk. J'espère que nous aurons un dialogue constructif.
J'ai noté que vous aviez souligné la pertinence des coopérations renforcées. Comme vous le savez, nous ne sommes pas étrangers à l'émergence, par le biais des coopérations renforcées, du brevet communautaire et nous pensons que cet outil a été insuffisamment utilisé.
Vous avez rappelé, concernant l'extraterritorialité des lois américaines, que des propositions étaient sur la table dès 1996. Elles méritent d'être toilettées, mais il ne faut pas oublier que nos amis allemands, à l'époque, refusaient ces propositions. Aujourd'hui, Mme Merkel y voit un peu plus clair car l'attitude de M. Trump est plus lisible, mais il ne faut pas être naïf.
Enfin, j'en viens aux accords de libre-échange de troisième génération. Pascal Lamy explique très bien que nous sommes arrivés au terme d'une génération d'accords fondés sur des critères tarifaires et qu'il faut passer à une approche par les préférences collectives, plus difficile à expliquer à l'opinion publique. Les problématiques extratarifaires représentent 15 % d'une transaction et sont donc loin d'être neutres.
Face à la démagogie des opposants aux accords commerciaux, il faut être attentif à ce que l'Europe soit protectrice, mais pas protectionniste. Au Sénat, nous avons laissé prospérer un certain nombre de propositions de résolution, notamment de notre ancien collègue Michel Billout, que nous aurions pu écarter pour des considérations de pure politique. Si le Sénat est très constructif dans ce domaine, c'est parce que nous avons pris le temps de bien définir le cahier des charges de toute négociation commerciale internationale en amont. L'Union européenne serait bien inspirée de rappeler ces fondamentaux, parce qu'il n'y a rien de plus désagréable pour nos partenaires que de tout remettre en cause dans la dernière ligne droite : quand il y a quelque chose à dire, il faut le dire au début, et bien définir le mandat.
Merci encore, madame la ministre, pour le temps que vous avez pris à nous répondre.
Je reste évidemment à votre disposition pour poursuivre les échanges.
La réunion est close à 11 heures.